dimanche 6 avril 2014

La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner :Une vie pour l’Algérie

Une vie pour l’Algérie
La Moudjahida Annie Fiorio-Steiner

Par Hafida Ameyar Edité par l’Association les amis de Abdelhamid Benzine Hafida Ameyar est journaliste au quotidien Liberté. Elle est l’auteure du livre « Sahara occidental, que veut l’ONU ? » Chez Casbah Editions.
Malika Ighilahriz, soeur de Louisette
Dans l’avant-propos rédigé par Ahmed Ancer, journaliste et analyste politique, nous relevons que cet ouvrage est le fruit de rencontres et d’entretiens entre la moudjahida et la journaliste. Ces rencontres se sont étalées sur des mois et les témoignages se sont faits à bâtons rompus. La journaliste n’a balisé ni les espaces ni les temps ; elle s’est contentée de poser de petites questions simples, claires, directes, sans y introduire ni philosophie ni sentimentalisme. Parfois, souvent, les questions faisaient suite aux déclarations précédentes, pour approfondir un thème, un sujet, un événement. La journaliste n’est pas omniprésente : elle a su laisser toute liberté à la moudjahida envers ses dits et ses non-dits. Annie Steiner s’entête à répéter qu’« elle n’a pas fait grand-chose, en comparaison de beaucoup d’autres ! » Ahmed Ancer, qui qualifie Annie Steiner d’« humble, modeste, et pudique », écrit : « Elle a, en toutes circonstances insisté pour que soient évoqués l’engagement, la bravoure ou les sacrifices des humbles, des anonymes, ceux qui n’ont pas de voix, ceux qui ont lutté ou qui luttent loin des feux de la rampe. »
Le 1er novembre 1954, Annie a 25 ans ; elle est fille de fonctionnaire (père directeur d’hôpital, qui s’exprime couramment en arabe) ; elle fréquente le collège de Blida où sa rencontre avec Hadj Sadok est décisive pour son engagement. C’est plus tard, dans les centres sociaux où elle travaille qu’elle y découvre la misère et l’exclusion qui sévissaient à cette époque. Son caractère rebelle, son humanisme, ses amitiés avec Jean Sénac et d’autres ont contribué à renforcer son engagement total et définitif.
Annie Steiner est alors âgé de 25 ans lorsqu’elle est convaincue de la justesse du mouvement national et du processus de décolonisation. C’est alors que son militantisme s’exprime sous la forme d’une adhésion au FLN, en devenant agent de liaison : son premier contact est Sadek Hadjeres, responsable du Parti communiste algérien (PCA). Elle transporte des couffins, sans pour autant avoir été poseuse de bombes pour un laboratoire de fabrication d’explosifs, sous la responsabilité de Daniel Timsit et Boualem Oussedik, qui lui donnent des documents et diverses choses à transmettre. Il faut signaler qu’Annie Steiner était mariée et que son époux ignorait les activités clandestines de son épouse. Après l’été 1956, elle a fait partie de la Zone autonome d’Alger. Elle est arrêtée en octobre 1956 et jugée et condamnée, en mars 1957, à 5 ans de prison par le tribunal militaire d’Alger.
C’est ainsi qu’elle connaitra, durant de longues années, l’univers carcéral à travers les cellules des prisons français, aussi bien en Algérie qu’en France.
Son procès, qui a duré trois jours (dit « Procès des médecins ») s’est déroulé durant la bataille d’Alger, au tribunal rue Cavaignac, à Alger. Mme Steiner a « séjourné » dans trois prisons en Algérie (Barberousse (Serkadji) Maison carrée (El Harrach) et Blida) trois en France (La Petite Roquette (aujourd’hui démolie) Rennes et Pau).

Derrière les grilles, les sans-voix

Dans ce monde carcéral, le monde de l’enfermement, Hafida Ameyar a tenté de solliciter à travers le témoignage, la révolte, voire la haine à l’encontre des geôliers, des gardiens de prison, du système colonial et de l’administration pénitentiaire. Rien dans le discours de l’ex-détenue ne laisse entrevoir aucun ressentiment ; les faits sont décrits avec la simplicité qui sied à une héroïne, pas de révolte pas de haine. Parfois la réponse est éludée. A la question sur la torture, Annie Steiner répond : « Louisette Ighilahriz a raconté ses tortures dans le livre Algériennes. » « Un colis » est le terme usité pour le transport d’une détenue d’une prison à l’autre. La moudjahida évoque que tous les 1er novembre sont fêtés en prison par les chants patriotiques, les slogans et le « Chant des partisans » appris par toutes.« Ami, si tu tombes, un ami sort de l’ombre à ta place… »

La prison de pau

C’est dans les dortoirs de cette prison que se retrouvent les Algériennes. Annie Steiner se remémore chaque lit, chaque place et le nom de chacune de ses codétenues : Djamila, Zohra, Jeanne-Marie Francès, Meriem, Safia, Fadila, Fatima, Bahia, Fettouma, Fifine, Annie, Dania, Hadjira, Amina, Khalti Zoulikha, Gaby, Raymonde, Aline et Mazari pour le premier dortoir.
Pour le deuxième : Jacqueline, Zahia, Djoher, Baya, Malika Kouiche, Malika Ighilahriz (sœur de Louisette), Ghania, Fettouma, Djamila, Meriem, Fatiti etc.
Dans une autre pièce : Djamila Bouhired et Zizou.

Les visites

En 1955, l’anthropologue Germaine Tillion est venue rendre visite aux recluses de Pau, ainsi que deux personnes du Secours populaire français, Georges Martinière et Babbette ; ces deux personnes n’ont jamais fait l’objet d’invitations officielles par les autorités algériennes.
Quatre ans après son arrestation, Annie Steiner reçoit la visite de son mari et de ses deux fillettes ; à l’annonce de cette visite, les « sœurs » se sont empressées de tricoter un ensemble en laine pour chacune d’elles, se relayant au tricot et se partageant la tâche, afin que les ouvrages soient prêts pour le « J ». La maman attendrie se remémore la solidarité de ces détenues entres elles et la chaleur humaine qui l’entourait face à l’absence de ses enfants. Elle cite les noms de toutes ces sœurs, que le même destin a réunies dans les geôles françaises  : Fatima Benosmane (dont Mme Steiner avait connu le mari avant son incarcération) torturée à l’électricité, ainsi que Djamila Bouhired, Gaby Gimenès, Djamila Boupacha, Djoher Akrour, Nacima Hablal, Dania Khiar, Zahia Kherfallah, Zhor Zerari, Hadjira Belaribi, Fettouma Kiouane, et la liste n’est pas exhaustive. Annie Steiner cite encore Lisette Vincent, Joséphine Carmona (dite Fifine) venue d’Oran avec Gaby et Raymonde Héréra (premier groupe transféré en France), ainsi que Jeanne-Marie Francès (qui a travaillé à la Bibliothèque nationale).
Toute la solidarité qui a entouré Annie Steiner durant les années de prison, elle s’est attelée à l’exprimer à sa façon : durant le Ramadhan, elle jeûnait elle aussi, « elle faisait carême », pour accompagner ses camarades de lutte et d’incarcération.

Codétenues, et rencontres en prison

Parfois, les résistantes sont incarcérées avec les criminelles et les droits communs : la cohabitation ne fut pas aisée, mais les résistantes forçaient le respect. Annie Steiner a rencontré également, dès 1956, les quatre premières femmes emprisonnées (qui ont « ouvert » la prison : Reine Rafini, et les trois infirmières arrêtées en 1956 originaires de la Wilaya IV, Meriem, Safia et Fadila,), puis Yvette Bacri, Baya Hocine (15 ans) Djoher (17 ans) condamnées à mort pour avoir posé des bombes, et Safia, le 1er novembre, à Barberousse, Jacqueline Gerroudj (fin janvier 1957) condamnée à mort (ainsi que son époux Fernand Yveton, guillotiné le même jour que Mohamed Ouennouri et Mohamed Lakhnèche) (très jeunes, Yveton avait 30 ans). Mme Steiner dira à leur sujet : « Ne séparons pas ceux que la mort a unis ! » Khadidja Lasfer (dite Dania) a écrit un livre : « El nida El khaled » (l’Appel Eternel), épuisé et non réédité, non traduit en français non plus. Mme Steiner n’oublie pas de citer aussi les témoignages et les combats : ceux de Hadjira et de Malika Gaïd (torturées), Mme Carré (Vve Barel) dont l’époux a été ébouillanté par la Gestapo vers la fin de la Seconde Guerre mondiale, ainsi que Jean de Maisonseul (architecte). En mars 1957, Mme Steiner est transférée à Maison-Carrée avec Reine et y rencontre Goucem, sœur de Fadila Dziria (réseau des artistes).
Dans la prison de Blida, Annie Steiner est incarcérée par mesure disciplinaire pour avoir témoigné auprès d’inspecteurs de la Croix-Rouge française des conditions déplorables d’incarcération : viande avariée, vers dans la nourriture, etc. S’ensuit une grève de la faim, qui, du fond de son cachot, lui fera connaître Gigi (18 ans) dont Annie Steiner ne connaitra que l’œil qui se fixait face à la serrure du cachot.
« De Gigi, je n’ai vu qu’un œil, trois minutes par jour, mais si par hasard elle me lit, j’aimerais qu’elle prenne attache avec moi, car j’ai gardé un très beau souvenir d’elle. » (p. 72)
A propos de l’intérêt du travail sur la mémoire des moudjahidate, Annie Steiner dira :
« Témoigner, c’est une dette, un devoir envers leurs sœurs et frères tombés au champ d’honneur, envers l’homme, envers la mémoire, envers les générations montantes ». « Sur le témoignage lui-même, qui est plus qu’un devoir, un acte historique, car il s’agit de lutter contre l’oubli, contre la mort lente de la mémoire, contre les déviations, contre le néant. » A la question « qu’évoque pour vous la poésie ? », Mme Steiner répond : « Personnellement j’aime surtout la poésie rimée. Quand j’étais à la prison de Blida, je n’avais rien, juste un paillasson pour dormir, un trou pour faire mes besoins et un robinet. Il fallait donc m’organiser par exemple, je me récitais des tirades entières : Le Cid, les pièces de Racine, les fables de la Fontaine etc. La rime me permettait de retrouver les mots. Voilà pourquoi j’aime la poésie rimée. »
Ahmed Ancer dira : « Une fois l’indépendance acquise, Annie Steiner conteste la gestion du pays par ceux qui ont été ses compagnons de lutte, mais qui ont, une fois l’indépendance acquise, oublié la parole donnée au peuple algérien. »
Annie Steiner, quant à elle, dira :  « Je n’ai pas fait cinq années de prison et perdu mes enfants pour voir l’Algérie pillée comme au temps du colonialisme pour que Monsieur Mohamed remplace Monsieur Pierre. Il me semble évident que bientôt, tous ces prédateurs avides et sans scrupules, pour qui les textes juridiques ne sont que du papier, auront en face d’eux des jeunes et des moins jeunes, qui leur demanderont des comptes. »

Nora Sari

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