lundi 9 décembre 2013

La dernière leçon de Mandela



Avec la mort de Nelson Mandela, se révèle, simple, éclatante et dénudée, cette chose pourtant si étrange qu’on appelle la postérité. De son vivant, Mandela n'a jamais rien édifié à sa gloire, ni Grande cathédrale dont on aurait pu s’extasier sur la verroterie ni quelque monument colossal qui imposerait à jamais l'évocation de sa personne. Dans un monde où les gouvernants sont obsédés par l'immortalité, torturés par le terrible passage de l'adulation à l'indifférence, Mandela a préféré s’en remettre au seul jugement de l’histoire.
A-t-on idée de s’en aller avec tant d’insouciance envers son propre souvenir, sans rien redouter de la piètre mémoire des hommes ?  Mais c’est que cet homme n’a jamais rien voulu imposer à personne, surtout pas le souvenir de lui-même. Ce n’est pas seulement de la modestie, encore qu'avec ce singulier personnage la modestie est le seul éclat qu'il soit permis d'ajouter à la gloire, non, ce n'est pas de la simple modestie ni encore moins de cette modestie affectée et étudiée dont on dit qu'elle masque un orgueil secret.
Chez Mandela, cette impassibilité devant l'obsession de l'immortalité, c'est le substrat d'une existence dédiée à la liberté : on ne s'impose pas à un peuple, et surtout pas à sa mémoire. Et il le pense, lui qui a écrit « Être libre, ce n'est pas seulement se débarrasser de ses chaînes ; c'est vivre d'une façon qui respecte et renforce la liberté des autres. »  L'homme est parti en laissant à chacun de ceux qui lui ont survécu, la liberté de l'évoquer ou de ne pas l'évoquer, peu ou prou, avec passion ou avec détachement, selon l’idée qu’il se fait de l’œuvre de Mandela. Qui sait, peut-être voulait-il signifier que le vrai secret de la gloire authentique est de n'être réductible à aucun monument aussi pharaonique soit-il, car aucun édifice ne peut restituer la majesté d'une vie admirable.
L'ennui, c'est que toutes les vies ne l'étant pas, il a bien fallu se contenter d'une multitude de stèles, de statues, voire de minarets appelés à symboliser une œuvre messianique et qui, plus souvent, ne survivront dans les mémoires que le temps, dérisoire, que met une supercherie à s’effondrer. Que de bustes massifs se sont écroulés, avec fracas, par la volonté de ceux-là même qui étaient censés les vénérer de père en fils. Avec la mort de Mandela, se rétablit cette vérité perdue de vue et qui voudrait que le privilège de consacrer dans l'éternité n'appartient qu'aux gens sans voix et que, comme le dit Benjamin constant, les peuples qui ont plus de voix n'en ont pas moins de la mémoire.
C'est pourquoi autour de la seule ville de Paris, on ne compte pas moins de 15 stades baptisés Nelson Mandela. Si vous êtes de passage à Champigny, Saint-Denis, la Courneuve, colombes ou Sarcelles, entrez donc au stade Nelson Mandela, vous y trouverez des bandes de jeunes gens jouant au foot sous une ombre furtive et majestueuse qui s’appelle la postérité , la vraie, celle qui se souvient des hommes qui ont changé les empires, pas de ceux qui les ont pervertis.
Mohamed Benchicou

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