lundi 15 octobre 2012

17 Octobre 1961 : LA PLUS DURE RÉPRESSION D’UNE MANIFESTATION EN EUROPE CONTEMPORAINE .


Le 17 octobre 1961, répondant à l’appel de la Fédération de France du FLN, entre trente mille et quarante mille Algériens, venus de différentes régions, défilaient pacifiquement à Paris. Ils entendaient ainsi protester contre le couvre-feu qui leur avait été imposé par le préfet ­de police Maurice Papon. La police réagit avec une extrême violence. Certaines sources parlent de 200 morts. L’historien britannique Neil Mac Master considéra que ce fut la plus dure répression d’une manifestation pacifique en Europe contemporaine.

Le préfet de police Maurice Papon avait en effet imposé dans la région parisienne un couvre-feu exclusivement pour les Algériens. Il leur était interdit de se trouver à l’extérieur de leur domicile entre 20h30 et 5 heures. Les cafés des quartiers algériens devaient fermer à 19 heures. Ceux qui travaillaient de nuit devaient se faire délivrer des autorisations par la préfecture. Ces mesures n’étaient pas isolées. Elles avaient été entérinées par un conseil interministériel du 5 octobre 1961. En septembre, une circulaire de Maurice Papon recommandait des expulsions massives d’ouvriers algériens vers l’Algérie.
Le gouvernement français cherchait à en finir avec les combattants de la Fédération de France du FLN qui avaient décidé de porter la guerre de libération sur le territoire de la Métropole. Il résolut de le faire en employant les méthodes qui avaient déjà fait leurs preuves en Algérie : répressions massives, suspension des droits, détentions arbitraires, exécutions sommaires. Les quartiers algériens connurent des rafles subites, des arrestations arbitraires, des bouclages, des assignations. Maurice Papon couvrit les policiers qui se rendirent coupables de tels actes.
Ce 17 octobre 1961 fut « une sorte de concentré de toutes les horreurs de la guerre d’Algérie », comme le dira plus tard le sociologue Pierre Bourdieu. On retrouva les méthodes de la bataille d’Alger avec ses rafles et ses centres de tri, ses interrogatoires musclés et ses liquidations sommaires. Les manifestants furent frappés, emmenés sans retenue dans des voitures de police vers les commissariats où ils furent jetés dans des geôles. Des journalistes rapportèrent les scènes de massacre dont ils furent les témoins. Ils virent des policiers tirer sur la foule, des manifestants qu’on balançait dans la Seine. Les Algériens furent violemment chargés à la sortie des bouches de métro. On mobilisa 7.000 policiers en uniforme qui occupèrent les points de passage et les grands boulevards de la capitale. On installa des barrages aux principaux carrefours et on intercepta les manifestants qui venaient de la banlieue pour leur interdire de rejoindre le mouvement. Il y eut officiellement 11.730 arrestations reconnues cette nuit du 17 au 18 octobre 1961. On emmena les interpellés dans des lieux réquisitionnés. Le palais des sports, le stade de Coubertin, le Centre de Vincennes furent transformés en centres de détention où l’on entassa les détenus pendant plusieurs jours dans les pires conditions.
Jacques Derogy relata dans L’Express du 19 octobre 1961 ce qu’il vit ce soir-là. Il parla d’une foule avec femmes et enfants, sans bâtons ni banderoles qui marchaient en applaudissant. Il observa un service d’ordre très strict qui faisait marcher la foule sur la moitié des trottoirs et réglait la circulation aux carrefours. Les manifestants lançaient leurs mots d’ordre sans agiter de drapeaux ni de banderoles : « Levez le couvre-feu ! Algérie algérienne ! Vive le FLN ! » Le journaliste est formel. Il suivait de loin le cortège qui s’était ébranlé de la place de l’Opéra quand il vit à 21h 40, à hauteur du cinéma Rex, des policiers casqués arrivés par cars charger la foule, la crosse de leur mitraillette en avant. « Je me trouve devant la piscine Neptuna, boulevard Bonne-Nouvelle, quand claquent les premières détonations… Je vois tirer d'un car de la préfecture en direction de la terrasse du café-tabac du Gymnase, à l'angle de la rue Notre-Dame-de-Bonne-Nouvelle… D'autres policiers tirent maintenant à leur tour, je compte plus d'une vingtaine de détonations. » Il a vu des corps allongés : « Deux Algériens sont couchés sur le côté, inertes, au pied d'un arbre. Ils ont l'air de saigner d'un peu partout. À trois mètres, autour d'une table de bistrot, cinq autres corps sont entassés les uns sur les autres. Deux d'entre eux râlent doucement. » Les manifestants arrivant de Nanterre avaient été bloqués pour les empêcher de rentrer dans Paris. Le même journaliste relate : « Un premier choc s'est produit au pont de Neuilly, où des harkis attendaient une immense colonne descendue de Nanterre et de Puteaux. Un harki tira une rafale de mitraillette, tuant un garçon de quinze ans. Une fusillade s'ensuivit pendant une demi-heure. Après la bataille, la chaussée de l'avenue du Général-de-Gaulle était jonchée de débris de toutes sortes, de landaus renversés, de souliers de femmes, de grandes traînées de sang. » La police française, aidée par des supplétifs, organisa dans les quartiers de Paris et de sa banlieue une chasse aux Algériens qui furent battus, emprisonnés et certains jetés dans le fleuve. Elle mena des rafles avec une extrême violence dans le bidonville de Nanterre.
Cette répression a-t-elle été une surprise ? Elle étonna par sa sauvagerie les manifestants algériens qui ne s’y attendaient pas. Elle surprit l’opinion publique française et internationale. En fait, un conseil interministériel s’était tenu le 5 octobre 1961 pour étudier les moyens de combattre l’action du FLN en France. C’était à ce moment que fut décidée l’instauration d’un couvre-feu pour les Algériens. Le 1er décembre 1959, le préfet de police de Paris, Maurice Papon, avait mis en place les FPA (forces de police auxiliaire). On reprit les mesures déjà utilisées en Algérie : interrogatoires poussés, suspension des droits pour certaines catégories de personnes, non-respect des règles de procédure, couverture des dépassements des agents de l’ordre. Le ministre de la Justice qui avait émis des réserves fut remplacé au gouvernement le 23 août 1959. Des témoignages furent ensuite rapportés sur l’attitude de Maurice Papon : il aurait incité les policiers à mener la répression contre les militants du FLN ou supposés tels leur promettant l’impunité. Le sociologue Pierre Bourdieu déclara sa honte «d’avoir été le témoin impuissant d’une violence d’État haineuse et organisée ».

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