vendredi 25 janvier 2013

Les musulmans de France ne trouvent pas leur place, même au cimetière

  • Enquête
  • « Sur plus de 1 000 décès que nous gérons chaque année, 90 % de nos clients demandent un rapatriement du corps du défunt vers le pays d’origine : que ce soit le Maghreb, la Turquie, l'Afrique sub-saharienne, l'Asie ou le Moyen-Orient, la tendance est la même », explique Nouredine Ghilli, le gérant de l’institut funéraire omniculte (IFO El Amen), dans le XVIIe arrondissement de Paris, à deux pas de la porte de Clichy, l'une des plus importantes entreprises de pompes funèbres musulmanes de la région parisienne. 
Le carré musulman du cimetière de Bobigny, Seine Saint DenisLe carré musulman du cimetière de Bobigny, Seine Saint Denis© RCR
S'il n’existe pas de chiffres officiels sur cette question, l’ensemble des acteurs confrontés aux obsèques des musulmans de France (chercheurs, pompes funèbres, consulats étrangers) s’accordent sur cette tendance lourde – autour de 85 % – de rapatriements pour 15 % seulement d’enterrements sur le sol français. « Et la tendance est la même depuis des années. Les nouvelles générations, même nées en France, perpétuent cette tradition », précise-t-il aussitôt.
Trouver une explication simple et sans nuances à un acte aussi personnel et intime que des obsèques serait partial, à tout le moins, et très certainement caricatural. Pourtant les chercheurs qui se sont penchés sur la question apportent différents éléments de réponse. Le manque de carrés musulmans en France, le prix moins élevé d'un rapatriement au pays d'origine, mais aussi le sentiment de ne pas être accepté par une société française si sensible sur la question de l'Islam, sont les raisons les plus souvent avancées.
Pour le sociologue Yassine Chaïb, auteur de L’Emigré et la mort (Edisud, 2000), de nombreux musulmans aimeraient bien se faire inhumer en France, où ils seraient plus proches de leur famille et notamment de leurs enfants ou petits-enfants, privilégiant ainsi le lieu où ils ont vécu plutôt que celui d'où ils viennent.
« Le problème c’est qu’il n’y a pas assez de carrés musulmans pour les y enterrer. Le choix du rapatriement est un choix par défaut », considère Yassine Chaïb dans son livre. Il voit dans la présence de tombes de confession musulmane dans un cimetière laïc, « l’ultime geste de l’intégration ».
Selon Atmane Aggoun, chercheur associé au CNRS (groupe Sociétés, Religions, Laïcités) et auteur du livre Les musulmans face à la mort en France (Vuibert, 2006), on dénombre moins d’une centaine de carrés musulmans sur tout le territoire français, et encore uniquement regroupés dans les grandes villes. Il existe 23 carrés musulmans en Ile-de-France, dont 11 dans le seul cimetière parisien de Thiais, surnommé le « cimetière des pauvres », puisqu’il est le seul dans la capitale (il dépend des cimetières parisiens) à abriter des tranchées gratuites pour les SDF, les dépouilles non réclamées par un proche ou les cendres des personnes ayant donné leur corps à la science… « Mettre les musulmans avec les indigents, vous avouerez que ce n’est pas une grande preuve d’intérêt de la société française pour ces personnes », ironise Atmane Aggoun.

Inégalité territoriale des carrés musulmans

Mais le manque de considération supposé de l’État français pour les parcelles funéraires musulmanes serait bien plus insidieux que cela. En effet, il n’existe à l’heure actuelle aucune loi imposant la création de carrés confessionnels, qu’ils soient musulmans, juifs, bouddhistes… Si la loi de 1905 prévoit que le cimetière doit rester un espace laïc et neutre (interdiction notamment de tout signe religieux sur les murs d’enceinte), autorisant uniquement les emblèmes religieux sur les sépultures qui sont, elles, du domaine privé, une circulaire du ministère de l’Intérieur datant de 1975 préconise la création de carrés confessionnels au sein des cimetières communaux. En 1991, une autre circulaire recommande cette fois « d'accéder aux demandes particulières des familles de confession musulmane » pour que les corps puissent être enterrés selon le rite de l’islam (corps tournés vers La Mecque, regroupement des fidèles au sein du cimetière).
Le sociologue Atmane AggounLe sociologue Atmane Aggoun© DR
« Avant 1975, la question ne se posait pas, tous les immigrés venaient en France avec l’idée qu’ils retourneraient au pays plus tard. Ils n’imaginaient pas une seconde mourir en France, donc lorsque cela arrivait, tout les corps étaient rapatriés. Être enterré sur place était vécu comme une double trahison, bien plus définitive, envers le pays d’origine », explique Atmane Aggoun.
« Il y avait des caisses communes de village, ou des tontines, qui permettaient à chaque famille de cotiser pour financer les rapatriements. Pour les Algériens, cette aide était souvent sponsorisée par les groupes issus du FLN. Or en 1975, les premiers harkis ont commencé à mourir. L’Algérie ne voulait pas des corps et le FLN ne voulait pas participer à leurs obsèques. C’est donc à ce moment-là qu’il a fallu créer les premiers enterrements en France de musulmans. D’où la revendication des carrés musulmans. »
Pourtant ces circulaires ne sont qu’incitatives et laissent aux maires le soin de juger de la nécessité de créer un espace ou non. « Certains maires refusent encore totalement de créer des carrés confessionnels, jugeant que c’est contraire à la laïcité », continue Atmane Aggoun. Et comme la loi veut que l’on soit enterré sur la commune où l’on réside ou dans laquelle on est décédé, certains ne peuvent pas avoir accès à un carré musulman. Du coup, ils demandent à être rapatriés dans leur pays d’origine. Pour beaucoup, c’est une évidence, l’inscription territoriale des populations musulmanes serait plus forte et l’intégration plus complète s'il y avait plus d’espaces dédiés aux défunts de cette religion.
Les parents d’enfants nés en France, ayant des attaches plus fortes avec le pays d’adoption, seraient ainsi plus enclins à se faire enterrer là où réside leur famille. Un point de vue que partage Saliha Ferrat, qui travaille elle aussi à l’IFO El Amen. Cette Française d’origine marocaine, mère de 3 enfants, dit se poser cette question régulièrement avec son mari, un Français d’origine algérienne : « Est-ce que je dois me faire enterrer près de ma famille au Maroc et mon mari près de la sienne ? Pour le moment, je me dis que je préfèrerais que l’on soit tous les deux ici, en France, près de nos enfants. Mais c’est un choix très personnel et chacun réagit différemment. Ce qui est sûr, c’est que l’islam ne préconise pas plus l’un que l’autre. »
Pour Nouredine Ghilli, qui dit se sentir lui aussi complètement intégré à la société française, le gérant d'IFO El Amen, c’est l’inverse. Son attachement à la France ne fait aucun doute dans son esprit, mais il est aussi fort que celui qu'il a pour le Maroc, dont il est originaire et qu’il aime visiter aussi souvent que possible. Il pencherait donc plutôt vers un rapatriement. Un moyen pour lui de rendre hommage à ses racines.

Défiance vis-à-vis de la France

Nouredine Ghilli, d'IFO El Amen, dans son agence de pompes funèbresNouredine Ghilli, d'IFO El Amen, dans son agence de pompes funèbres© RCR
Autre point mis en avant par les candidats au rapatriement : la question de la concession et du coût. En effet, l’islam interdit catégoriquement toute exhumation d’un corps qui n’est pas entièrement décomposé, ou, pire encore, sa crémation. « C’est un aspect que les personnes qui viennent nous voir prennent largement en compte dans leur décision de faire rapatrier le corps du défunt », affirme Nouredine Ghilli.
Car le rituel funéraire dans l'islam possède ses propres codes. La crémation est strictement interdite, les corps doivent être lavés et préparés d'une certaine façon… On ne trouvera pas de fleurs ni de couronnes dans les bureaux de l'IFO El Amen par exemple. Les ornements sur les pierres tombales n'en font pas partie. « Nous ne sommes pas là pour vendre des cercueils ou des plaques commémoratives mais pour assurer un accompagnement des familles dans le respect de leurs convictions », explique le gérant. Quelques employées (pas toutes) portent le voile, seuls des versets du Coran sont inscrits sur les murs… Cette sobriété est voulue, l'islam voyant d'un mauvais œil que l'on puisse gagner de l'argent sur le compte des morts.
Mais ce qui pose problème, c'est la possibilité de déterrer les morts une fois la concession au cimetière terminée, au bout de 10, 30 ou 50 ans. Certains cimetières, comme à Thiais, offrent une concession perpétuelle (en réalité de 99 ans), mais le prix de ces concessions atteint rapidement les 3 000 euros. « Il revient souvent moins cher de faire rapatrier le corps, même en payant les frais de fret par avion et les billets de 2 ou 3 accompagnateurs, que de payer les frais d’enterrement et les longues concessions en France », précise Ghilli.
D’autant que pour les ressortissants tunisiens et leurs familles, ces frais sont intégralement pris en charge par l’État. Pour les Marocains, une assurance rapatriement est obligatoire pour chaque personne demandant un visa pour quitter le pays. Moyennant 25 euros par an, une banque marocaine assure le remboursement des frais pour le ressortissant et sa famille. Mais dans les deux cas, ils ne prennent pas en charge un enterrement dans le pays d’adoption. La question ne se pose donc que pour les musulmans venus des autres pays ou pour les personnes nées en France et dont le parent marocain ou tunisien est déjà décédé.
On le voit donc, les raisons et les motivations pour faire rapatrier un défunt musulman « au pays » sont nombreuses. Mais pour Atmane Aggoun, elles ne doivent pas faire oublier une réalité plus inquiétante qui en dit long sur le sentiment d’intégration à la France, ou plutôt son absence, d’une partie de la communauté musulmane. « Mettre le doigt uniquement sur le manque de carrés musulmans ou sur le prix des concessions nous ferait oublier ce que j’ai pu toucher du doigt lors de mes travaux, qui est que de nombreux musulmans, et surtout cette fois parmi les plus jeunes nés en France, continuent de revendiquer un rapatriement vers un pays où ils n’ont jamais vécu. Et eux choisissent le rapatriement par défiance vis-à-vis de la France. »
Le sociologue cite notamment le cas de ce jeune de 26 ans d’Argenteuil, zone où il existe pourtant des carrés musulmans, qui n’avait pas non plus fondé de famille en France, mais qui expliquait que s’il décédait, il ne voulait pas que son corps soit enterré en France. « Je ne donnerai pas mon corps à une terre qui m’a refusé de mon vivant. L’école m’a rejeté, Pôle Emploi m’a rejeté, les patrons français m’ont rejeté, les boîtes de nuit françaises m’ont rejeté… Pourquoi je passerai ma mort ici ? » Comme le synthétise le sociologue, « pas question de laisser votre corps se désintégrer dans une terre qui ne vous a pas intégré de votre vivant ».

source Mediapart

3 commentaires:

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