Nabni veut réformer l'Algérie
Créé par de jeunes Algériens, le collectif Nabni prend la parole. Il vient de publier un Manifeste où il révèle son Algérie rêvée.
Par LAURÈNE RIMONDI
Le ton est donné d'emblée : "Afin que l'Algérie retrouve l'ambition de développement et l'audace perdues." À quelques jours des élections présidentielles du 17 avril, le collectif Nabni choisit de frapper fort avec ces mots qui ouvrent le manifeste présenté à Paris ce mercredi, après Alger le 22 février dernier. Celui-ci se veut être un véritable concentré des espoirs des citoyens. L'explication : sa conception via une plateforme web capable de recevoir le maximum de propositions. "Les Algériens aspirent au changement. Tous les candidats ont d'ailleurs basé leur campagne sur le changement, même s'il cela reste encore abstrait", confie Meziani Dhoulfikhar, membre du collectif.
Nabni souhaite constitutionnaliser l'interdiction de l'usage de la rente
Le cheval de bataille de Nabni ? La gouvernance. De fait, le collectif plaide pour "refonder l'action de l'État et sa relation au citoyen". " Il faut responsabiliser les gouvernants redevables envers la société autant que les gouvernés par le biais d'institutions inclusives des citoyens", dit le collectif. L'objectif : "renforcer l'État de droit". "Les citoyens font le lien entre la rente et les dysfonctionnements du pays. Le budget de l'État repose à près de 70 % sur la fiscalité pétrolière. Les exportations d'hydrocarbures représentent 98 % des exportations totales, alors que la part de l'industrie dans le PIB est passée de 7 % en 2000 à 5 % aujourd'hui", souligne le collectif. Afin de rendre l'industrie plus compétitive et sortir de la dépendance économique au pétrole, Nabni souhaite "constitutionnaliser l'interdiction de l'usage de la rente".
Autre aspiration : améliorer la transparence. "L'opacité est devenue un état d'esprit de la société algérienne, un mode de vie", déclare un intervenant à la présentation du manifeste. Solution : améliorer les données disponibles sur l'économie. Ainsi de l'impact des subventions dégagées et des résultats d'entreprises. "Nous devons développer notre appareil statistique", insiste Nabni.
Lucides et pleins d'humour, les Algériens paraissent impatients de se confronter aux urnes pour une Algérie nouvelle. Halim Lefkir, jeune chef d'entreprise de 23 ans, se prend à rêver. Il imagine les élections "comme un tournant décisif, la fin d'un cycle politique qui amènera à un renouveau". Arrivé en France il y a deux ans "avec un euro en poche", ce "rêveur et optimiste" souhaite un nouveau souffle pour son pays. Ses attentes ? La réforme du système éducatif d'abord, "afin d'inciter à l'innovation". Le jeune homme désire aussi moins de bureaucratie pour faciliter l'entrepreneuriat. Car Halim projette de rentrer en Algérie. "Je suis venu en France parce que, dans mon pays, on essayait de me mettre des bâtons dans les roues." Impatient, Halim souhaite aussi voir l'Algérie rayonner à l'international grâce une véritable politique sportive, "pour que l'Algérie retrouve des champions de haut niveau comme Hassiba Boulmerka et Nourredine Morceli".
Nabni insiste sur son côté non partisan
De quoi illustrer que Nabni, collectif né de manière complètement informelle via le Web, d'abord en Algérie puis à travers les diasporas, est un creuset de l'Algérie profonde. "Au moment du Printemps arabe, nous nous sommes demandé ce que nous pouvions faire, car nous ne voulions pas nous exprimer par la violence. Nous avions des compétences en économie, dans les hydrocarbures, la santé ou l'éducation. Nous souhaitions les mettre au service des citoyens. L'idée est venue de quelques amis et a fait tache d'huile", explique Samira Bekhti, une militante active du collectif. Comment tout ça s'est-il construit ? En 2011, Nabni lance "100 propositions pour l'émergence d'une Algérie nouvelle". "Nous avons réuni plus de 100 000 connexions sur notre page Facebook alors que seuls 10 à 15 % des Algériens possèdent Internet chez eux. Ce qui veut dire qu'ils se sont aussi déplacés dans les cafés", s'enthousiasme Samira Bekhti.
Nabni, un ovni qui s'assume
L'initiative reçoit donc un accueil plutôt favorable. Mais le statut de Nabni est hybride. De quoi en perturber certains. Présenté comme un think tank sans affiliation politique, il apparaît comme un ovni. D'aucuns le soupçonnent d'aller sur le terrain des partis politiques sans l'avouer. D'autres essaient de le récupérer pour mener campagne. Alors, Nabni résiste. "Nous ne voulons être associés à aucun parti politique", explique Samia. Un point de vue dont s'accommodent mal certains jeunes Algériens très diplômés présents au moment de la présentation du manifeste. Pour eux, il faut un projet idéologique. "Nous mettons notre expertise au service d'une cause. Nous faisons de la politique non partisane", insiste de son côté Meziani Dhoulfikhar, qui rappelle que le collectif est autofinancé par ses membres bénévoles et que, de toute façon, tous n'ont certainement pas les mêmes convictions idéologiques.
Nabni, un collectif qui veut libérer l'initiative
Preuve par l'humour du respect de cette approche : lors de la présentation du manifeste, les intervenants ont soigneusement évité tout vocabulaire partisan. Ainsi va pour "le candidat sortant" ou le "4e mandat". Ou encore "certaines mesures annoncées par cet actuel gouvernement dont on ne dit pas le nom ", autant de manoeuvres de contournement verbales bien inspirées par la philosophie de Nabni. Autres dispositions souhaitées : la création d'un organe de régulation dans le secteur de la santé ou la réforme de la durée du service militaire. Seule concession : le mot "social-libéral", qui pourtant crée un peu d'émoi parmi les membres de Nabni... avant que ne vienne cette précision : "Nous sommes des sociaux-libéraux dans le sens où nous voulons libérer les initiatives." En attendant que cet objectif se réalise, Nabni, qui s'intéresse aussi à l'éducation, la santé et la culture, cherche désormais de nouvelles expertises afin d'élargir son champ de compétences, notamment en matière d'industrie ou d'agriculture. Il s'agit maintenant pour Nabni que les initiatives, déjà en place, se développent, que des partenariats se nouent et que ses idées se concrétisent sur le terrain. Le chemin sera peut-être long, mais un bourgeon vient d'éclore.
source : Le Point
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