mardi 7 janvier 2014

Les Bouabdelazizi, cette armée...


Les Bouabdelazizi, cette armée...
Regard décalé sur la présidentielle de notre invité, l'écrivain et chroniqueur Kamel Daoud*.
Dans une chronique, l'auteur les a appelé les Bouabdelazizi. Un «mot-valise» pour désigner cette espèce presque anthropologique que les trois mandats de Bouteflika ont inventé : des êtres a-révolutionnaires, obèses, lents, violents mais qui soutiennent le régime par effet d'addiction, plus que par conscience politique. On croit Bouteflika debout, adossé à Gaïd-Salah, le FLN de Saïdani ou quelques autres appareils et c'est faux. C'est-à-dire, pas complètement vrai. L'homme à la chaise roulante roule parce qu'il a su créer, fabriquer, en quatorze ans de règne, une race in vitro du baril. Alias, in-baril : addict à la rente, peureuse, méfiante, molle, insurgée contre l'effort, plébéienne jusqu'au jacobinisme, en mode junky. Le Bouabdelazizi, ne s'immole pas mais immole le pays. Il est un poids mort, l'équation de l'alliance entre régime dur et Lumpen de base.
La nouvelle armée de cet homme est visible dans les villages, ce vaste réservoir électoral conservateur, réduite à la dépendance au nom de l'Indépendance, nourrie au CCP, invertébrée, terrifié, punie par dix ans de guerre civile, asservie et avilie au nom d'une logique de serf et qui aujourd'hui soutient Bouteflika, contre l'avis des classes moyennes supérieures et des élites urbaines. Le Bouabdelaziz algérien, contrairement à son pendant tunisien, ne mène pas vers la fuite de Benali, mais vers la fuite du temps ; il est cendre, pas feu. Il ne chasse personne. Il n'est pas révolution, mais consommation. Jeune, il est l'enfant unique de l'ANSEJ, de l'argent gratuit, du milliard Hallal, entre la mosquée et le FLN, terre des martyrs et ciel des imams. Plus vieux, il est l'Algérien qui attend que la Poste lui apporte ce que l'indépendance a promis. Fellah, il est le fils de la terre non-travaillée, du crédit effacé. Cadre moyen, il est l'aîné préféré et gâté de la loi des Finances, homme des salaires qui sont nos butins. Alors qui va chasser Bouteflika au nom de l'avenir ou de la raison ? Personne ou presque. Le peuple assis votera pour l'homme assis. La catégorie Bouabdelazizi est désormais majoritaire.
Prenez un jeune Algérien, donnez lui un milliard, un Cheikh Chemssedine, un joint de kif hallalisé, un coiffeur, une voiture, une possibilité d'amnistie bancaire, une mosquée, une femme à insulter et de la vanité, Echourouk TV, Ennahar et faite lui peur avec Al Jazeera et dites lui que lire est nier Allah, et que prier est arriver et vous auriez dessiné cette armée nouvelle de nos douze singes en mode seigneurs. Le Bouabdelazizi est une réalité sociale algérienne post printemps «arabes». C'est le corps des janissaires de notre fausse démocratie, les succédanés terribles et efficaces des islamistes du siècle dernier : ils servent à faire détester la démocratie, à faire rejeter la liberté et à s'insulter les uns les autres et à faire tomber l'espoir et à faire nier le droit au nom de la stabilité. A faire peur aux élites et à être agités comme une menace. En trois mandats, Bouteflika a été presque heureux, il n'a épousé personne mais il a eu tellement d'enfants.

* Dernière parution : Meursault, contre-enquête (roman), Barzakh, 2013
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