lundi 5 octobre 2015

Fadila Dziria. YA BELAREDJ ! Chanson érotique ou marque de repentance ?





YA BELAREDJ ! Chanson érotique ou marque de repentance ?

Du haut de l'esplanade d'un café maure de la Basse Casbah, encombré de souvenirs enracinés, en sirotant le fameux thé à la menthe fraîche agrémenté de pignons doux, nous contemplons El Djazaïr el Mahroussa, fille légitime d'Ikosim et ancêtre spirituel d'Alger, offrant à notre regard binaire, un polygone à la blancheur bleutée élancé majestueusement vers le zénith, et assoupie à ses pieds, la belle et opiniâtre baie, de tout temps associée à ses destinées.
Un calme olympien que seuls des oiseaux, furieusement jacasseurs, viendront troubler. L'ami «Bidoun Taâliq», victime couronnée par ces volatiles entêtés, avoue plein d'indulgence, qu'il voudrait être incarné en oiseau, pour survoler et découvrir l'univers voilé des terrasses de La Casbah.
Un vœu icarien déjà caressé par Réda Doumaz, qui se représentait en «Goumri», planant au-dessus de la belle aux yeux bleus (Moulat Aïn E Zerka), allusion romantique éprise de fleur bleue, à Dzaïr B'ni Mezghenna.
Ces histoires d'oiseaux ont fait resurgir au compère «Esprit Curieux», le souvenir de «Ya Belaredj », une chanson des années 50 qui, dit-il, fit grand bruit, en raison des paroles sibyllines du refrain : Ya belaredj, ya touil el gaïma ; ya li saken bine el ghoroff lethnine ; ma teraâchi fi b’hiret lalla ; moulet el khalkhal bouratline.
Notre air interrogatif était suffisant pour nous valoir des explications sans avoir à les demander à Esprit Curieux. Force est de reconnaître que nous n'avons rien compris à cette guerre des mots, exprimés souvent à mots couverts, quelquefois avec des paroles empathiques agitant les faveurs ou l'hostilité, et en fin de compte, des propos qui nous laissent sur notre faim.
Voilà un jugement positif qui modifiera peut-être l'incrédulité condescendante, qu'il nourrit à l'égard de notre champ cognitif incultivé. Mais laissons donc, la parole à notre auguste ami, le bien nommé Esprit Curieux, qui après s'être confortablement installé sur sa chaise, puis rempli de la fumée de sa cigarette ses poumons et enfin exhalé de sa bouche une série de volutes en forme d'arabesques qu'il suit du regard avec une satisfaction évidente, annonce solennellement.
Une chanson qui défraye la chronique
Près d'un un siècle(1) après son éclosion, «Ya Belaredj», (Ô Cigogne) continue à défrayer la chronique du facétieux populo. Cette chanson du genre hawzi, qui tire sa force de son caractère intemporel, aurait été enregistrée la toute première fois, par Jacob Zerad, dans les années 50, avant que de nombreux chanteurs tous mâles, lui prêtent leur voix. Cheikha Tetma (1891-1962), la «Diva rebelle» du hawzi tlemcénien, à son retour d'un exil forcé au Maroc, aurait également interprété cette chanson à l'occasion de fêtes réservées à la gent féminine, ce qui a accrédité l'idée, des convaincus, que cette chanson est propre au registre féminin traitant des sujets intimistes.
Cependant, c'est Fadila Dziria, (1917-1970), la cantatrice algéroise, adolescente séquestrée par un éphémère mariage dès l'âge de 13 ans ; puis jeune femme verrouillée par un séjour obligé à Serkadji pour avoir affirmé sa conscience patriotique en faisant entendre la voix de la femme algérienne ; enfin adulte mature, libérée par soi-même, qui fut la première femme, décomplexée par les aléas de la vie, à l'introduire dans son répertoire discographique. Ce qui alloua à la chanson une dimension supplémentaire et suscita un remarquable emballement, au point de la revêtir du label flatteur, de standard de la chanson algérienne.
Un quatrain controversé
Dès lors, des esprits curieux, sans être nécessairement des âmes malintentionnées, se sont intéressés au mystère induit par le refrain à contenu plurivoque qui met en scène la cigogne, cet oiseau migrateur de grande taille. Ce quatrain sera la matière qui attribuera à la chanson une place atypique dans le répertoire musical algérien, car au lendemain de la sortie du 45 tours de Fadila Dziria, dans les années 50, un chipotage plutôt qu'une controverse du reste, est aussitôt né, en s'appuyant exclusivement sur les paroles du refrain(2) apostrophant la cigogne.
Mais avant d'essayer de comprendre les raisons qui ont conduit à une situation verrouillée par le cadenas social, où la rhétorique émotionnelle et la règle du passionnel l'emportent sur l’exigence du rationnel, intéressons-nous à l'auteur, assurément un personnage que rien, a priori, ne prédestine à écrire, encore moins à confier au large public, un texte du genre galant.
L'œuvre de Cheikh Boualem Bouzouzou
Ces vers sont, nous le savons maintenant, de la plume du grand(3) Cheikh Boualem Bouzouzou (certaines sources s'évertuent pourtant à attribuer l'œuvre(4) à son fils l'Imam Mahmoud, d'autres encore avancent bizarrement le nom de Belahcène Benachenhou de Tlemcen, sans oublier enfin, ceux qui ont décidé d'écarter d'un revers de la main cette question, en décidant tout de go, que le texte était du terroir et son auteur inconnu).
Mais que savons-nous de Cheikh Boualem Bouzouzou ? Voici comment le présente une succincte biographie(5), en hommage posthume (il est décédé en juin 1966) à cette figure marquante dans le domaine des arts lyriques.
Cheikh Boualem Bouzouzou, de son vrai nom Bouzouzou Ali Ben Chérif, est né en juin 1889, à Béjaïa. Il était connu sous le pseudonyme de «Boualem el Qadi» eu égard à sa qualité de cadi, charge qu'il tient de son grand-père Chérif, après de longues études diplômantes dans les Medersas.
Dès son jeune âge, il s'éprend de la musique, notamment andalouse qu'il a pratiquée, jusqu'à l'âge de 70 ans environ, avec son instrument de prédilection, la «kouitra». Cheikh Boualem était également un formateur qui a transmis ses connaissances à plusieurs disciples dont le plus célèbre fut le maître, Sadek El Bejaoui «qui lui doit beaucoup, à ce que l'on dit.
Cheikh Boualem avait plus d'une corde à sa kouitra. Outre son talent de musicien, «il était également un prolifique auteur et compositeur de chansons au style léger, le plus souvent du genre humoristique (très apprécié à l'époque et qu'il convient de restituer dans son contexte historique et culturel) en kabyle et en arabe, mais également de qacidate qui figurent dans le répertoire d'artistes de renom. Néanmoins, sa plus célèbre œuvre est incontestablement «Y a belaredj» , qui a franchi les portes rarement accessibles de la postérité, dans l'art lyrique algérien.
Un double questionnement
Revisiter ce texte, qui pose un double questionnement sur l'auteur et le sens prétendument dissimulé du quatrain s'impose. Faute de documentation et de témoignages de sources primaires suffisants, force est de constater que le résultat est assurément incomplet.
Comme mentionné plus haut, partant de la certitude que l'auteur est Cheikh Boualem Bouzouzou, nous considérons que la question de la propriété de l'œuvre est désormais caduque. Demeure la 2e interrogation, pour laquelle nous viserons à trouver, sinon une réponse incontestable, du moins, tâcher de contribuer à sa compréhension en repérant les causes et les conséquences qui s'y rattachent.
Karim Younes
Larges extraits d’un article paru dans Le Soir d’ Algérie sous la plume de Farid Ghili
Du 15/déc/2012
https://www.youtube.com/watch?v=5fCdDoiuDVU (Fadila)

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