vendredi 18 octobre 2013

Ce n’était pas la première fois qu’elle était donnée favorite. Mais ce jeudi, le jury du Nobel de littérature a préféré la Canadienne anglophone Alice Munro à Assia Djebar, 77 ans. Pour les professionnels du livre en Algérie, plusieurs raisons expliquent ce choix. 

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Assia Djebar en 2005 (Crédit : François Bouchon)

Pas assez universelle ? "A l’exception de Loin de Médine, un des romans les plus forts sur la décennie noire, l'oeuvre de Assia Djebar n’est sans doute pas assez universelle, analyse le journaliste et critique littéraire Rachid Mokhtari. Ses romans restent dans la sphère méditerranéenne." Pourtant, Alice Munro, 82 ans, est devenue célèbre en écrivant des nouvelles… ancrées dans la vie des campagnes de l’Ontario. Mais Fatiha Soal, gérante de la librairie Les Mots à Alger pense aussi que la récurrence des mêmes thématiques, "les femmes, la Révolution algérienne", joue aussi en sa défaveur. 

Un livre, un jour. La femme sans sépulture (2002, Albin Michel)

L'impératif de la langue maternelle ? "Dans l’histoire des Nobels de littérature, on voit bien qu’il est toujours décerné à un auteur qui écrit dans sa langue maternelle, ce qui n’est pas le cas de Assa Djebar", relève pour sa part Abderrahmane Ali-Bey, gérant de la librairie du Tiers-Monde, qui prédisait déjà la victoire de la Canadienne mercredi. Lorsqu’en 2000, l'auteure des Alouettes naïves reçut le prix de la paix des éditeurs allemands, elle s’était exprimée à ce sujet : "J’écris donc, et en français, langue de l’ancien colonisateur qui est devenue néanmoins et irréversiblement celle de ma pensée, tandis que je continue à aimer, souffrir, également à prier quand parfois je prie, en arabe, ma langue maternelle." 

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Les Alouettes naïves, le quatrième roman d'Assia Djebar (1967, ici chez Actes Sud) est un roman de guerre et d’amour avec pour toile de fond le grand combat pour l’indépendance algérienne. (Crédit : Mel. M)

Une auteure "pour les Français" ? Récompensée par de nombreux prix (Maurice Maeterlinck en 1995, Marguerite Yourcenar en 1997, Pablo Neruda en 2005…), la première Maghrébine et la quatrième femme élue à l’Académie française, avait pourtant, d’après les professionnels du livre, toutes ses chances. "Assia Djebar est LA grande figure féminine de la littérature algérienne, estime Sofiane Hadjaj, directeur des Éditions barzakh. Depuis cinquante ans, elle n’a jamais cessé d’écrire et son œuvre est restée cohérente. Pour moi, elle a introduit deux dimensions dans le roman : l’intime (sa famille, ses origines) et l’Histoire (la Révolution, la question berbère, l’islam)." Bien que ses livres aient été traduits en 23 langues et qu’ils soient étudiés dans les universités du monde entier, l’éditeur et écrivain Bachir Mefti ne comprend pas pourquoi "rien n’ait jamais été fait pour qu’elle soit traduite en arabe (à l'exception d'une pièce de théâtre, Rouge l'Aube) comme Rachid Boudjedra." "Du coup, elle est très enracinée dans la littérature algérienne mais reste marginalisée, regardée comme une auteur qui écrit «pour les Français»". Rachid Mokhtari assure d’ailleurs qu’elle a "beaucoup souffert de n’avoir jamais été traduite en arabe, ni en berbère." "C’est elle qui a introduit le «je» féminin, à la fois sur le plan social et comme affirmation de son identité. Avec La Soif, Les Impatients, Les Enfants du nouveau monde, elle nous a donné des portraits d’héroïnes, de femmes dynamiques, sortis de leur décor. Et puis comme si elle craignait de passer pour une écrivaine «pour intellos», elle s’est tournée vers le cinéma pour porter la voix des femmes dans ses particularismes linguistiques, sociaux, culturels."


Son film La Zerda ou les chants de l'oubli (1982)primé au Festival de Berlin, comme «meilleur film historique » en janvier 1983.

Pas assez soutenue par son pays ? Pour l’écrivain Amine Zaoui, l’œuvre d’Assia Djebar, qui "mérite le prix Nobel", "est à l’image de la littérature maghrébine, trop politique et pas assez philosophique." Mais l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale considère aussi que l’écrivaine souffre aussi d’un "manque de promotion". "Notre pays n’a pas fait beaucoup pour cette militante de la culture, romancière, historienne" qui a quitté ses études à l’appel du FLN pour rejoindre les rangs de la Révolution. 

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