Il faut enfermer les gens ouverts

Tôt, il est sorti de l’école et s’est renfermé sur lui-même, son institutrice ayant déclaré par la suite qu’il n’était déjà pas très ouvert à l’origine. Il a travaillé un peu dans un parking fermé, s’est fait enfermer en prison quelques mois puis a ouvert un petit commerce qu’il a aussitôt fermé, réalisant qu’il valait mieux travailler dans l’informel.
Quand il s’est marié, il a enfermé sa femme, puis sa sœur, la sœur de sa femme, ses filles et enfin sa mère, en leur ordonnant de la fermer. Il a mis des barreaux à ses fenêtres, des rideaux à sa conscience et des vitres fumées à sa voiture, tout en fermant son compte bancaire pour faire croire qu’il est pauvre. Il est entré en politique par une porte fermée, lunettes noires et costume fermé jusqu’au cou, a grimpé dans la hiérarchie avec pour seul slogan la condamnation de l’ouverture, danger suprême pour la stabilité et la paix des familles.
Nommé chef de daïra, il a fermé son téléphone pour ne pas être dérangé, de même que le bureau d’un parti concurrent et quelques cafés réservés aux familles. Devenu wali, il a fermé son bureau pour ne recevoir personne ainsi que tous les accès menant à sa maison. Devenu ministre du Commerce, il a fermé des bars, ministre du Tourisme, il a fermé des hôtels, nommé ministre des Transports, a fermé le ciel à la concurrence, et ministre de l’Economie, a fermé des pans entiers de l’économie pour ne les laisser qu’à quelques généraux et enfants de l’oligarchie.
Un jour qu’il croisa son ami d’enfance, celui-ci demanda à le revoir. Ils se rencontrèrent à sa demande dans un endroit fermé et voyant son visage pâle et son teint maladif, son ami lui demanda pourquoi il ne s’ouvrait pas un peu. Il répondit fermement que l’ouverture créait des courants d’air et ceux-ci toutes sortes de maladies. Il avoua à son ami d’enfance le plus grand cauchemar de sa vie : être enfermé dans un hôpital… psychiatrique.

Chawki Amari
El Watan / CHRONIQUES POINT ZÉRO