mardi 15 avril 2014

ALGERIE. Présidentielle : en face d'un Bouteflika fantôme, Benflis veut y croire


La campagne pour l'élection présidentielle du 17 avril s'est achevée dimanche. Le challenger d'Abdelaziz Bouteflika, Ali Benflis, a engrangé de nombreux soutiens. De notre envoyée spéciale.

Présidentielle en Algérie : Abdelaziz Bouteflika, candidat à un quatrième mandat, affronte son ancien Premier ministre Ali Benflis. (AFP)Présidentielle en Algérie : Abdelaziz Bouteflika, candidat à un quatrième mandat, affronte son ancien Premier ministre Ali Benflis. (AFP)
Dans le centre d'Alger, l'avantage visuel est net pour ce dernier dont les affiches XXL et affichettes multipliées par dizaines ornent les façades des immeubles. Une présence aussi remarquée que l'absence du principal candidat qui, contraint par la maladie, n'est jamais apparu en public malgré un faux-suspens alimenté par son équipe de campagne. Avantage net pour Abdelaziz Bouteflika aussi pour parcourir le gigantesque territoire à la rencontre d'Algériens. Ce n'est pas moins de sept personnalités, Abdelmalek Sellal, Ahmed Ouyahia, Abdelaziz Belkhadem, Amara Benyounès, Abdelkader Bensalah, Amar Saâdani, et Mohamed Larbi Ould Khelifa, qui ont fait le job à travers le pays. Des dizaines de bus ont été affrétés pour conduire les partisans de la continuité, façon Bouteflika.

Bouteflika déifié

Pour le dernier meeting, à Alger dans la très grande salle de la coupole Mohamed Boudiaf, près du stade du 5-juillet au-dessus duquel plane une affiche géante d'Abdelaziz Bouteflika accroché à un ballon gonflable, Abdelmalek Sellal, ex-Premier ministre, désormais directeur de campagne, a fait face pendant 30 minutes à un public chauffé une heure auparavant par des tubes algériens repris en choeur. La déception de ne pas voir leur "raïs" a été de courte durée. Certains, d'ailleurs, étaient juste là pour "se défouler". Accompagnés dans la salle par des musiciens traditionnels, des youyous, des vuvuzelas, des chants, des pancartes agitées, Abdelmalek Sellal a scandé le nom d'un homme déifié et fantasmé.
Le gratin des entreprises publiques et des syndicats en revanche sont bien présentes. Sonatrach, Neftal et l'UGTA, ont mis en avant leurs cadres et leurs associations les plus diverses. "Abdelaziz Bouteflika mérite tout cela parce que pendant 15 ans, il a travaillé pour les jeunes et il a encouragé la pratique du sport féminin. Aujourd'hui, s'il ne peut pas être là ce n'est pas grave, son cerveau fonctionne encore !" assure Leïla Belhadi, 32 ans et membre des "athlètes de la Sonatrach". Même son de cloche chez Fatima Zohra, 45 ans qui a fait le voyage depuis Tiaret à plus de 300 kilomètres d'Alger. "Il a beaucoup travaillé pour ramener la paix, on ne veut pas que notre pays devienne comme la Libye, la Syrie ou l'Egypte". 
Belmokhtar Reda, 34 ans, est resté assis dos à l'estrade. "Je suis venue pour me faire une idée. Mais son programme n'est pas nouveau, c'est la continuité. Les choses ont avancé avec lui : nous avons plus de tranquillité, des logements de fonction ont été attribués ainsi que des lots de terrain. Nous avons pu recevoir jusqu'à 700.000 dinars [environ 7.000 euros, NDLR] pour ajouter un étage à notre maison ou encore 300.000 dinars[environ 3.000 euros] pour la rénover", insiste-t-il. "Et puis il a surtout mis en place le dispositif de crédit Anseg, une aide pour nous aider à créer notre entreprise". Comme la plupart des sympathisants, l'absence du candidat ne le dérange pas, estimant que ce n'est pas une personne qui gouverne mais une équipe.
Qu'il se repose, il est bien entouré. Les autres candidats, Abdelaziz Belaïd, Moussa Touati, Ali Fawzi Rébaïne et Louisa Hanoune sont des faux candidats, des pions. Quant à Ali Benflis, il est trop entouré d'islamistes. Nous ne voulons pas revenir en arrière. La solution n'est pas Boutef ou Benflis, c'est le bon sens."
Dehors, la fête continue, les cadres du parti s'auto-congratulent. Séfouane Ahmed, élu d'Alger, membre du Conseil national de transition ne se défile et assume le bilan mitigé des 15 années de la présidence d'Abdelaziz Bouteflika. "On aurait pu faire mieux, c'est vrai. Mais la transition se fera en douceur".

Ali Benflis, le changement

Dans le camp adverse, l'ancien Premier ministre, Ali Benflis, par sa position de challenger crédible, a dégainé ses meilleures armes de communication : un avion et des voitures pour les journalistes, une équipe de campagne chevronnée, menée par l'énergique Lotfi Boumghar, et des très proches, comme Kamal Bouchama, ancien ministre de la Jeunesse et des Sports, issu comme Ali Benflis, du FLN (Front de libération nationale), le parti au pouvoir. Autre point fort que son rival ne pouvait avoir : la proximité.
"Le meilleur des débats, c'est celui que je fais avec le peuple. J'ai parcouru les 48 wilayas d'Algérie. J'ai commencé par l'extrême sud, et j'ai eu avec ses populations un débat fructueux sur le devenir de ces régions inexploitées, qui ne sont pas raccordées aux autres villes par des moyens de communications modernes mais qui possèdent d'énormes richesses", explique Ali Benflis. "Si jamais mon projet passe, je vais répondre à leurs attentes et leur donner ce qu'ils veulent : un état démocratique, des contre-pouvoirs, une jeunesse qui pourra s'exprimer et une jeunesse à qui je donnerai le pouvoir de décision au niveau local et national."
Samedi était son avant dernier tour de chauffe, avant le scrutin avec trois wilayas de l'ouest du pays, Relizane, Mostaganem et Oran, à visiter. Trois bastions "boutef". Mais échaudé la veille par un succès inattendue à Khenchela dans l'est du pays, Ali Benflis s'y est aventuré le cœur léger, l'esprit serein. Candidat en 2004, il a désormais pris de la hauteur. A Relizane, le ton est posé, ferme, l'engouement est au rendez-vous. Pour lui, un seul credo : le changement. Une formule efficace dans un pays miné par la corruption et le chômage.
"Le système actuel arrive à son terme, il est fatigué, il est finissant. Ce système n'a pas compris qu'il est devenu minoritaire et qu'il fait face à un monde de jeunes", explique Ali Benflis.
La jeunesse est la solution du problème algérien, et si on ne prend pas en compte ses aspirations, cette jeunesse pourrait devenir le problème."
Au passage des voitures banalisées, dans les salles de meeting, les jeunes l'interpellent et il répond, sous des applaudissements nourris.
L'alchimie semble prendre. A Oran, Sarah est venue avec son frère Mohktar. A 19 ans, elle votera pour la première fois. "C'est un homme de conviction. Il a quitté le FLN car cela ne correspondait plus à ses principes. Abdelaziz Bouteflika n'a pas amené la démocratie. On ne peut pas manifester, les chaînes de télévision sont contrôlées par le pouvoir. On dit qu'à Oran, les gens vivent bien, mais dans le quartier el-Hamri, ils vivent dans la misère et il n'y a pas de sécurité. Si Bouteflika passe, rien ne changera."
Son frère, architecte de 27 ans ira voter pour la première fois aussi. "Benflis, pour moi c'est un choix par défaut, mais je pense qu'il peut renverser la situation. S'il perd avec 30 ou 35%, ce sera une brèche qui s'ouvre. L'opposition qui est aujourd'hui atomisée pourrait s'allier avec lui et devenir une force intéressante pour l'après 17 avril."

Un deuxième tour ?

Pas de doute, Ali Benflis a bien engrangé des chances pour s'affirmer comme un opposant dangereux à Abdelaziz Bouteflika. A quelques jours du scrutin, que certains annoncent comme un potentiel détonateur d'importantes émeutes, il a également réussi a capitaliser grâce aux faux pas de son rival, comme cette mauvaise blague sur les populations Chaouisdes Aurès, de Abdelmalek Sellal.
Pour de nombreux observateurs fin connaisseurs de l'Algérie, un vent de panique a soufflé dans le camp Boutef. Le jour même, Abdelaziz Bouteflika, qui accueillait le ministre des Affaires étrangères espagnol, a accusé son adversaire de "terrorisme" et d'être à l'origine des troubles qui ont émaillé la tournée de ses représentants. Des propos jugés choquants, qui viennent clore une campagne chaotique et qui a donné des rêves de second tour à Ali Benflis. Un scénario - difficilement imaginable - mais qui serait inédit dans l'histoire algérienne.
Sarah Diffalah à Alger, Le Nouvel Observateur


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