Exclusif : “Liberté” publie les bonnes feuilles du livre “Le Rempart” à paraître aux éditions Casbah
Les révélations d’Ali Haroun sur l’arrêt du processus électoral
Par : Ali Haroun
C’est avec l’aimable autorisation de Smaïn Ameziane, directeur général des Éditions Casbah, que nous avons choisi quelques bonnes feuilles de l’ouvrage Le Rempart d’Ali Haroun. Le choix s’est porté sur l’arrêt du processus électoral, la démission du président Chadli et la position du Conseil constitutionnel. Ali Haroun continue de remonter patiemment le cours de l’histoire du pays. Il a déjà signé deux ouvrages-témoignages : La septième Wilaya, dans lequel il décrit la contribution de la Fédération de France du FLN à la Révolution, et L’été de la discorde, un livre d’une autre tonalité dans lequel l’auteur, témoin oculaire, raconte comment les appétits de pouvoir, latents tout au long des sept années de la Révolution, ont éclaté au grand jour pour prendre l’allure du tragicomique. En lisant L’été de la discorde, on comprend un peu pourquoi l’Algérie, qui avait pris un faux départ en 1962, en est là aujourd’hui. Le Rempart, c’est un autre volet de cette fresque historique. Le titre du livre traduit le sursaut des forces patriotiques qui ont dit “non” aux islamistes qui voulaient en finir avec la “République démocratique et sociale” dont les fondements étaient posés dans la Déclaration de Novembre. Les faits rapportés dans Le Rempart ne sont pas inédits puisque l’auteur a eu à les relater dans ses différentes contributions dans la presse. Mais ce livre a le mérite de les rassembler, de leur donner une cohérence, de les mettre en perspective. De les replacer dans leur contexte historique.
La démission du Président
Il convient maintenant d’aborder ces évènements sans a priori et les analyser en fonction des dispositions constitutionnelles, règles fondamentales en démocratie. Le temps qui s’écoule dépassionnant le débat, il semble nécessaire de rechercher dans la transparence en quoi et comment l’enchaînement des faits aurait été anticonstitutionnel ou anti-démocratique.
Si la fin de la législature, oficiellement prononcée le 30 décembre 1991, consacrant l’échéance légale du mandat de l’Assemblée n’a pas posé problème, par contre l’on s’est demandé si la démission du président Chadli Bendjedid émanait de sa propre volonté. L’aurait-on “poussé vers la sortie” et dans quelle mesure ? Il est évident que s’il est contraint, par la violence, d’abandonner la charge qu’il tient de la volonté populaire et la Constitution, cette violence constitue le facteur caractéristique du “coup de force” ou du “coup d’État”. Dans ce cas, le raisonnement juridique bâti sur l’application de l’article 84 paragraphe 9 de la Constitution s’écroule et, par voie de conséquence, tout l’édifice construit sur ce socle, à savoir : la saisine du Conseil constitutionnel, la déclaration du 11 janvier, la session permanente du Haut conseil de sécurité et la proclamation du 14 janvier.
Il est vrai que la version d’un Président contraint par l’armée à la démission avait été propagée par la rumeur publique, aussi bien que les médias, nationaux et étrangers. L’hebdomadaire français l’Express rapportait déjà la réunion d’un grand nombre d’officiers généraux, qui “ont forcé Chadli à la démission”. Il est également vrai que le président français Miterrand déclarait dès le 14 janvier 1992 à Luxembourg que “les dirigeants algériens s’honoreront en renouant le fil de la démocratisation qui passe nécessairement par des élections libres... Le processus engagé pour des élections a été interrompu et cela repose sur un acte pour le moins anormal”.
La rumeur s’est enflée. Comme pour la calomnie, il en restera toujours quelque chose. Il n’y a pas de fumée sans feu, affirme l’adage populaire, et les Algériens auraient rompu avec la démocratie. Le président Chadli n’ayant pu s’exprimer librement, il n’a pris sa décision que sous la pression. Ainsi, le processus enclenché le 4 janvier aurait été condamnable.
En réalité, dès le résultat du scrutin, le Président avaient pensé “prendre une mesure”. Le ministre de la Défense nationale, Khaled Nezzar, le rencontre le 28 décembre 1991, et rapporte ainsi l’entretien : “Encore sous le choc, il avait préféré remettre nos discusions à plus tard. Devant l’apprécision pessimiste qui était faite à Aïn Naâdja des évènements et des graves complications qui pouvaient en découler, il dit ‘son intention de prendre une initiative’ sans autre précision. Il lui fut demandé de différer toute décision jusqu’à ce qu’un groupe de travail, chargé par le ministère de la Défence nationale de faire un bilan sur les élections, remette les conclusions attendues.” Au cours d’une autre entrevue, le 6 janvier 1992, après avoir pris connaissance du rapport du groupe, il déclare, mais sans prononcer le mot de démission, qu’à son grand regret, il ne voyait d’autre issue que de confier la situation à l’armée, en recommandant d’éviter toute “chaouchara”.
Expliquant lui-même les raisons de sa démission dans sa lettre du 11 janvier au président du Conseil constitutionnel, Chadli déclare : “Nous vivons aujourd’hui une pratique démocratique pluraliste, caractérisée par de nombreux dépassements,... où s’affrontent des courants... Devant ces graves développements, j’ai longuement réfléchi à la situation de crise et aux solutions possibles. Conscient de mes responsabilités, en cette conjoncture historique que traverse notre pays, j’estime que la seule solution à la crise actuelle réside dans la nécessité de me retirer de la scène politique... Je renonce à compter de ce jour à mes fonctions de président de la République.”
Chadli ne s’exprimera plus sur ce point et, comme il sied à un homme d’État, il garde le silence, refusant d’entrer en polémique sur les péripéties de son départ, et sa prétendue élimination. Neuf ans plus tard, il s’exprime pour la première fois, confirmant que nul ne l’a contraint à renoncer à sa charge, et rappelle qu’en toute conscience, il a estimé que son retrait volontaire pouvait ouvrir une solution à la crise.
En privé, il soutient formellement n’avoir subi la pression de quiconque et que son honneur de soldat lui interdisait de se soumettre à une injonction venant de ses anciens subordonnés. Dans une déclaration publiée au Japon par deux chercheurs, Kisaishi Masatoshi et Watanabé Shoko en 2009, reprise par la presse nationale en octobre 2010, il s’insurge contre la thèse de la contrainte ou de la violence qui l’auraient obligé à abandonner sa charge : “Celui qui prétend qu’il y a eu un coup d’État se trompe, parce que j’ai démisionné de mon plein gré sans pression d’une quelconque partie.”
Coup d’État ou mesure salvatrice ?
Sans humour, certainement malvenu en cette période où le risque de dictature des “fous de Dieu” menace sérieusement les libertés républicaines, la question se pose. Les deux visions s’entrechoquent dans les consciences perturbées. Mais en principe, le détenteur du pouvoir victime du coup de force est délesté de ses biens, exilé ou emprisonné, s’il n’est tué. Le président Chadli, heureusement, ne subit aucun de ces malheurs. Ses biens sont préservés, sa résidence respectée. Il n’éprouve nullement la nécessité de quitter le pays. Davantage : lorsque, malade il se rend en Belgique pour se soigner, il n’exploite pas l’opportunité de son séjour à l’étranger, hors de portée de ceux qui l’auraient violonté, pour dénoncer cette violence, et retourne en toute quiétude dans son pays. Un rappel du 19 juin 1965 serait parfaitement signigicatif à ce propos. Lors de ce “vrai coup d’État”, cyniquement qualifié de “redressement révolutionnaire”, la victime, sans autre forme de procès, fut emprisonnée et mise au secret, pendant toute la vie du redresseur.
Peut-on, par ailleurs, qualifier de coup d'État la proclamation du 14 janvier, lorsque le texte même limite le mandat de l’instance de transition à deux ans ?
Il est peu d'exemples dans l'histoire où le dictateur fixe à l'avance la durée de son usurpation. Avec ce recul de près de trois décennies, on peut se demander si, loin de couvrir ou camoufler un “putsch”, la Proclamation du Haut conseil de sécurité n'a pas, en fait, permis d'éviter l’État intégriste, de sauvegarder la République et de préserver, quoi qu'on en pense, la démocratie.
Le Conseil constitutionnel saisi
Une évocation sans doute rébarbative, mais aussi rapide et simple que possible des règles de procédure constitutionnelle paraît, à ce stade, indispensable pour comprendre comment le Conseil constitutionnel a été saisi, et quelle est la validité de sa décision. Après la fin de mission de l'Assemblée et sa dissolution, la démission du Président imposait au Conseil constitutionnel de se réunir de plein droit et de constater la vacance définitive de la présidence de la République. C'est donc en application de ce paragraphe 9 et du “règlement portant règles de procédure du Conseil” qu'est formulée la Déclaration du 11 janvier 1992.
Cependant l’un des motifs sur lesquels se fonde cette déclaration mérite discussion. Elle retient que la Constitution n'a pas prévu dans ses dispositions le cas de conjonction de vacance de l'Assemblée populaire nationale par dissolution et de la présidence de la République par démission. Autrement dit, si la vacance de l’Assemblée avait été concomitante à la vacance de la présidence par “décès” du président de la République, le président du Conseil constitutionnel aurait assumé l'intérim. Autrement dit encore, ce dernier ne l'assume pas, dès lors que le président de la République est en vie.
Cette conjoncture — qui au demeurant n'a jamais été dans l'intention de quiconque — n'est pas formellement exigée par le texte et semble encore juridiquement discutable. En effet, l'article 84 paragraphe 4 et l'article 85 paragraphe 1er assimilent le décès à la démission. Tous les cas visés — maladie grave et durable, démission de plein droit, démission volontaire ou décès — constituent en réalité un empêchement entraînant la même conséquence : l'impossibilité totale d'exercer la fonction. En les considérant tous comme empêchements, la Constitution a entendu leur faire produire le même effet. C'est en ce sens que le juge doit interpréter la volonté du législateur, en attribuant un effet à toute disposition juridique et non en la privant d'effet. Ainsi s'explique et se justifie la mission jurisprudentielle du juge.
Or dans ce cas, les membres du Conseil constitutionnel ont-ils répondu à des impératifs purement juridiques ou préféré, dans la situation qui prévaut alors dans le pays selon le deuxième considérant de leur déclaration, transmettre à d'autres le fardeau, avec la responsabilité de décider, dans un problème politique grave, et déterminant pour l'avenir de l'État ? Toujours est-il que les arrêts du Conseil constitutionnel étant sans recours, le soin de décider revient, selon sa déclaration du 11 janvier, “aux institutions investies de pouvoirs constitutionnels”. Ces institutions se trouvent réunies en fait dans le Haut conseil de sécurité.
Le Haut conseil de sécurité
De ce qui vient d'être rappelé et discuté, le Haut conseil de sécurité (HCS) paraît donc régulièrement saisi et compétent pour décider de la solution qui s'impose dans l’intérêt du pays. Dans sa séance du 12 janvier 1992 au siège du gouvernement, il constate l’impossibilité de poursuivre le processus électoral jusqu'à ce que soient réunies “les conditions nécessaires au fonctionnement normal des institutions”, telles que visées dans le dernier paragraphe de l'arrêt du Conseil constitutionnel. Il décide de se saisir provisoirement de toute question susceptible de mettre en cause l'ordre public et la sécurité de l’État et, se déclarant en session permanente, il siègera sans discontinuer pour faire face à ses obligations, jusqu'à solution, par les instances constitutionnelles actuellement saisies, de la vacance de la présidence de la République. Toutes ces décisions sont prises à l’unanimité.
La première constatation est capitale. Elle donne une assise constitutionnelle à l’arrêt des élections, puisque le Haut conseil de sécurité constate, en l'état actuel de blocage des institutions et de vide constitutionnel, “l’impossibilité de la poursuite du processus électoral”. Ceux qui considéraient cet arrêt comme “une violation de la Constitution” ne peuvent plus s'en prévaloir, puisque l'institution constitutionnelle suprême qu'est le HCS constate cette impossibilité. Les deux autres décisions s'imposaient, le Haut conseil de sécurité existant de plein droit, dès lors que le pays se trouve, pour quelque raison que ce soit, dépourvu de toute autorité légale suprême. Il a donc normalement rempli la mission confiée par la Constitution, en se saisissant de toute question mettant en cause l’ordre public, qui doit être impérativement et constamment préservé. Par ailleurs, en siégeant en session permanente, il évitait à l'État de se trouver, à quelque moment que ce soit, dépourvu d'autorité constitutionnelle.
Deux jours plus tard, le Haut conseil de sécurité, qui a effectivement siégé sans discontinuer, allait faire connaître sa décision : il proclamait l’institution d'une présidence collégiale intérimaire, le Haut comité d'État.
La proclamation du 14 janvier 1992
Dans sa déclaration du 14 janvier 1992, le Haut conseil de sécurité rappelle tout d'abord qu'il se compose de membres désignés par la Constitution pour remplir cette mission. Il évoque la situation exceptionnelle du pays qui ne saurait perdurer sans risques graves pour l’État et la République. Il précise également avoir respecté la procédure en la matière, consulté le Conseil constitutionnel et le président de la Cour suprême, entendu le Chef du gouvernement.
Il est par-dessus tout conscient “que la continuité de l’État exige de pallier la vacance de la présidence de la République par tel organe de suppléance disposant de tous les pouvoirs et attributs dévolus par la Constitution au président de la République”.
Après quoi il proclame :
“1. Il est institué un Haut comité d'État composé de cinq membres : Mohamed Boudiaf, Président, Khaled Nezzar, Ali Kafi, Tedjini Haddam, Ali Haroun, membres.
2. Le Haut comité d'État exerce l'ensemble des pouvoirs confiés par la Constitution en vigueur au Président de la République.
3. En cas d'empêchement au sens constitutionnel du Président du Haut comité d'État, de décès ou de démission, le Haut comité d'État élit en son sein un nouveau président.
4. Cette mission ne saurait excéder la fin du mandat présidentiel issu des élections de décembre 1988.
5. ........
6. Le Haut comité d'État est assisté d’un “Conseil consultatif national”.”
La démission du Président
Il convient maintenant d’aborder ces évènements sans a priori et les analyser en fonction des dispositions constitutionnelles, règles fondamentales en démocratie. Le temps qui s’écoule dépassionnant le débat, il semble nécessaire de rechercher dans la transparence en quoi et comment l’enchaînement des faits aurait été anticonstitutionnel ou anti-démocratique.
Si la fin de la législature, oficiellement prononcée le 30 décembre 1991, consacrant l’échéance légale du mandat de l’Assemblée n’a pas posé problème, par contre l’on s’est demandé si la démission du président Chadli Bendjedid émanait de sa propre volonté. L’aurait-on “poussé vers la sortie” et dans quelle mesure ? Il est évident que s’il est contraint, par la violence, d’abandonner la charge qu’il tient de la volonté populaire et la Constitution, cette violence constitue le facteur caractéristique du “coup de force” ou du “coup d’État”. Dans ce cas, le raisonnement juridique bâti sur l’application de l’article 84 paragraphe 9 de la Constitution s’écroule et, par voie de conséquence, tout l’édifice construit sur ce socle, à savoir : la saisine du Conseil constitutionnel, la déclaration du 11 janvier, la session permanente du Haut conseil de sécurité et la proclamation du 14 janvier.
Il est vrai que la version d’un Président contraint par l’armée à la démission avait été propagée par la rumeur publique, aussi bien que les médias, nationaux et étrangers. L’hebdomadaire français l’Express rapportait déjà la réunion d’un grand nombre d’officiers généraux, qui “ont forcé Chadli à la démission”. Il est également vrai que le président français Miterrand déclarait dès le 14 janvier 1992 à Luxembourg que “les dirigeants algériens s’honoreront en renouant le fil de la démocratisation qui passe nécessairement par des élections libres... Le processus engagé pour des élections a été interrompu et cela repose sur un acte pour le moins anormal”.
La rumeur s’est enflée. Comme pour la calomnie, il en restera toujours quelque chose. Il n’y a pas de fumée sans feu, affirme l’adage populaire, et les Algériens auraient rompu avec la démocratie. Le président Chadli n’ayant pu s’exprimer librement, il n’a pris sa décision que sous la pression. Ainsi, le processus enclenché le 4 janvier aurait été condamnable.
En réalité, dès le résultat du scrutin, le Président avaient pensé “prendre une mesure”. Le ministre de la Défense nationale, Khaled Nezzar, le rencontre le 28 décembre 1991, et rapporte ainsi l’entretien : “Encore sous le choc, il avait préféré remettre nos discusions à plus tard. Devant l’apprécision pessimiste qui était faite à Aïn Naâdja des évènements et des graves complications qui pouvaient en découler, il dit ‘son intention de prendre une initiative’ sans autre précision. Il lui fut demandé de différer toute décision jusqu’à ce qu’un groupe de travail, chargé par le ministère de la Défence nationale de faire un bilan sur les élections, remette les conclusions attendues.” Au cours d’une autre entrevue, le 6 janvier 1992, après avoir pris connaissance du rapport du groupe, il déclare, mais sans prononcer le mot de démission, qu’à son grand regret, il ne voyait d’autre issue que de confier la situation à l’armée, en recommandant d’éviter toute “chaouchara”.
Expliquant lui-même les raisons de sa démission dans sa lettre du 11 janvier au président du Conseil constitutionnel, Chadli déclare : “Nous vivons aujourd’hui une pratique démocratique pluraliste, caractérisée par de nombreux dépassements,... où s’affrontent des courants... Devant ces graves développements, j’ai longuement réfléchi à la situation de crise et aux solutions possibles. Conscient de mes responsabilités, en cette conjoncture historique que traverse notre pays, j’estime que la seule solution à la crise actuelle réside dans la nécessité de me retirer de la scène politique... Je renonce à compter de ce jour à mes fonctions de président de la République.”
Chadli ne s’exprimera plus sur ce point et, comme il sied à un homme d’État, il garde le silence, refusant d’entrer en polémique sur les péripéties de son départ, et sa prétendue élimination. Neuf ans plus tard, il s’exprime pour la première fois, confirmant que nul ne l’a contraint à renoncer à sa charge, et rappelle qu’en toute conscience, il a estimé que son retrait volontaire pouvait ouvrir une solution à la crise.
En privé, il soutient formellement n’avoir subi la pression de quiconque et que son honneur de soldat lui interdisait de se soumettre à une injonction venant de ses anciens subordonnés. Dans une déclaration publiée au Japon par deux chercheurs, Kisaishi Masatoshi et Watanabé Shoko en 2009, reprise par la presse nationale en octobre 2010, il s’insurge contre la thèse de la contrainte ou de la violence qui l’auraient obligé à abandonner sa charge : “Celui qui prétend qu’il y a eu un coup d’État se trompe, parce que j’ai démisionné de mon plein gré sans pression d’une quelconque partie.”
Coup d’État ou mesure salvatrice ?
Sans humour, certainement malvenu en cette période où le risque de dictature des “fous de Dieu” menace sérieusement les libertés républicaines, la question se pose. Les deux visions s’entrechoquent dans les consciences perturbées. Mais en principe, le détenteur du pouvoir victime du coup de force est délesté de ses biens, exilé ou emprisonné, s’il n’est tué. Le président Chadli, heureusement, ne subit aucun de ces malheurs. Ses biens sont préservés, sa résidence respectée. Il n’éprouve nullement la nécessité de quitter le pays. Davantage : lorsque, malade il se rend en Belgique pour se soigner, il n’exploite pas l’opportunité de son séjour à l’étranger, hors de portée de ceux qui l’auraient violonté, pour dénoncer cette violence, et retourne en toute quiétude dans son pays. Un rappel du 19 juin 1965 serait parfaitement signigicatif à ce propos. Lors de ce “vrai coup d’État”, cyniquement qualifié de “redressement révolutionnaire”, la victime, sans autre forme de procès, fut emprisonnée et mise au secret, pendant toute la vie du redresseur.
Peut-on, par ailleurs, qualifier de coup d'État la proclamation du 14 janvier, lorsque le texte même limite le mandat de l’instance de transition à deux ans ?
Il est peu d'exemples dans l'histoire où le dictateur fixe à l'avance la durée de son usurpation. Avec ce recul de près de trois décennies, on peut se demander si, loin de couvrir ou camoufler un “putsch”, la Proclamation du Haut conseil de sécurité n'a pas, en fait, permis d'éviter l’État intégriste, de sauvegarder la République et de préserver, quoi qu'on en pense, la démocratie.
Le Conseil constitutionnel saisi
Une évocation sans doute rébarbative, mais aussi rapide et simple que possible des règles de procédure constitutionnelle paraît, à ce stade, indispensable pour comprendre comment le Conseil constitutionnel a été saisi, et quelle est la validité de sa décision. Après la fin de mission de l'Assemblée et sa dissolution, la démission du Président imposait au Conseil constitutionnel de se réunir de plein droit et de constater la vacance définitive de la présidence de la République. C'est donc en application de ce paragraphe 9 et du “règlement portant règles de procédure du Conseil” qu'est formulée la Déclaration du 11 janvier 1992.
Cependant l’un des motifs sur lesquels se fonde cette déclaration mérite discussion. Elle retient que la Constitution n'a pas prévu dans ses dispositions le cas de conjonction de vacance de l'Assemblée populaire nationale par dissolution et de la présidence de la République par démission. Autrement dit, si la vacance de l’Assemblée avait été concomitante à la vacance de la présidence par “décès” du président de la République, le président du Conseil constitutionnel aurait assumé l'intérim. Autrement dit encore, ce dernier ne l'assume pas, dès lors que le président de la République est en vie.
Cette conjoncture — qui au demeurant n'a jamais été dans l'intention de quiconque — n'est pas formellement exigée par le texte et semble encore juridiquement discutable. En effet, l'article 84 paragraphe 4 et l'article 85 paragraphe 1er assimilent le décès à la démission. Tous les cas visés — maladie grave et durable, démission de plein droit, démission volontaire ou décès — constituent en réalité un empêchement entraînant la même conséquence : l'impossibilité totale d'exercer la fonction. En les considérant tous comme empêchements, la Constitution a entendu leur faire produire le même effet. C'est en ce sens que le juge doit interpréter la volonté du législateur, en attribuant un effet à toute disposition juridique et non en la privant d'effet. Ainsi s'explique et se justifie la mission jurisprudentielle du juge.
Or dans ce cas, les membres du Conseil constitutionnel ont-ils répondu à des impératifs purement juridiques ou préféré, dans la situation qui prévaut alors dans le pays selon le deuxième considérant de leur déclaration, transmettre à d'autres le fardeau, avec la responsabilité de décider, dans un problème politique grave, et déterminant pour l'avenir de l'État ? Toujours est-il que les arrêts du Conseil constitutionnel étant sans recours, le soin de décider revient, selon sa déclaration du 11 janvier, “aux institutions investies de pouvoirs constitutionnels”. Ces institutions se trouvent réunies en fait dans le Haut conseil de sécurité.
Le Haut conseil de sécurité
De ce qui vient d'être rappelé et discuté, le Haut conseil de sécurité (HCS) paraît donc régulièrement saisi et compétent pour décider de la solution qui s'impose dans l’intérêt du pays. Dans sa séance du 12 janvier 1992 au siège du gouvernement, il constate l’impossibilité de poursuivre le processus électoral jusqu'à ce que soient réunies “les conditions nécessaires au fonctionnement normal des institutions”, telles que visées dans le dernier paragraphe de l'arrêt du Conseil constitutionnel. Il décide de se saisir provisoirement de toute question susceptible de mettre en cause l'ordre public et la sécurité de l’État et, se déclarant en session permanente, il siègera sans discontinuer pour faire face à ses obligations, jusqu'à solution, par les instances constitutionnelles actuellement saisies, de la vacance de la présidence de la République. Toutes ces décisions sont prises à l’unanimité.
La première constatation est capitale. Elle donne une assise constitutionnelle à l’arrêt des élections, puisque le Haut conseil de sécurité constate, en l'état actuel de blocage des institutions et de vide constitutionnel, “l’impossibilité de la poursuite du processus électoral”. Ceux qui considéraient cet arrêt comme “une violation de la Constitution” ne peuvent plus s'en prévaloir, puisque l'institution constitutionnelle suprême qu'est le HCS constate cette impossibilité. Les deux autres décisions s'imposaient, le Haut conseil de sécurité existant de plein droit, dès lors que le pays se trouve, pour quelque raison que ce soit, dépourvu de toute autorité légale suprême. Il a donc normalement rempli la mission confiée par la Constitution, en se saisissant de toute question mettant en cause l’ordre public, qui doit être impérativement et constamment préservé. Par ailleurs, en siégeant en session permanente, il évitait à l'État de se trouver, à quelque moment que ce soit, dépourvu d'autorité constitutionnelle.
Deux jours plus tard, le Haut conseil de sécurité, qui a effectivement siégé sans discontinuer, allait faire connaître sa décision : il proclamait l’institution d'une présidence collégiale intérimaire, le Haut comité d'État.
La proclamation du 14 janvier 1992
Dans sa déclaration du 14 janvier 1992, le Haut conseil de sécurité rappelle tout d'abord qu'il se compose de membres désignés par la Constitution pour remplir cette mission. Il évoque la situation exceptionnelle du pays qui ne saurait perdurer sans risques graves pour l’État et la République. Il précise également avoir respecté la procédure en la matière, consulté le Conseil constitutionnel et le président de la Cour suprême, entendu le Chef du gouvernement.
Il est par-dessus tout conscient “que la continuité de l’État exige de pallier la vacance de la présidence de la République par tel organe de suppléance disposant de tous les pouvoirs et attributs dévolus par la Constitution au président de la République”.
Après quoi il proclame :
“1. Il est institué un Haut comité d'État composé de cinq membres : Mohamed Boudiaf, Président, Khaled Nezzar, Ali Kafi, Tedjini Haddam, Ali Haroun, membres.
2. Le Haut comité d'État exerce l'ensemble des pouvoirs confiés par la Constitution en vigueur au Président de la République.
3. En cas d'empêchement au sens constitutionnel du Président du Haut comité d'État, de décès ou de démission, le Haut comité d'État élit en son sein un nouveau président.
4. Cette mission ne saurait excéder la fin du mandat présidentiel issu des élections de décembre 1988.
5. ........
6. Le Haut comité d'État est assisté d’un “Conseil consultatif national”.”
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