DÉCRYPTAGE
Avion ou bateau : la diaspora algérienne dénonce un « racket
» pour rentrer l’été au pays
A l’approche de l’Aïd ou des grandes vacances, le prix des
billets vers l’Algérie flambe, en partie à cause d’une trop faible concurrence.
La baie d’Alger, en juillet 2007. CRÉDITS : ZOHRA BENSEMRA / REUTERS
« J’aurais préféré passer l’Aïd avec ma mère, mais les prix sont inabordables en ce moment », déplore Farida, Algérienne installée à Marseille depuis 2001. Pour éviter de payer trop cher son voyage, cette mère de deux enfants a dû se résoudre à partir dans son pays d’origine pendant la saison hivernale.
Il y a quatre ans, Farida, mère au foyer, et son mari,
maçon, avaient dû dépenser 2 500 euros
pour la traversée Marseille-Alger. Une somme importante qui a convaincu le
couple de changerla date de leur
départ et leur moyen de transports. « Nous avons
pris l’avion cet hiver. Cela nous a coûté 800 euros pour mon mari, mes
deux enfants et moi. Sur place, on a loué une voiturepour
30 euros par jour. Cela reste plus abordable que le bateau »,
observe Farida. Selon le comparateur en ligne Direct Ferries, le prix moyen d’
une traversée Marseille-Alger pour une voiture et un passager, s’élève en
moyenne à 1913 euros en juin. C’est trois fois plus cher que le trajet
Marseille-Tunis qui, dans les mêmes conditions et à la même période, coûte en
moyenne 591 euros.
« Obligation familiale »
Avec l’augmentation du coût de la vie, Farida a de plus en
plus de difficultés à économiser pour
se rendre en Algérie. « Outre
les billets de transport, nous devons apporter des cadeaux pour
toute la famille et payer la
nourriture », explique-t-elle, qui avoue dépenser
2 000 euros sur place rien qu’en frais de bouche. Elle qui partait
tous les ans voir ses parents a
considérablement restreint ses déplacements.
A Lille, Aissa fait le même constat. Cet
enseignant de 50 ans explique ironiquement qu’il préfère partir en pension
complète en Turquie pour le même prix. « Je
me rends de moins en moins en Algérie. J’en ai assez de limiter les
sorties et les loisirs de mes filles pour nous
payer simplement des billets d’avion ou de bateau », s’insurge
l’enseignant. En matière de transports, Aissa a tout expérimenté : les
traversées Marseille-Alger, Barcelone-Alger et Gênes-Tunis (le plus avantageux
mais aussi le plus long) et l’avion. Pendant l’été, un aller retour
Lille-Alger coûte en moyenne 430 euros, c’est le même prix qu’Aissa
aurait débourser s’il
s’était rendu à Agadir durant les grandes vacances. Du « racket » pour l’
enseignant qui souligne que pour aller en Tunisie,
l’avion parcourt 2 478 km contre 1 544 km seulement pour rejoindre l’Algérie.
« La diaspora
algérienne ne se rend pas au pays pour faire du tourisme
mais par obligation familiale », renchérit ce Français, originaire de
Sétif. A 200 km de chez Aissa, Najat, 48 ans, habitant Argenteuil et
originaire d’Oran, avoue également partir par devoir en
Algérie. « Pour nous, ce n’est pas un luxe.
Nous devons aller voir nos parents. C’est dans notre culture »,
explique cette veuve, mère de trois enfants. Avec son Smic, Najat
économise « un peu tous les mois » pour s’y rendre
trois semaines en période estivale.
« Ouvrir les espaces aériens et maritimes »
Face aux mécontentements de la diaspora, plusieurs
associations installées en France ont interpellé les autorités
algériennes sur la cherté des prix des transports. Otman Douidi, vice-président
de l’association Diaspora des Algériens résidant à l’étranger (Dare) a
notamment exhorté le chef de l’Etat Abdelaziz Bouteflika à respecter sa
proposition 5 présentée lors de sa dernière campagne électorale. Celle-ci
prévoyait de baisser le prix
des billets d’avion Air Algérie, jugé excessif à l’approche des grandes
vacances scolaires. « J’ai apporté mon soutien au président, car
je pensais qu’il allait arranger la
situation. Mais aujourd’hui, rien n’a été fait », estime Otman Douidi.
Comme lui, Salah Hadjab, responsable du Collectif contre la
cherté des transports vers l’Algérie (CCTA), se bat pour que les tarifs soient
revus à la baisse : « Il faut ouvrir les espaces
aériens et maritimes à la concurrence et au low-cost international, et arrêter le
duopole exercé par Aigle Azur et Air Algérie, et le quasi-monopole d’Algérie
Ferries. »
En effet, cette compagnie maritime algérienne dessert
cinq villes – Annaba, Oran, Alger,
Skikdaet Béjaïa – alors que sa seule concurrente Corsica Linea ne dessert
qu’Alger. Quant aux compagnies à bas coût, elles sont encore peu nombreuses
dans l’espace aérien. Le comparateur de vols Skyscanner fait état de quatre
compagnies pas chères assurant les liaisons France-Algérie, auxquelles il
faut ajouter la petite
dernière Atlas Atlantique Airlines. C’est deux fois moins que pour le Maroc.
« Une honte » pour Aissa qui déplore
cette situation et s’inquiète pour les générations futures. « Ce
n’est pas qu’une question d’argent. Si rien ne bouge, la diaspora ne reviendra
plus en Algérie. Peu à peu, nos enfants perdront le lien avec le pays de leurs
parents. Ils seront amputés d’une part de leur identité. »
source : Par Stéphanie Plasse (contributrice Le Monde Afrique)
LE MONDE Le 26.06.2017 http://www.lemonde.fr/afrique/
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