samedi 19 octobre 2013


Finkielkraut bashé dans "CSOJ" : un spectacle politique pervers orchestré par Taddéi ?




LE PLUS. Sur le plateau de "Ce soir ou jamais", présenté par Frédéric Taddéi, Alain Finkielkraut a été violemment pris à partie par le scénariste Abdel Raouf Dafri. Une séquence pénible, qui suscite bien des interrogations sur la ligne éditoriale de l'émission de France 2 pour Bruno Roger-Petit. L'émission a-t-elle voulu privilégier le clash face aux idées de fond ? Relecture.

Édité par Henri Rouillier  Auteur parrainé par Benoît Raphaël
Alain Finkielkraut, philosophe et essayiste était un des invités de Taddéi dans CSOJ, ici le 12 juin 2012 à Paris (B.BISSON/SIPA).

"Taisez-vous !" hurle Alain Finkielkraut à son procureur d'un soir, "Taisez-vous !" éructe-t-il en s'étrangant, la mine empourprée, au bord de l'apoplexie. C'est la scène qu'il ne fallait pas manquer à la télévision cette semaine, sur France 2, dans le cadre présentée par Frédéric Taddéi, "Ce Soir ou jamais".

Tous les ingrédients du clash réunis

Passionnante séquence, en ce qu'elle révèle l'essence de la télévision, média de l'émotion, qui ne fonctionne que par et pour le sentiment. Enrichissante séquence aussi, en ce qu'elle permet de mettre à nu les mécanismes qui président au fonctionnement des émissions de Frédéric Taddéi, mécanismes éventuellement pervers, vecteurs d'un sous-texte idéologique qui devrait, parfois, nourrir des interrogations sur la pertinence dans la forme et dans le fond de #CSOJ en son état actuel.

D'abord la séquence. Présents sur le plateau de "CSOJ" ce vendredi, Alain Finkielkraut, philosophe, l'historien Pascal Blanchard, l'économiste Hervé Juvin et le scénariste ("Braquo 2", "Un Prophète") Abdel Raouf Dafri. Thème du débat : "Pour vivre ensemble, faut-il se ressembler ?"

Très vite, Alain Finkielkraut se retrouve au cœur de l'échange, notamment à cause de son dernier livre, "L'Identité malheureuse" (Stock). Après une entrée en matière modérée, le débat va déraper brutalement.

Abdel Raouf Dafri prend la parole, mâchoire tendue, œil exorbité. Et le voilà qui décrète : "Je veux interpeller Alain Finkielkraut !" Et qui vocifère, tempête, invective le philosophe nostalgique de la France perdue. Il est tout à la fois provocateur et imprécateur, porteur d'une violence qui fait froid dans le dos.

Son propos est confus, maladroit, embrouillé. On l'entend prononcer les mots "Barrès", "antisémitisme", "islamophobie", "France qui n'existe plus", "Y a trop de négros et de bicots". On devine qui l'accuse Finkielkraut du pire. Devant son écran, le téléspectateur ne saisit qu'un seul message : ce type est venu pour se payer Finkielkraut et est incapable de se dominer. Ce n'est pas une interpellation, c'est une agression.

Dafri tombe dans le piège de la télé 

Confronté à ce torrent de violence verbale, Finkielkraut s'emporte à son tour. Veut répondre à ces propos qu'il juge diffamatoires. Mais face à lui, le procureur-imprécateur Abdel Raouf Dafri continue son show. Et ce qui doit arriver arrive : Filnkielkraut perd son sang-froid et hurle "Taisez-vous !" Taddéi tient son climax, et une séquence digne du grand "Droit de réponse" des années 80.

Passé le moment suprême de tension, Finkielkraut s'explique, démontrant à Adbel Raouf Dafri qu'il n'a rien compris à ce qu'il écrit sur Barrès. S'ensuit un véritable "Finkielkraut bashing", mené par le même Dafri et l'historien Blanchard, un procès télévisuel d'une incroyable virulence... Au bout du compte, dans le but de ramener le calme, Frédéric Taddéi finit pas donner la parole à Hervé Juvin, censé jouer les juges de paix (à partir de 14'49")

Abdel Raouf Dafri a commis une erreur : à la télévision, média du sentiment et de l'empathie, il ne faut jamais agresser. L'agresseur, quel que soit le bien-fondé de la cause qu'il défend, est toujours le méchant, et l'agressé le gentil. La sympathie du téléspectateur va toujours à l'agressé. Or, sur le plateau de CSOJ, la victime, ce n'est pas Abdel Raouf Dafri, c'est Finkielkraut. L'agressé, c'est Finkielkraut. Le blessé, c'est Finkielkraut. Abdel Raouf Dafri est le méchant, l'agresseur, la brute.

Et de ce point de vue, les plans de coupe de la réalisation n'ont pas arrangé son cas, le présentant les yeux emplis de rage, la mine menaçante, le sourire carnassier, quand le philosophe de la nostalgie d'une identité française perdue lui répondait.

Un gros problème de mise en scène

Mais la vraie question que soulève cette séquence est ailleurs, et elle dépasse la personne et le comportement de Dafri. La vraie question, c'est de savoir à quoi jouait Taddéi et ses équipes en composant ce plateau ? Quel était l'objectif ?

Tentons ici de sous titrer la séquence, hors émotion. De dépasser ce que l'on a vu pour dire ce que l'on nous a montré, passé du "vu" au "signifié".

Dans son livre, Alain Finkielkraut explique que l'identité française se perd, qu'elle est victime de la présence de communautés venues de l'étranger et qui refusent de s'intégrer dans la communauté nationale française, notamment les communautés issues de la culture musulmane : 

"Les autochtones ont perdu le statut de référent culturel qui était le leur dans les périodes précédentes de l’immigration. Ils ne sont plus prescripteurs. Quand le cybercafé s’appelle Bled.com et que la boucherie ou le fast-food ou les deux sont halal, ces sédentaires font l’expérience déroutante de l’exil. Quand ils voient se multiplier les conversions à l’islam, ils se demandent où ils habitent. Ils n’ont pas bougé, mais tout a changé autour d’eux. Ont-ils peur de l’étranger ? Se ferment-ils à l’Autre ? Non, ils se sentent devenir étrangers sur leur propre sol. Ils incarnaient la norme, ils se retrouvent à la marge".

Et que voit-on sur le plateau de CSOJ, à travers l'affrontement Dafri/Finkielkraut ? La mise en images de ce que prophétise le philosophe : une incarnation du musulman revendicatif qui s'en prend avec violence à une incarnation du Français défendant son identité, l'agresse, le malmène et le maltraite.

Pauvre Abdel Raouf Dafri qui n'a pas vu, n'a pas compris que, de manière très objective, il a joué le rôle de l'idiot utile symbolique dans une émission de télévision.

Une usine de prêt-à-penser 

Le présentateur de l'émission, Frédéric Taddéi pouvait-il ignorer ce qui pouvait se produire en organisant cette confrontation entre deux personnalités de ce type ? L'alternative est simple.

Si oui, la question de sa compétence et de sa maitrise éditoriale ne peut qu'être mise en cause. Si non, il convient de s'interroger sur le point de savoir si l'animateur n'a pas fait preuve d'une redoutable perversité politique : créer les conditions d'un clash pour que le téléspectateur en tire une conclusion déterminée à l'avance, conforme à une orientation politique.

Afin de résoudre ce dilemme, on invitera le téléspectateur et lecteur à considérer la séquence dans son ensemble. Quand, après dix minutes d'interpellations, de cris et de (presque) larmes, Frédéric Taddéi clame qu'il faut "calmer le débat", à qui donne-t-il la parole pour jouer les juges de paix, donc pour faire entendre une voix raisonnée et apaisée ? À Hervé Juvin, économiste auteur de "La Grande séparation – Pour une écologie des civilisations" (Gallimard).

Et que dit alors Hervé Juvin afin de commenter le choc Finkielkraut/Dafri ?

"Je pense que la diversité des cultures humaines et des civilisations est importante, c'est une des conditions de notre survie" (...) si je respecte l'Autre sur mon territoire, je finis par tout affadir, et je ne suis pas sûr que je ne prépare pas des conflits" (...) Regardez ce qu'est devenu le Liban".

Et de plaider pour un différentialisme culturel salvateur (comme sur France Culture quelques jours auparavant) qui n'est rien d'autre qu'une adaptation des théories de la Nouvelle droite et duGrece déployées dans les années 80, notamment par Guillaume Faye.

Taddéi dépassé par les événements ?

En clair, si l'on rapporte le sous texte du jugement d'Hervé Juvin à la séquence symbolique de Finkielkraut/Dafri (choc des origines, choc des cultures, choc des civilisations, choc des identités), le téléspectateur ne peut qu'effectivement conclure que oui, l'identité nationale est bien menacée par des gens venus d'ailleurs qui ne l'aiment pas, ne veulent pas s'intégrer, sont potentiellement vecteurs de conflit et qui feraient mieux d'aimer la France ou de la quitter.

La séquence ainsi décryptée, le lecteur peut alors répondre, selon les vues qui sont les siennes, à la question posée sur l'orientation éditoriale de l'émission de Frédéric Taddéi.

On le répète, l'alternative est simple. Ou bien Frédéric Taddéi, a été dépassé et n'a pas anticipé ce que donnerait la confrontation des personnalités sur son plateau, ce qui révélerait un certain amateurisme potentiellement dangereux. Ou bien, derrière une apparente émission de débats haut de gamme, se cache une émission manipulée avec une redoutable perversité politique.

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