samedi 22 décembre 2012

La "paix des mémoires" se construit à deux.

Pour les hommes comme pour les Etats, la vérité fait mal. Il avait fallu un demi-siècle pour que Jacques Chirac dise, en 1995, la responsabilité de l'Etat français dans la rafle du Vél'd'Hiv et dénonce la collaboration avec l'occupant nazi.

Il aura fallu aussi longtemps pour qu'un autre président français, François Hollande, reconnaisse pleinement les traumatismes de l'Histoire entre la France et l'Algérie et tente de les apaiser. Sans excuses ni "repentance". Mais avec lucidité.
Ses prédécesseurs n'avaient pas été au bout de cet indispensable devoir de vérité. En 2005, un amendement parlementaire vantant "le caractère positif du colonialisme" avait fait capoter le projet de traité d'amitié entre les deux pays. En 2007, Nicolas Sarkozy avait dénoncé, à Alger, la "profonde injustice" de la colonisation française, mais il avait compensé – et comme gommé – ce mot en recevant, dès son retour à Paris, une délégation de harkis. A chaque fois, les Algériens avaient déploré un double discours.
François Hollande n'a pas biaisé avec l'Histoire. C'est le "système de la colonisation", "profondément injuste et brutal", qu'il a dénoncé, le 20 décembre, devant les parlementaires algériens. Ce sont les "souffrances infligées au peuple algérien", "la violence, les injustices, les massacres" – et la "torture " – engendrés par ce système qu'il a reconnus.
Comment qualifier autrement, en effet, cette histoire tragique qui s'est écrite pendant 132 ans : depuis les longues années d'une conquête féroce qui coûta à l'Algérie, entre 1830 et 1860, le tiers de sa population, puis d'une colonisation où le moindre soulèvement se soldait par une implacable et sanglante répression, jusqu'à ces huit années d'une "guerre" qui n'osa dire son nom qu'en 1999, trente-sept ans après la proclamation de l'indépendance algérienne.
C'est donc à la "paix des mémoires" que le président français a invité, comme un lointain écho à la "paix des braves" à laquelle le général de Gaulle avait appelé un temps, et sans succès, au plus fort de la guerre d'indépendance. La paix de toutes les mémoires, comme certains, en France, feignent de ne pas l'avoir entendu : celle des "Français d'Algérie" qui avaient su nouer avec le peuple algérien "des relations tellement humaines", celle des grandes consciences françaises qui dénoncèrent l'ordre colonial, celle des rapatriés d'Algérie et du deuil si douloureux qui fut – et bien souvent reste – le leur, celle enfin des jeunes Français nés de parents algériens.
Par la voix de son président, la France a donc fait le premier pas. L'apaisement et, demain, l'amitié supposent que l'Algérie fasse sa part du chemin. Qu'elle assume la violence de ce que furent son nationalisme et sa libération : contre la France, bien sûr, mais aussi contre une partie des Algériens, dissidents ou harkis, impitoyablement éliminés. Qu'elle se libère du boulet d'une histoire officielle immuable, fabriquée, pour ne pas dire falsifiée. Qu'elle s'émancipe, enfin, d'un régime où, depuis un demi- siècle, une caste policière et militaire a accaparé tout le pouvoir et désespéré sa jeunesse.
"Rien ne se construit dans la dissimulation, dans l'oubli, encore moins dans le déni", a lancé François Hollande à ses hôtes. C'est à eux, désormais, de démontrer qu'ils l'ont compris. Sans quoi, l'invention d'un avenir partagé et assumé restera une incantation.

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