La question Amazighe dans l’Algérie indépendante
Les Imazighen (qui signifie « hommes libres et nobles ») constituent l’un des peuples les plus anciens du continent africain. Leur présence en Afrique du Nord remonte à l’antiquité. C’est le premier peuple qui s’installe dans ce sous-continent de l’Afrique. Rois, cardinaux, souverains mais aussi historiens, théologiens, sociologues…sont issus des entrailles de Tamazgha (Berbérie) et ont contribué amplement à l’évolution de  cette civilisation. Cette longue histoire d’occupation a été marquée plus récemment par des mouvements de révolte et de combat car, très tôt, s’est constituée une prise de conscience nord-africaine : la création du parti indépendantiste, l’Etoile Nord-Africaine (ENA), même si les fondateurs avaient pour objectif essentiel la libération de l’Algérie (1926 : création de l’Etoile Nord-Africaine, dissoute en 1929 et reconstituée en 1933).
Pourtant, dès les années quarante, le discours revendicatif en matière de droit linguistique et identitaire devient explicite (crise dite berbèriste de 1949 : pour la première fois, des militants du mouvement national ont revendiqué la dimension amazighe du peuple algérien). La revendication culturelle berbère oubliée durant la guerre de libération reprendra dès les premières années de l’indépendance (création de l’Académie Berbère ‘’Agraw Imazighen’’ en 1967).
La question berbère après l’indépendance
Le paysage idéologique et politique algérien est,  dès le départ, nettement hostile aux Berbères et à la berbérophonie. La marginalisation des chefs politiques et militaires kabyles à l’indépendance, la prise du pouvoir par un parti arabe (le tandem Ben Bella-Boumédienne), protestations, grèves générales et scolaires,  révoltes et répressions, parfois sanglantes, assassinats visés et incarcérations,  tout concourt, dès les premiers mois de l’indépendance, à faire que la Kabylie se perçoive déjà comme une région menacée, épouvantée et surtout dépouillée d’une victoire (l’indépendance) dont elle s’estimait l’auteur principal.
- 1963-1965 : insurrection armée du FFS de Hocine Aït-Ahmed
En Algérie, depuis l’indépendance, l’Etat se définit constitutionnellement comme arabe et musulman: Dès juillet 1962, l’éphémère Benbella, alors président de la république algérienne, crie son fameux « Nous sommes des Arabes, nous sommes des arabes, nous sommes des arabes. »
Le tandem  Ben Bella/Boumediene  qui, après avoir pris le contrôle du système politique et militaire algérien, impose le parti consubstantiel « de la vie politique » ; situation qui a notamment pour effet d’écarter tous les héros politiques kabyles (principalement Krim Belkacem et Aït-Ahmed). La lutte armée du FFS contre le pouvoir  provoque une répression barbare et sanglante en Kabylie, la seule région à avoir pris les armes. L’arrestation de Hocine Aït Ahmed, le chef du FFS, conduit à la défaite de ce parti qui se réactivera en France et en Suisse. Les séquelles de cet événement sont considérables dans la conscience collective kabyle.
Durant cette phase de mise en place, l’action et la production de certaines personnalités – principalement Mouloud Mammeri – ont joué un rôle décisif. Ce militantisme berbère non structuré, se réalise dans quelques lieux propices : lycée de Tizi-Ouzou, quelques lycées d’Alger, la faculté des lettres d’Alger, la cité universitaire de Ben Aknoun.
- Décennie 1970 : premières manifestations, manipulations et répressions
La Kabylie ne connaît pas de guerre ouverte, mais on dénombre les premières manifestations publiques en faveur de la langue et de la culture berbères (1974, 1976, 1977). De nombreuses arrestations contre de jeunes militants du mouvement  berbère aboutissent souvent à de lourdes condamnations (janvier 1976, été 1976. . .). Ce qui va fortifier la situation et accentuer la politisation du mouvement  berbère, avec comme conséquence directe la reconstitution du FFS de H. Ait-Ahmed en 1977-78 et l’intégration de la question linguistique dans la plate-forme de ce parti en 1979.
La répression intervient comme facteur nouveau, avec des conséquences décisives sur l’évolution de la revendication de la langue berbère. Les dommages sont multiples : menaces et mesures de restriction et d’arabisation visant la chaîne de radio-diffusion kabyle, suppression, à la rentrée universitaire de 1973, du cours de langue berbère assuré depuis 1965 par Mouloud Mammeri à la faculté des lettres d’Alger… Des incidents violents se produisent en Kabylie (juin 1974), mais aussi à Alger (juin 1977) ; ils attestent tous la diffusion de l’aspiration berbère au sein de la jeunesse kabyle.
La Kabylie, principale région  berbérophone d’Algérie, occupe donc une place à la fois créatrice et distinctive par rapport à la « question berbère ». Une tradition d’autonomie et de détermination face au pouvoir central, une assimilation occidentale profonde ont fait de cette région le « fer de lance » de la revendication  linguistique et culturelle. C’est là, incontestablement, que l’on peut suivre avec exactitude les développements du mouvement berbère, notamment ses variantes culturelles, idéologiques et politiques.
Le mouvement culturel berbère dans l’Algérie indépendante.
En 1980, pour la première fois dans l’histoire connue de l’Afrique du Nord, les berbères affirment clairement leur  droit et leur  volonté d’existence et  d’être reconnus comme entité linguistique et culturelle spécifique. Si jusque-là le régime algérien, bâti par le dictateur Boumédiène, a « censuré » la Kabylie et a systématiquement « étouffé » la langue berbère, le Printemps 1980 est venu bouleverser la situation en Kabylie : il a ouvert la voie de la manifestation et de la révolte populaire. D’abord culturelle, avec les cours soutenus de tamazight assurés  par Mouloud Mammeri (écrivain et professeur d’université d’origine kabyle, considéré comme le père spirituel du mouvement culturel berbère), la revendication s’est rapidement politisée. A l’époque, une espèce de pudeur mal placée interdisait de prononcer le mot « Kabyle ». On préféra parler de « printemps berbère » bien que la Kabylie fût le seul théâtre de revendication et on réclama la promotion des parlers populaires car on n’osait pas dénoncer l’arabisation.
Moment fort de la lutte des Berbères pour leur identité, ce « printemps berbère », ou « printemps de Tamazight», démontre aussi leur opposition au régime en place. A partir de 1980, la « question berbère » devient en Algérie un problème politique visible et lourd. La crise sera très largement couverte par la presse nationale et internationale, et les autorités alterneront répression, condamnations corrosives (= « mouvement séparatiste », « atteinte à l’unité nationale », « manœuvres de l’impérialisme et des ennemis de l’Algérie »…) et promesses vagues de prise en compte de la revendication (qui n’auront aucune suite). En août 1980, une conférence sera organisée pour faire le point sur la crise. Des projets sont élaborés pour l’avancement de la culture berbère, mais avec peu de résultats à court terme. Les Berbères continueront néanmoins leur lutte, revendiquant notamment la reconnaissance de leur langue (Tamazight) comme langue nationale et son enseignement à tous les niveaux du système d’éducation.
Dans la conscience kabyle (et berbère en général), le « printemps berbère » et le 20 avril en particulier (date de l’assaut donné par les forces de l’ordre à l’université de Tizi-Ouzou occupée) deviendront une référence fondatrice, commémorée chaque année.
Une situation métamorphosée depuis 1989
Renouant avec une tendance ancienne, les partis politiques kabyles (FFS et RCD) ont tous inversé la hiérarchie des motivations et des objectifs : les associations culturelles berbères se sont multipliées en Kabylie  et dans les autres régions berbérophones. Plusieurs opérations culturelles se sont mises en place : Mouvement Culturel Berbère (MCB), Fédération Nationale des Associations Culturelles Amazigh (FNACA)… Tout ce travail organique s’ajoute au mouvement traditionnel, Front des Forces Socialistes (FFS) de Hocine Aït-Ahmed dont le recrutement est presque exclusivement kabyle et qui intègre explicitement la question culturelle et linguistique berbère dans sa plateforme politique depuis 1979.
On rappellera que jusqu’à la fin 1988, aucune association culturelle berbère n’avait jamais pu exister légalement en Kabylie. On mesure à quel point la situation est nouvelle pour un mouvement berbère qui, depuis l’indépendance, n’avait connu que la clandestinité, la répression quasi permanente et la « délocalisation » vers la France. Depuis 1989, les prémices d’un renouveau se créent autour de quelques associations et de maisons d’éditions institutionnelles comme l’Enag, qui s’ouvrent progressivement au domaine berbère.
Le rôle de la chanson
A partir de 1974, plusieurs cercles et espaces artistiques existaient et contribuaient pleinement à l’éveil des consciences. L’académie berbère du défunt Mohand Arab Bessaoud, officier de l’ALN (armée de libération nationale), l’illustre écrivain kabyle d’expression française et amazighe, Mouloud Mammeri, les célèbres chanteurs, Slimane Azem, Idir, le poète, Lounis Ait Menguelet, et le rebelle, Lounès Matoub, tous vont contribuer à donner une assise de masse à la thématique identitaire et vont renforcer la crédibilité nationale et internationale de la culture berbère. Car cette chanson kabyle est avant tout une protestation identitaire dans sa thématique, dans sa langue et dans ses racines.
Les thèmes de la chanson kabyle de ces débuts des années 1970 sont essentiellement axées sur la revendication identitaire et culturelle berbère, la liberté d’expression et la condition de la femme. On ne chante plus seulement les thèmes de l’amour, l’émigration et la religion. La chanson kabyle désormais interroge, critique et dénonce. La politique de la violence est le principal leitmotiv. La chanson kabyle connaît un élan qualitatif très impressionnant et une production intense. Face aux multiples interdictions de l’enseignement et de l’écriture du berbère, il ne reste plus que la chanson comme moyen  de révolte et de protestation.
La tornade du Printemps noir
Depuis l’ouverture politique de 1989, et plus particulièrement depuis l’intervention de l’Armée en janvier 1992, chacun sait que l’Algérie est entrée dans une phase de crise structurelle et durable. Situation désolante voire effrayante dans laquelle peuvent se produire toutes les dérives et  agitations : assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992 et du rebelle (lewhid n yemmas), Matoub Lounès, en 1998, boycott scolaire par la jeunesse kabyle pour la reconnaissance officielle de la langue berbère en 1996.
Par ailleurs, il est évident que, face au fléau de l’islamisme, l’Armée et le pouvoir ont une marge de manœuvre très réduite. Comme on pouvait s’y attendre, dès le retour de l’Armée sur le devant de la scène, la tentative de reprise en main par la répression a échoué et le terrorisme est devenu un souvenir à la fois douloureux et atroce de l’Algérie. La situation économique du pays est profondément dégradée. Aux pénuries du règne de Boumediene, à la misère de masse de l’époque de Chadli, ont succédé la pseudo démocratie et une fausse économie de marché. Chômage, crise du logement,  injustices, contraintes bureaucratiques, sont allés de pair avec la naissance d’immenses richesses bâties sur l’affairisme et la corruption.

En conclusion…

En définitive, les réalités socio-culturelles  et idéologiques de l’Algérie, ainsi que la situation politique du pays travaillent plutôt dans le sens d’une accentuation des tensions : on perçoit mal comment un régime (géré par l’Armée et un système politique corrompu) qui, jusqu’à présent, a été incapable de gérer les contradictions du pays autrement que par la répression, la brutalité et la corruption, la « question berbère » pourrait, miraculeusement, trouver une réponse fondée  et légitime pour un peuple qui ne rêve que de reconquérir sa vraie identité.