mercredi 18 septembre 2013

Le culte du palmier et la «botanique idéologique» par Kamel Daoud

Peut-on ne pas parler du régime et du po-litique pour une fois, comme dit avant-hier ? Par exemple des arbres. Grands poumons nus dont la racine est une pensée enfouie et le fruit une lente exclamation. Colonnes et lieux de rencontre entre l'homme, la forêt d'autrefois, la route ordonnée, l'ombre que l'on recherche ou le versant calme au dos fatigué. Les arbres sont cependant rares parce qu'on a déboisé après l'indépendance. Toutes les histoires des anciens moudjahiddines commencent par cette phrase : «Avant, tout cet endroit était des amandiers, etc.». Mais résistons, il ne faut pas parler du régime. Sauf que ce n'est pas possible. A Mostaganem, par exemple, wilaya verte, agraire, encore adossée aux milliers d'arbres d'autrefois, eucalyptus de colons, pins, oliviers ou autres. Ce «mélange» qui fait de l'histoire une branche qui remue au vent. Sauf que l'actuel wali a eu l'idée ingénieuse de planter, le long d'une route principale, des palmiers. Emblèmes du désert qui dénotent dans ces vallées vertes et qui semblent si étrangers entre les vieux eucalyptus et autres variantes des lieux. Les palmiers sont à la mode des «esthétiques des walis», ce courant qui défigure les villes et villages algériens parce que le soin et le pouvoir de décider de l'esthétique des villes sont laissés au mauvais goût de ces commis d'Etat, princes de la centralisation, qui y exercent la même volonté qu'ils ont sur les rideaux de leurs salons. Un wali aime les ronds-points ? La wilaya en aura des dizaines pendant son règne. Un autre préfère les statues et les arcades ? La pauvre ville en subira des kilomètres. L'actuel wali de Mostaganem semble aimer les palmiers, la ville va les porter comme des bosses en attendant son départ. 

Sauf que le palmier est aussi à Alger, Oran ou ailleurs. Il n'est pas un caprice Déco/wali/Mao seulement. Il est l'arbre baathiste par excellence malgré sa nationalité algérienne de souche. On le multiplie dans le cadre de l'authenticité culturelle et de «notre appartenance arabe». Le palmier est l'arbre fétiche de l'idéologie identitaire du pouvoir. Il est l'avatar des enseignants égyptiens importés en masse durant les années 70. L'arbre des «arabes que nous sommes» obligatoirement. Le lien de parenté forcée. Il est là pour rappeler le désert. Pas celui de nos Touaregs mais celui d'Errissala et de l'image panarabe que l'on nous impose de nous-mêmes. On va donc le planter là où il n'a pas sa place, ni ses habitudes même s'il casse le décor et la botanique et même si on l'importe d'Indonésie, en répétant dans la presse qu'on l'a importé de Ouargla. Ceci parce que les autres arbres rappellent la colonisation, les colons, la France, l'assèchement des marais et l'exploitation ou les Kabyles ou les Chaouias ou les cyprès. «Arabe, Arabe, Arabe», a crié Ben Bella. «Palmiers, palmiers, palmiers», lui font écho certains. Le palmier étant d'abord un arbre généalogique pour certains, et pas seulement un arbre, autant en planter partout. Il faut voir ce que cela donne comme mauvais goût à Mostaganem pour comprendre ce que cela a donné comme maladie et honte de soi dans notre histoire. Même en parlant des arbres, on ne peut pas éviter le politique car le régime a aussi sa politique pour nos botaniques. Idées et idéologies hideuses qui barbouillent même nos bords de routes et espaces verts et transforment les feuillages en banderoles et propagandes. 

Kamel Daoud

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