samedi 17 novembre 2012

Benjamin Stora. Historien spécialiste de la guerre d’Algérie : «Un grand discours de Hollande pour lever une hypothèque»

-Quelle appréciation faites-vous de la célébration du cinquantenaire de l’indépendance ?
J’ai été surpris par la faiblesse des représentations audiovisuelles en Algérie. Il n’y a pas beaucoup de films et de documentaires et n’oublions pas que c’est par là que passe aussi la transmission de l’histoire, car cela touche un très large public. A part Zabana comme grand film de fiction, il n’y a rien. On parle d’une série documentaire sur Larbi Ben M’hidi et un autre film sur Krim Belkacem, mais jusque-là, il n’y a pas eu grand-chose. Pareil pour les grandes expositions ; à ma connaissance, il n’y en a pas eu. Alors qu’en France, il y a eu quinze films documentaires, trois expositions nationales et 150 livres écrits.
-Pourquoi la question de la mémoire continue-t-elle de structurer les relations entre l’Algérie et la France ?
Cela tient aux différences du nationalisme politique entre les deux pays. Du côté français, le nationalisme politique est structuré en grande partie sur la question coloniale et particulièrement sur l’Algérie. En Algérie, le nationalisme s’est construit sur la guerre d’indépendance qui est un marqueur identitaire très fort et qui continue à l’être encore, et cela quel que soit le pouvoir. Il est évident que ce rapport au temps et à l’histoire ne peut pas disparaître ou s’atténuer d’un coup. Il faut multiplier les gestes, les discours et les paroles, parce que les Algériens ont énormément souffert de l’histoire coloniale. C’est quelque chose de très fort qui s’est transmis de génération en génération. Et le fait qu’il y ait un silence du côté français entretient ce sentiment chez les Algériens, qui guettent ce genre de gestes. Il y a une grande attente du côté algérien. Même s’il y a de grandes expositions, des livres et des films, sur le plan politique il y a une grande attente.
-Justement, le président français, François Hollande, fera un voyage d’Etat en Algérie le 19 décembre prochain et il est sans doute attendu sur le terrain de la mémoire. Verra-t-on un geste fort sur cette question ?
Il faut espérer un grand discours, un grand geste et des lieux de mémoire. Il faut espérer en quelque chose, non pas pour en finir définitivement, car cela ne peut l’être. Cela était tellement long, l’histoire coloniale tellement difficile à vivre, des Algériens traités comme des indigènes qui étaient mis hors de l’humanité, la façon dont les mères étaient traitées, les enfants jetés sur les routes, le refus du respect de la dignité… c’est quand même quelque chose d’extrêmement profond et grave. C’est pour cela qu’on ne peut pas dire que tout va se régler par un seul geste ou un seul discours.
Mais que cela permettrait de lever une hypothèque. Je dois dire qu’on ne peut pas tout dire dans une seule visite, même si elle est importante, et une parole politique présidentielle est toujours importante, mais on ne peut pas tout en attendre. Tout ne va pas se régler instantanément. Après, il restera tout un travail à poursuivre sur l’écriture de l’histoire, les archives, les paroles mêlées, les voyages. Et aussi par le travail des intellectuels et des historiens qui vont confronter leurs points de vue sur l’histoire de la nation, le rapport à l’Europe et à la France, à la guerre et à la mémoire. Il faut que le débat se poursuive…

Hacen Ouali

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