lundi 14 avril 2014

Oui, l'Atletico/Barça, c'est plus intéressant que les morts de Ghardaïa


« C'est un problème d'ophtalmologie », a résumé une amie avec pertinence. Pas à propos du sanguinaire Assad, mais de la situation algérienne. « Ils ne voient pas le même monde que nous ». « Ils », se sont Bouteflika, les siens, ses hommes d'affaires ou de mains. « Nous », se sont les autres, vous, moi, lui, ceux de l'autre côté. Car selon les bouteflikiens, le peuple les acclame ; Bouteflika s'est présenté sous insistance des gens et des applaudissements des foules ; il est aimé, chéri, désiré et ovationné. C'est peut-être ce que l'on montre au bonhomme puisque même Sellal l'a dit à Tiaret aux gens : « Bouteflika vous regarde à la télé ». Etrange pays où le candidat regarde un peuple à la télé alors que c'est le contraire qui doit se faire.

Et dans ce monde, celui de l'actuel Président candidat indépendant de sa volonté et de la notre, il est un devoir de rester pour le mandat à vie et les jets de yaourts, d'œufs et les meetings annulés et les « dégage ! » des gens sont le complot fomenté par l'ennemi juré : Ali Benflis. Face à un rejet inexplicable, le clan s'explique le monde par la théorie de la manipulation, du complot et du plan de déstabilisation benflissien. D'ailleurs, cette explication Bouteflika l'a même vendue à un ministre qui n'est concerné en rien par notre cas : le ministre des AE espagnol qui doit s'étonner encore aujourd'hui d'être impliqué dans cette affaire de couples et d'avoir écouté un Président lui parler du Barça et pas de Ghardaïa où les gens sont des victimes, pas des joueurs de foot et où le ballon est le pays, pas un ballon.

Donc, selon le « clan », tout s'explique : les Algériens veulent Bouteflika et s'il y a des incidents, c'est parce que Benflis fait du terrorisme et appelle à la violence. C'est simple. Donc on continue, on résiste et on défend le droit des Algériens de choisir Bouteflika qui mène une campagne « dure » en restant chez lui.

Pendant ce temps là, dans l'autre monde mais dans le même pays, on ne cesse de jeter des œufs et des yaourts, de manifester et de crier, de tourner le dos et de murmurer que « cela ne me concerne pas ». Dans cet autre monde, on ne comprend pas pourquoi cet homme tient plus à la Présidence qu'au pays et pourquoi il ne voit pas ce que nous voyons. A cause de l'ENTV, a dit Sellal qui a dit une vérité malgré lui : Bouteflika regarde trop la télé, la sienne, et cela lui montre un monde qui n'existe pas ou seulement selon Khelladi. Il a fini par croire la fiction et par tomber dans le délire bien connu du métier de Président à vie.

Et dans cet autre monde qui est le notre, on ne comprend pas cette insistance, ce déni du réel, ce cri compliqué genre « Qui êtes vous ? », cette Zenga-zenga affolée des meneurs de sa campagne, ce refus de voir ce que chacun voit. On ne comprend pas cet homme qui ose parler d'une équipe de foot espagnole et pas de son pays, de Ghardaïa, de nos morts, de la menace, de la violence, des guerres des gangs dans les cités, de la corruption. On ne s'explique pas que ce déni, pourtant habituel chez les « père des peuples », les dictateurs, puisse atteindre la myopie généralisée. Tragique symptôme qui, toujours, inaugure dans l'histoire des pays les divorces sanglants et les grandes révoltes. « Qui êtes vous ? » semble dire le bonhomme, sans ouvrir la bouche. Et, dans le gris de son monde en noir et blanc RTA, une voix sournoise et insidieuse lui répond : « Ce sont juste des benflissiens ». Et lui de rétorquer avec agacement: « Je vais le dire au prochain ministre qui me rend visite ».

 Une tragédie d'ophtalmologie, oui. Car, le chroniqueur n'a jamais vu un dictateur arabe porter des lunettes et surtout à l'approche des élections. Tout s'explique.

Kamel Daoud

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