vendredi 9 novembre 2012

Mémoire : La grève des étudiants du 19 mai 1956 à Montpellier .

En mai 1956, une décision d’une extrême importance sera prise par la section d’Alger de l’Ugema : la « grève illimitée » des étudiants et lycéens à partir du 19 mai, pour signifier le refus de la politique de répression outrancière. « Effectivement, avec un diplôme en plus, nous ne ferons pas de meilleurs cadavres », pouvait-on lire dans le tract annonciateur de la grève, qui enjoignait également le ralliement massif aux forces combattantes que dirigeait le FLN. A Montpellier, cette décision n’a pas été accueillie unanimement, du moins au début.

A Montpellier, cette décision n’a pas été accueillie unanimement, du moins au début. Pour ma part, j’avais recommandé à Khemisti, qui devait se rendre à une réunion des responsables de l’Ugema à Paris, de défendre très fermement et sans ambiguïté le principe du « oui à la grève, non à une grève illimitée. » Etait-ce là la position de notre section ? Je ne m’en souviens plus, mais je pensais alors que la situation en Algérie avait atteint un point de non-retour et qu’il fallait commencer à songer aux cadres dont l’Algérie allait avoir grandement besoin, demain.
Erreur d’analyse ? Peut-être, car pour certains, la guerre n’était pas encore gagnée et avant de penser à l’après-guerre, encore convenait-il de réussir d’abord le présent… Possible, mais j’ai toujours pensé, et je le pense encore aujourd’hui, que ce qui est excessif peut être dangereux. On le verra avec la grève des 8 Jours de 1957. De retour de Paris, Khemisti réunit aussitôt le bureau pour un compte rendu. « Impossible de faire marche arrière », nous rapporta-t-il. A Alger, la situation était devenue invivable. Le climat de terreur, d’abord limité aux campagnes, gagnait de plus en plus les villes, en particulier Alger, avec l’assassinat d’étudiants, l’agression par des étudiants pieds-noirs du professeur Mandouze, qui ne devra la vie sauve qu’à sa protection par des étudiants algériens. Khemisti termina son rapport en affirmant qu’il était désormais impossible de ne pas faire grève, et que ce serait une grève illimitée ! « Alors, ai-je dit, puisque c’est ainsi, allons-y pour la grève et faisons ce qu’il faut pour sa pleine réussite. ».
Une assemblée générale fut aussitôt réunie et les débats s’engagèrent non plus sur le principe de la grève, mais sur ses modalités. Si Khemisti se chargea de répondre aux questions relatives à la réunion de Paris, il m’échut la mission d’expliquer les tenants et les aboutissants de la grève, malgré ma position de départ. Un étudiant en médecine demanda si on pouvait effectuer des remplacements pendant la grève. Je lui répondis que si la grève a été décidée, ce n’était par pour rester en France, mais bien pour participer à la lutte, quelles qu’en soient les modalités. Je dois dire, qu’à une écrasante majorité, le principe de la grève illimitée a été adopté par l’assemblée générale. A une écrasante majorité, les 105 étudiants de Montpellier venaient de rejoindre cette grande grève patriotique du 19 Mai 1956, qui fera date dans l’histoire de l’Algérie combattante et du mouvement étudiant.
Dans le sillage de la grève des étudiants, les lycéens lancèrent la leur et c’est ainsi que, dans un « sublime élan de mobilisation unitaire », l’Algérie allait affronter son destin, reprendre et poursuivre le combat de la dignité et de l’honneur. Mais rien de commun cette fois avec les révoltes paysannes du siècle passé. Une guerre de Libération nationale, c’est à-dire entraînant tout un peuple dans un mouvement organisé et unitaire et non plus spontané et régional, était en cours de consolidation et de structuration, en vue de l’assaut final libérateur. Les étudiants algériens de Montpellier allaient s’éparpiller, rejoignant qui l’Algérie, qui la Tunisie ou le Maroc.
Avec Benhafid et Laliam, nous décidons d’informer notre maître de la nouvelle situation et de notre décision de quitter son service. Mes camarades me chargèrent de cette pénible mission, je m’en acquittais en lisant, avec une intense émotion, une courte déclaration à laquelle notre patron ne s’attendait nullement, bien évidemment. Il s’assit, sous l’effet de la surprise et tenta de nous faire revenir sur notre décision en faisant valoir son intention de nous nommer chefs de clinique – en particulier Laliam et moi – dès la fin de nos études. Peine perdue. Nous quittons notre maître, remués jusqu’au plus profond de nous-mêmes, mais déterminés néanmoins à aller jusqu’au bout de notre engagement.
Je ne me rappelle pas qu’une ultime assemblée générale se fût réunie avant de nous séparer. Nous partîmes vers de nouveaux destins lesquels, s’ils devaient diverger sur le plan individuel, n’en convergeront pas moins vers un seul objectif, libérer l’Algérie. Laliam et moi nous nous séparâmes tard dans la nuit, près de l’œuf, en nous souhaitant bonne chance. Qui sait si nous nous reverrons un jour ? Une page venait d’être tournée dans la vie des étudiants algériens de l’époque. A la phase de prise de conscience et d’une sensibilisation progressive de l’opinion française, succède celle d’un engagement plus grand, plus profond, qui n’exclura pas les sacrifices les plus grands, y compris le sacrifice suprême, celui de la vie.
Les survivants de la grande épopée du peuple algérien savent que beaucoup de leurs camarades de Montpellier ont payé au prix fort leur patriotisme intransigeant. Je rappelle que sont tombés au champ d’honneur : Rachid Belhocine, Yahia Farès, Bakir Gueddi, Hassani Issad. Atsamena, Laliam et Toumi seront respectivement médecins-chefs des Wilayas I, III et II. Khati, Lazreg, Ziza rejoindront les camps frontaliers de l’ALN du Maroc. Aroua, Bouayed, Djennas, Hacheman, Mokhtar et Zighout Amine goûteront à la rigueur des camps de concentration et des prisons d’Algérie où ils passeront plusieurs années. Larbi, installé à Médéa, puis à Blida, était un des médecins civils de l’ALN de la Wilaya IV jusqu’au « cessez-le-feu ». Un grand nombre des étudiants de Montpellier seront membres actifs de l’Ugema et du FLN, notamment Benadouda, Ferradi, Kellou, Khemisti, Kraïba et tant d’autres. Telle fut la grève des étudiants de Montpellier. Une page de leur histoire allait être tournée ; une autre allait s’ouvrir…


M. D. : Professeur honoraire d’université, ancien chef du service d’ophtalmologie au CHU Issad Hassani de Beni Messous, Alger
Extrait de Vivre c’est croire. Mémoires 1925-1991. Casbah éditions Alger 2010
Par Dr Messaoud Djennas Source : El Watan

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