Saïd. Le prénom a remplacé, dans la tradition de l’imaginaire politique algérien, l’autre prénom de «Toufik». Il occupe le même sens, la même place au maquis mental, et opère avec les mêmes effets et provoque les mêmes conséquences : peur, abus d’obéissance, mythologie, analyses, doutes et indignation. Même à l’étranger, on ne vous pose plus la question de si Bouteflika est vivant, mais celle de si son frère est Président à l’ombre et quand il va l’être à la lumière. En mode interne, l’homme a désormais la place d’un DRS unipersonnel : on cite son nom dans les réseaux, les nominations, les pressions sur les institutions, pour les grands contrats stratégiques et pour obtenir des laissez-passer.
Contrairement à Toufik, Saïd a plusieurs photos, mais de même que l’homme au cigare, il a le poids d’un empire sur les imaginaires locaux ou coupables ou serviles ou cupides. D’où la dernière thèse de «Saïd-président».
Certains voient la mise en place du nouveau règne dans cette coalition désormais offensive du FCE-ALN-FLN qui pèse sur le pays avec le poids d’un parti unique, vote avant la plèbe et décide sans se soucier du scandale ou du tabou. Le trio a déjà pesé sur la réélection de l’homme invisible en Avril 2014 et peut opérer un autre forceps, et avec la même facilité, les prochains mois.
Saïd sera-t-il Président à la place du Président ? Question brutale. Les uns disent que c’est impossible : la tradition du pouvoir est collégiale en Algérie depuis la guerre de Libération. L’intronisation du Frère comme roi ne passera pas. Vrai? Douteux.
Le vote du 17 avril 2014 a été fait sur le mode de la prière de l’absent. Depuis donc, tout est possible. Le Trio FCE-ALN-FLN et leurs bras-armées, comme Ennahar et autres, feront le travail d’abrutissement nécessaire. Le peuple algérien n’existe plus depuis longtemps, détruit par l’effet de foule et il ne se soulèvera pas, ni de sa chaise, ni dans sa tête. Il votera pour un oiseau si on lui dit qu’il donnera des logements et effacera des dettes bancaires et assurera la stabilité.
Mais d’où Saïd, cet homme qui n’a pas de casernes, tire son pouvoir ou pourquoi on lui prête autant de pouvoirs ? Parce qu’il est le frère de son frère ; parce qu’il a su tisser son réseau avec les grands contrats ; ou parce qu’il est fort par l’abus d’obéissance qui l’entoure ou parce que nous aimons les mythes qui nous dispensent des acte ? Reste à trouver. Selon le mythe, Boumediene avait un frère qui s’appelait lui aussi Saïd. On ne sut jamais ce qu’il devint après la mort du moustachu. Peut-être que celui-ci ne veut pas connaître le même destin de retour à la mortalité ? Abdelaziz a voulu finir comme Boumediene et Saïd ne veut pas finir comme Saïd, en résumé. Complexe.
Passons et revenons au sujet : le Conseiller à qui on prête autant de pouvoirs ou d’ambitions, est un trou noir contre la lumière. On ne sait rien de ce qu’il veut ou s’il le veut ou si c’est lui. Ou peut-être qu’on se trompe : Saïd veut être heureux, Gaïd veut être Toufik, Ouyahia veut être Président, El Hamel veut être roi et Saïdani veut être un musicien. On ne sait plus. Mais on devine que cela se fait sur nos têtes depuis quelques semaines : quand un chef de l’armée transforme l’armée algérienne en kasma, les militaires en militants, et s’offre le mythe de l’ALN bras-armée du FLN mais avec les fusils retournés contre nos lendemains, c’est que l’heure est tragique. C’est cela le vrai sujet du jour. L’autre est du people algérois. Saïd, comme Toufik, n’existe même pas sauf dans nos univers serviles. Gaïd, quant à lui, est bien vivant : il a écrit une lettre de militant à un chef de parti unique ; le pluralisme algérien est détruit, l’épisode 88 est fini, l’armée n’est plus dans les casernes et c’est un coup de non-Etat, en live.
Kamel Daoud
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