lundi 26 décembre 2016

Non Monsieur Macron, l’Algérie ne doit pas tout à la colonisation

Non Monsieur Macron, l’Algérie ne doit pas tout à la colonisation

(MISE À JOUR : )


Dans un entretien accordé au Point le fondateur du mouvement «En marche» et candidat à l’élection présidentielle de 2017 a affirmé que la colonisation française en Algérie avait créé un Etat, et une classe moyenne.
Emmanuel Macron est jeune, brillant, a fait parler de lui en pénétrant la scène politique par la grande scène en tant que Ministre de l’Economie de François Hollande. D’aucuns lui reconnaissent une certaine modernité dans sa vision politique alors que d’autres aiment cette forme d’impertinence qui le pousse à jouer hors des sentiers battus, hors du bipartisme français non assumé. Sa cote de popularité est pour le moins honorable, surtout au regard d’un programme encore en balbutiements dont les mesures concrètes se font attendre pour la plupart. Son histoire pourrait presque être celle d’un beau roman politique aux péripéties prometteuses. Mais n’en déplaise à certains, c’est un «récit national» qu’Emmanuel Macron désire écrire en France, et pour la France.
Emmanuel Macron au Women’s Forum le 2 décembre à Deauville (Calvados). Photo Charly Triballeau / AFP
Au détour d’une question posée sur son fameux «récit national» et sur l’entreprise coloniale français du siècle dernier, M. Macron voit dans la colonisation «des barbarismes et des éléments de civilisation». Soit. C’est déjà choquant, mais non content de s’arrêter là, il enfonce le clou et fanfaronne sur l’Algérie où «il est vrai qu’il y a eu de la torture», mais aussi — tenez-vous bien, ceci n’est pas un gag sur un site — «l’émergence d’un Etat, d’une classe moyenne». Un instant, j’ai failli me demander si je devais remercier M. Macron — ou plutôt ses fiers ancêtres — pour la mission civilisatrice et salvatrice menée dans les contrées lointaines de mon Algérie natale. C’était sûrement une manière de me terrer dans le déni. Non, le moderne libéral «de gauche» (sic), anti-système et voulant révolutionner la manière de faire de la politique ne pouvait pas verser dans une pareille rhétorique. Et pourtant.
Selon celui qui ambitionne de devenir le leader d’un pays aussi puissant que la France, l’Etat algérien doit sa constitution à la France. Il a sûrement dû oublier les huit ans de guerres ayant précédé la fondation de cet Etat, oublié les quatre années de clandestinité dans lesquelles le GPRA (Gouvernement Provisoire de la République Algérienne) a dû vivre, et l’état général de l’Algérie au sortir d’un conflit long, lourd et douloureux — pour les deux parties, au demeurant. S’il avait réfléchi à cela, il aurait sans doute su, que c’est dans un pays ravagé par la guerre que l’Etat, en tant qu’appareil politique et institutionnel, a dû se construire, la France n’était déjà plus là. Si M. Macron voulait parler du sentiment national et du nationalisme algériens, qui se sont nourris de la présence du colon, alors il aurait dû être plus précis dans ces termes, et différencier les notions d’Etat et de nation ; distinction qu’il ne connaît que trop bien puisque nul doute qu’il a eu l’occasion de s’y confronter lors de son passage sur les bancs de Sciences Po. Et si, au contraire, il voulait réellement dire «Etat», alors il s’agit simplement d’une contrevérité.
Mais celle-ci n’est rien, comparée à l’allégation de l’émergence d’une prétendue classe moyenne en Algérie lors de la colonisation. Au sortir de la guerre d’Algérie, en 1962, 90% des Algériens étaient analphabètes alors que seulement 3,5% avaient eu accès à une éducation de niveau universitaire. Il est inutile de s’attarder sur les spoliations des terres des paysans algériens, sur les conditions socio-économiques difficiles dans lesquelles les Algériens vivaient. Si telle est la vision de la classe moyenne que M. Macron défend, alors il existe de réelles raisons de s’inquiéter pour une France sous la Présidence Macron. Ou alors faisait-il référence à la classe moyenne qui s’est effectivement développée parmi les Français qui vivaient en Algérie ? Dans ce cas, oui, il y a eu émergence d’une classe moyenne, laquelle a d’ailleurs vécu le déchirement de devoir quitter sa terre, doublé du déchirement du rejet par la France lors de son retour.
Emmanuel Macron est bien trop brillant pour pouvoir ignorer ces quelques bribes d’histoire, du moins, j’ose l’espérer. Et pourtant, il tient de tels propos dont il entend, il est vrai, faire les éléments d’un «récit national». Je comprends donc mieux, il s’agirait dans une certaine mesure, d’une fiction. Sauf que ce n’est pas vraiment ce qu’on attend d’un candidat à la présidentielle, tout comme le peuple français est en droit d’attendre plus d’un candidat à la magistrature suprême plus qu’un discours populiste à visée électoraliste.
Parce qu’au fond, ces propos sur l’Algérie ne représentent pas plus que ça, qu’une tentative de la part de M. Macron de capter un électorat sensible à cette propagande sur l’Algérie parce que le sujet reste sensible, d’autres y trouveront une glorification de la Nation dans sa grandeur comme dans ses errements, un patriotisme que la classe politique mainstream aurait perdu au long du chemin et qu’Emmanuel Macron voudrait reconquérir. Une stratégie comme une autre, mais décevante surtout pour quelqu’un qui veut incarner le «renouveau», et qui finit, comme beaucoup, par faire du nouveau avec de l’ancien.
Mais comme je ne suis pas (trop) rancunier, je souhaite quand même bon vent au troisième homme de cette présidentielle 2017 !
source : Libération

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