Yahia Zoubir à “Liberté”
“L’Algérie est importante au niveau sécuritaire pour les USA”
Yahia Zoubir est professeur de relations internationales à Kedge Business School, à Marseille. Actuellement, il est professeur visitant à l’Institut franco-chinois de la Renmin University of China, campus de Suzhou.
Liberté : Avec votre regard d’analyste, comment percevez-vous l'élection présidentielle de 2014 en Algérie en termes d’enjeux nationaux, régionaux et internationaux ?
Yahia Zoubir : En tant qu’observateur, je ne peux qu’exprimer mon désarroi. En effet, comment un pays qui a engendré des Ben M’hidi, Didouche Mourad, Ali La Pointe, Amirouche, Krim, Abane, Zighout et autres se retrouve dans une situation aussi navrante. J’ai vu récemment l’entretien du président Bouteflika avec Kerry. La mise en scène — car il s’agit bien de cela — a fini par montrer un président en quémandeur envers la première puissance mondiale, faible, et balbutiant devant un Kerry en pleine forme, confiant, qui a su jouer le jeu de la diplomatie, mais qui a su en même temps mettre certaines choses au point : les États-Unis veulent une élection propre et n’acceptent donc pas la mascarade qui se prépare… même si, bien entendu, ils ne feront rien pour l’arrêter, l’essentiel étant que l’Algérie reste stable et continue son rôle de sous-traitant dans la lutte antiterroriste.
Pour revenir à votre question, il est choquant que les candidats à la présidentielle de 2014 n’aient pas de programmes probants qui pourraient mettre fin au drame algérien. Il est évident que ceux qui soutiennent un 4e mandat, vaille que vaille, le savent bien, et essaient de berner les citoyens algériens, laissant croire que si Bouteflika ne passe pas, ce sera le chaos. Cette élection, en termes d’enjeux nationaux, ne représente pas grand-chose, puisque ceux qui s’opposent au 4e mandat ne font pas le poids devant la machine bureaucratique et ont peu de soutiens au sein de la société civile, muselée durant la magistrature de Bouteflika. Ceux qui soutiennent Bouteflika, en dehors des courtisans bien connus, le font parce qu’ils attendent encore l’attribution de logements ou autres miettes distribuées à partir de la rente, acquise grâce au sous-sol et non à une économie productrice de richesses.
Pour ce qui est des enjeux régionaux, ils ne seront pas si importants, car la Tunisie, affaiblie économiquement, attend un soutien de l’Algérie, quel que soit le dirigeant algérien. La Libye, qui subit la politique des milices et n’arrive pas à construire un État, a besoin de l’Algérie et souhaitera la continuité. Quant au Maroc, il sait que l’Algérie est très affaiblie, et il en profite pour mieux pénétrer en Afrique, un continent où l’Algérie a perdu beaucoup de son poids, de ses réseaux et de son prestige.
Sur le plan international, depuis l’amendement de la Constitution, en 2008, et le 3e mandat qui s’en est suivi, on savait que Bouteflika allait avoir une présidence à vie qui ressemblerait à celle de Bourguiba, Ben Ali, ou Mugabe. Tant que les intérêts sont préservés, pourquoi s’alarmer ? De plus, l’Algérie n’a plus de politique qui fait des vagues. Que reste-t-il des positions de principe concernant le nouvel ordre économique international, le Sahara Occidental, la Palestine ?
Quelles devraient être, selon vous, les priorités du prochain président de la République qui sera élu le 17 avril, concernant la politique extérieure et, plus particulièrement, la politique régionale ?
De mon point de vue, les jeux sont déjà faits et l’élection de Bouteflika est pratiquement assurée. Dans ce cadre, le statu quo perdurera avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. Le pouvoir n’a rien appris des conditions ayant conduit aux soulèvements en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Yémen et en Syrie. Ses porte-paroles parlent même d’une main de l’étranger et autres balivernes. Si main de l’étranger il y a eu, c’est bien évidemment parce que les conditions lui permettaient de les exploiter à son profit. Aujourd’hui, ceux qui dirigent le pays sont en train de couper la branche sur laquelle ils sont assis ; le malheur est que le pays sera le vrai perdant avec une désarticulation du territoire.
L’Algérie vient de recevoir le secrétaire d’État américain, John Kerry, et l'émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad al-Thani. Comment traduisez-vous la vision de la première puissance mondiale (USA) quant au rôle de l'Algérie dans la région ? Et comment expliquez-vous cette “lune de miel” entre Alger et Doha ?
Pour les États-Unis, l’Algérie est importante au niveau sécuritaire qui a trait surtout au Sahel, mais aussi en Libye et en Tunisie, deux pays qui ont besoin du soutien militaire et financier de l’Algérie. Les rapports commerciaux sont aussi intéressants pour certains secteurs, notamment les hydrocarbures. Depuis la crise en Ukraine, il est possible qu’on encourage l’Algérie à continuer son rôle de fournisseur de gaz fiable pour l’Europe. Honnêtement, je pense que la “lune de miel” tient plus de rapports personnels entre Bouteflika et les émirs qataris. Les Qataris souhaitent vraisemblablement utiliser l’Algérie comme médiateur dans la crise qui les oppose aux Saoudiens et aux Émiratis.
Liberté : Avec votre regard d’analyste, comment percevez-vous l'élection présidentielle de 2014 en Algérie en termes d’enjeux nationaux, régionaux et internationaux ?
Yahia Zoubir : En tant qu’observateur, je ne peux qu’exprimer mon désarroi. En effet, comment un pays qui a engendré des Ben M’hidi, Didouche Mourad, Ali La Pointe, Amirouche, Krim, Abane, Zighout et autres se retrouve dans une situation aussi navrante. J’ai vu récemment l’entretien du président Bouteflika avec Kerry. La mise en scène — car il s’agit bien de cela — a fini par montrer un président en quémandeur envers la première puissance mondiale, faible, et balbutiant devant un Kerry en pleine forme, confiant, qui a su jouer le jeu de la diplomatie, mais qui a su en même temps mettre certaines choses au point : les États-Unis veulent une élection propre et n’acceptent donc pas la mascarade qui se prépare… même si, bien entendu, ils ne feront rien pour l’arrêter, l’essentiel étant que l’Algérie reste stable et continue son rôle de sous-traitant dans la lutte antiterroriste.
Pour revenir à votre question, il est choquant que les candidats à la présidentielle de 2014 n’aient pas de programmes probants qui pourraient mettre fin au drame algérien. Il est évident que ceux qui soutiennent un 4e mandat, vaille que vaille, le savent bien, et essaient de berner les citoyens algériens, laissant croire que si Bouteflika ne passe pas, ce sera le chaos. Cette élection, en termes d’enjeux nationaux, ne représente pas grand-chose, puisque ceux qui s’opposent au 4e mandat ne font pas le poids devant la machine bureaucratique et ont peu de soutiens au sein de la société civile, muselée durant la magistrature de Bouteflika. Ceux qui soutiennent Bouteflika, en dehors des courtisans bien connus, le font parce qu’ils attendent encore l’attribution de logements ou autres miettes distribuées à partir de la rente, acquise grâce au sous-sol et non à une économie productrice de richesses.
Pour ce qui est des enjeux régionaux, ils ne seront pas si importants, car la Tunisie, affaiblie économiquement, attend un soutien de l’Algérie, quel que soit le dirigeant algérien. La Libye, qui subit la politique des milices et n’arrive pas à construire un État, a besoin de l’Algérie et souhaitera la continuité. Quant au Maroc, il sait que l’Algérie est très affaiblie, et il en profite pour mieux pénétrer en Afrique, un continent où l’Algérie a perdu beaucoup de son poids, de ses réseaux et de son prestige.
Sur le plan international, depuis l’amendement de la Constitution, en 2008, et le 3e mandat qui s’en est suivi, on savait que Bouteflika allait avoir une présidence à vie qui ressemblerait à celle de Bourguiba, Ben Ali, ou Mugabe. Tant que les intérêts sont préservés, pourquoi s’alarmer ? De plus, l’Algérie n’a plus de politique qui fait des vagues. Que reste-t-il des positions de principe concernant le nouvel ordre économique international, le Sahara Occidental, la Palestine ?
Quelles devraient être, selon vous, les priorités du prochain président de la République qui sera élu le 17 avril, concernant la politique extérieure et, plus particulièrement, la politique régionale ?
De mon point de vue, les jeux sont déjà faits et l’élection de Bouteflika est pratiquement assurée. Dans ce cadre, le statu quo perdurera avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. Le pouvoir n’a rien appris des conditions ayant conduit aux soulèvements en Tunisie, en Libye, en Égypte, au Yémen et en Syrie. Ses porte-paroles parlent même d’une main de l’étranger et autres balivernes. Si main de l’étranger il y a eu, c’est bien évidemment parce que les conditions lui permettaient de les exploiter à son profit. Aujourd’hui, ceux qui dirigent le pays sont en train de couper la branche sur laquelle ils sont assis ; le malheur est que le pays sera le vrai perdant avec une désarticulation du territoire.
L’Algérie vient de recevoir le secrétaire d’État américain, John Kerry, et l'émir du Qatar, Cheikh Tamim Ben Hamad al-Thani. Comment traduisez-vous la vision de la première puissance mondiale (USA) quant au rôle de l'Algérie dans la région ? Et comment expliquez-vous cette “lune de miel” entre Alger et Doha ?
Pour les États-Unis, l’Algérie est importante au niveau sécuritaire qui a trait surtout au Sahel, mais aussi en Libye et en Tunisie, deux pays qui ont besoin du soutien militaire et financier de l’Algérie. Les rapports commerciaux sont aussi intéressants pour certains secteurs, notamment les hydrocarbures. Depuis la crise en Ukraine, il est possible qu’on encourage l’Algérie à continuer son rôle de fournisseur de gaz fiable pour l’Europe. Honnêtement, je pense que la “lune de miel” tient plus de rapports personnels entre Bouteflika et les émirs qataris. Les Qataris souhaitent vraisemblablement utiliser l’Algérie comme médiateur dans la crise qui les oppose aux Saoudiens et aux Émiratis.
Hafida Ameyar
source : Liberté Algérie
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