vendredi 11 avril 2014

L’Algérie en ébullition avant la présidentielle

LE MONDE | 
Manifestation d’étudiants hostiles à Abdelaziz Bouteflika, à Tizi Ouzou, en Kabylie, le 6 avril.

La rumeur bruisse : Abdelaziz Bouteflika pourrait être présent lors du dernier meeting de sa campagne, prévu à Alger dimanche 13 avril. « Le peuple algérien va le voir et l'entendre ; je ne sais pas sous quelle forme mais il va s'exprimer », a assuré l'un de ses porte-parole, Amara Benyounès, ministre du développement industriel.

Etrange campagne que celle qui se déroule en Algérie pour l'élection présidentielle du 17 avril, marquée par l'absence physique du principal acteur, le président, Abdelaziz Bouteflika, 77 ans, élu depuis 1999 et candidat à un quatrième mandat. A huit jours du scrutin, le climat, cependant, se tend. La contestation, vive sur lesréseaux sociaux, se manifeste désormais, aussi, sur le terrain.

Composée de sept personnalités, trois anciens premiers ministres, deux ministres, le président du Conseil de la nation (équivalent du Sénat) et le président du principal parti politique, le Front de libération nationale, l'équipe représentant le candidat Bouteflika se déploie sans relâche sur tout le territoire, jusqu'en France et en Tunisie où résident d'importantes communautés algériennes. Mais les réunions publiques de ces porte-parole sont de plus en plus l'objet d'incidents.

SLOGANS HOSTILES

A Ghardaïa, aux portes du Sahara, mercredi 9 avril, la 
presse algérienne a rapporté la présence de manifestants hostiles en marge de plusieurs meetings tenus dans la vallée du Mzab par le directeur de campagne de M. Bouteflika, Abdelmalek Sellal, ex-premier ministre. Dans cette région située à 600 kilomètres au sud d'Alger, théâtre d'affrontements depuis des mois entre les communautés mozabites (Berbères musulmans de rite ibadite) et arabes, des habitants, excédés par la reprise de violences qui ont de nouveau provoqué une quarantaine de blessés, ont crié des slogans hostiles et jeté des œufs sur le cortège. A Béjaïa, en Kabylie, le 5 avril, la maison de la culture, où devait se tenir une rencontre animée par M. Sellal, a été incendiée.

Ce mouvement de colère, au cours duquel ont été blessés des journalistes qui accompagnaient le directeur de campagne de M. Bouteflika, a provoqué l'annulation du meeting. Trois jours plus tard, quelque 2 000 étudiants sont sortis dans la rue pour exprimer leur rejet de l'élection présidentielle au cri de « système dégage ». Un portrait géant du président-candidat a été déchiré. A Paris, le 6 avril, où avaient été dépêchés deux ministres, Amara Benyounès, et Amar Ghoul, un groupe de jeunes a tenté de perturber la rencontre et s'est fait évacuer sans ménagement de la salle.
A Metlili, dans le Sud algérien, le 9 avril, lors d'un meeting de l'ex-premier ministre Abdelmalek Sellal en faveur d'Abdelaziz Bouteflika.
« Laissez-les crier, ils ne sont à chaque fois pas plus de dix », s'est indigné à la tribune M. Benyounès. « C'est hallucinant et ahurissant, des démocrates qui appellent l'armée à faire un coup d'Etat contre un président démocratiquement élu. On a tout vu dans ce pays ! », a enchaîné le ministre, en référence à des appels lancés par des personnalités et des opposants.
A Batna, capitale des Aurès, un scénario identique à celui de Paris s'est déroulé : un groupe de jeunes a été expulsé manu militari. Résultat : la plupart des meetings de campagne se déroulent en présence d'un dispositif policier renforcé. Parfois, les salles sont fournies, parfois, elles ne le sont pas.
Plus exposé que d'autres, le camp Bouteflika fait l'objet de rudes critiques, mais il n'est pas le seul. A M'Chedallah, dans la région de Bouira, un représentant d'Ali Benflis, principal rival du président sortant, a dû lui aussi renoncer« On ne laissera personne organiser de meeting à M'Chedallah, nous rejetons carrément cette élection », ont clamé une centaine de jeunes manifestants selon l'agence algérienne APS. C'est un changement en Algérie, où jusqu'ici, les dernières élections se déroulaient quasi dans l'indifférence de la population, qui assistait le plus souvent en spectatrice aux joutes politiques des candidats et des clans.

« DE MIEUX EN MIEUX »

Cette fois, entravée par l'absence de son candidat, affaibli par un accident vasculaire cérébral en 2013, l'équipe du président tente de faire campagne tant bien que mal. Depuis mai 2012, M. Bouteflika ne s'est plus adressé directement au peuple algérien. Il n'apparaît plus à la télévision qu'à de courtes occasions, lorsqu'il reçoit des délégations étrangères. Ce fut le cas lors de la venue le 3 avril du secrétaire d'Etat américain John Kerry. Des images montrant M. Bouteflika saluant brièvement son hôte debout avaient alors été diffusées. « Il va bien »« il va de mieux en mieux », assurent à tour de rôle ses représentants. « C'est quelqu'un dont les fonctions mentales fonctionnent très bien, il a un problème de rééducation fonctionnelle », a affirmé M. Benyounès, interrogé le 6 avril dans le cadre de l'émission « Internationales » sur TV5, en partenariat avec RFI et Le Monde.
A Bejaia, dans l'Est algérien, le 5 avril.
Face à des Algériens inquiets, encore traumatisés par la décennie noire des années 1990-2000, qui avait vu s'opposer des groupes islamistes à l'armée, les hommes du président emploient l'argument de la stabilité. Dans un meeting intégralement filmé à Tizi Ouzou, M. Sellal, qui s'est exprimé en arabe et en français, l'a dit et répété : « Si nous perdons la stabilité, nous perdons la souveraineté. (…) La stabilité est un acte de souveraineté, si on touche à la stabilité, on a touché à la souveraineté nationale ».
Cet argument a cependant été retourné par les opposants au quatrième mandat qui dénoncent le facteur d'instabilité que constituerait, selon eux, la réélection d'un chef de l'Etat malade. « Il a tout sacrifié » à l'Algérie, a répliqué M. Sellal, « jusqu'à sa santé », avait-il déjà affirmé dans une autre réunion. « Pourquoi ne pas vouloirle faire roi ? » s'est-il écrié à Alger le 8 avril.
A Tizi Ouzou, au lendemain des incidents de Béjaïa, des jeunes venus manifestersont restés à l'extérieur de la salle sans que cela dégénère, et le directeur de campagne du président a mis en garde contre les impatiences qui s'expriment.« On doit avancer doucement, car nous avons une société compliquée et complexe ». Celui qui a déjà qualifié de « moustique » le « printemps arabe » contre lequel l'Algérie dispose du « fly-tox » [insecticide], a insisté : « Les Algériens connaissent leur bonheur ». Et il a promis des lendemains encore meilleurs. « Une République démocratique, égalitaire, où nous ne connaîtrons que le bonheur, où nous respecterons que les libertés individuelles et collectives ! »
Puis, les promesses se sont accumulées. Le programme de constructions de logements commencé depuis le début du deuxième mandat de M. Bouteflika en 2004, à l'origine de nombreuses émeutes dans le pays, « continuera » a annoncé M. Sellal « jusqu'à ce qu'il n'y ait plus une demande en Algérie… selon les capacités financières du pays ».

PAS D'OBSERVATEURS EUROPÉENS

« Tant qu'il y aura une rente [pétrolière], elle profitera aux Algériens, aux plus démunis », a-t-il enchaîné. La préoccupation majeure dans le camp Bouteflika reste le taux de participation, déjà faible par le passé et qui pourrait s'aggraverpour ce scrutin si particulier suivi avec attention par la communauté internationale.
Dans un mémorandum sur les relations avec l'Algérie à laquelle elle est liée par un accord de coopération depuis 2002, l'Union européenne s'est inquiétée de la lenteur des réformes politiques. Rendu public le 27 mars, le rapport relève aussi qu'« aucun progrès notable n'a été enregistré dans la mise en œuvre des recommandations de la mission d'observation électorale de l'UE » lors des législatives de 2012. Or, cette fois, aucun observateur européen ne sera présent le 17 avril. « Nous avons reçu très tard l'invitation à observer les élections présidentielles algériennes », indique au Monde Michael Mann, porte-parole de Catherine Ashton, représentante de l'UE pour les affaires étrangères.« Conformément à notre méthodologie, nous ne pouvions déployer, avec un préavis aussi court, une mission d'observation électorale à part entière », ajoute-t-il. Deux experts seulement seront dépêchés. Pour une « évaluation technique ».

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