lundi 21 octobre 2013

Nominations et disgrâces : l'explication par l'humeur par Kamel Daoud

C'est vers leur fin que les régimes deviennent durs, susceptibles, caractériels et soupçonneux. Des maladies d'âge ou de solitude, dans le grand palais qui tient le monde à la distance de fouet, l'œil est une narine et l'oreille une inquiétude. 

Aujourd'hui donc l'Algérois subit le murmure des explications les plus inattendues. Pour un hochement de tête malvenu, pour un propos imprudent, pour un coup de fil ou une appréciation publique, un ministre est licencié, un autre est convoqué pour service à durée limitée, un dernier est envoyé vers les limbes et subit la disgrâce. Dans l'annuaire, on parle du cas Dahou Ould Kablia, illustre malgache, tiède ministre assis sur deux chaises, pris entre l'histoire et la régence. Pour avoir dit non au forceps dans le ventre du FLN et pour une histoire d'hôtels et pour avoir dit ce qu'il pensait du téléphone lors d'une soirée publique, l'homme a été renvoyé chez lui. Un autre deviendra ambassadeur dans un pays à prières pour avoir laissé croire qu'il pouvait être président après l'AVC du Président, lui qui était l'enfant chéri du FLN, l'homme au tampon au front. Un autre est promu patron de la machine à gagner les élections pour avoir été un bon homme de main durant les années 90 puis parce qu'il a des casseroles immenses aux pieds. Un dernier est forcé à redevenir diplomate sous le nom d'Ouyahia après avoir été Ouyahia le second pendant deux décennies. Il suffit d'un verbe, d'un clin d'œil, d'un dîner partagé avec qui on ne doit pas ou d'une conclusion pour subir la disgrâce. Il faut reconnaitre à Bouteflika au moins cette réussite : avoir su terroriser ses plus proches serviteurs, les plonger dans l'écrasement, l'humiliation ou l'angoisse des lendemains. 

A Alger d'ailleurs, tout s'explique désormais par l'humeur de (des) Bouteflika. Il n'y a pas d'enjeu stratégique, d'équilibres entre instituions ou régions ; pas de souci d'Etat mais simple humeur et sourcils froncés. Après avoir été un régime, le pouvoir en Algérie devient un caractère. De plus en plus, avec paranoïa, et lentes dérives. Une sorte de stalinisme de l'humeur avec un goulag, des délateurs, des zélés et des hommes qui trouvent leur destin inexplicable et injuste. D'ailleurs, le jeune blogueur de Tlemcen a été mis à Serkadji pour une simple blague sur Facebook. Attention donc aux mauvaises langues et au nœuds de cravates, aux mariages, aux confidences et aux avis chez les Bouteflikistes. Il suffit de rien pour tomber de la grâce vers la semelle. Lui-même le sait et a mis vingt ans pour bien en mesurer la douleur. Tous payeront. Encore plus ceux qui croient en lui et ceux qui l'approchent, même et surtout en rampant.

Par Kamel Daoud
  

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