Les historiens, et plus généralement les citoyens critiques, avaient salué la première prise de position du président Hollande, concernant le 17 octobre 1961, tout en regrettant qu'il n'emploie pas le terme adéquat pour qualifier ce massacre, un "crime d'État". Mais cela avait été un premier pas. Pourquoi faut‑il que le même gouvernement rende hommage à celui qui est, pour les peuples du Viêtnam (naguère d'Indochine) et d'Algérie, le symbole des pires exactions ? Car il n'y a eu qu'un seul Bigeard, celui qui mena de gaieté de cœur les guerres coloniales, les pires, « de la jungle indochinoise aux djebels algériens », comme il est écrit sur le site du ministère de la Défense.
Alors, oui, nous considérons que cet hommage officiel est un défi à l'amitié franco‑vietnamienne et franco‑algérienne. Nous qui connaissons bien l'opinion algérienne, nous savons bien que pour des milliers de familles, pour les vétérans, pour les enfants des torturés, le nom de Bigeard provoque aujourd'hui encore effroi et dégoût, en Algérie. L'hommage de la France officielle est un affront à ces gens‑là, en même temps qu'un déni d'Histoire.
Est‑ce que tous les Français ont conscience des actes tortionnaires horribles qu'a commis Bigeard en Algérie ?
J'aimerais tant pouvoir vous répondre « oui !» Mais, hélas, il y a encore en France des groupes de pression mémoriels qui exaltent sans honte le « bon temps des colonies », qui s'extasient devant les kilomètres de routes que « nous leur avons construites », sur les hôpitaux, les écoles, etc. Une partie de la presse, certains intellectuels reprennent cette litanie. Et il faut bien dire que, face à ce concert, les journalistes, les intellectuels, les historiens critiques ont du mal à faire entendre leur voix.
Si l'on reprend le "cas Bigeard", on doit bien constater que, hors une partie de la presse de gauche et, bien sûr, les réseaux sociaux, la protestation a été étouffée. Où sont‑ils, les intellectuels médiatiques qui, par ailleurs, s'émeuvent dès qu'il s'agit d'autres causes ? Où sont‑elles, les émissions de télévision où des historiens d'opinions diverses pourraient venir débattre du vrai bilan du colonialisme ? La méconnaissance du grand public n'est pas le fruit du hasard : elle a été voulue, construite même, par l'idéologie dominante.
L’ancien ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a fait un geste de déshonneur envers la mémoire des Algériens. L’actuel ministre français de la défense bafoue à nouveau les sentiments des Algériens en rendant un hommage officiel à Bigeard…
Longuet vieillit mal ! Ou plutôt, il revient à ses premières amours : militant des groupes d'extrême‑droite. Quand il était étudiant, il a participé à la véritable infection que constituent l'exaltation du colonialisme et le racisme dans la société française. Son "bras d'honneur" est en fait son déshonneur, ainsi que celui de tous ceux qui n'ont pas eu le courage de le dénoncer. Quant à Jean‑Yves Le Drian, qui s'est tu devant ce geste, on apprend par la presse qu'il a milité naguère à la Jeunesse ouvrière chrétienne. Je peux lui suggérer de regarder de près l'Histoire de cette organisation, qui figura naguère au premier rang des luttes contre la guerre ignoble d'Algérie. S'il le souhaite, puisqu'il est agrégé d'histoire, je suis prêt à entamer avec lui le débat historique sur le vrai comportement de Bigeard en Indochine et en Algérie.
Pouvez-vous nous éclairer davantage sur la pétition que vous avez lancée contre l’hommage à Bigeard ?
Elle est la seconde du genre. Déjà, Longuet avait envisagé le transfert des cendres de Bigeard aux Invalides. Une première pétition protestataire avait recueilli plus de 10 000 signatures, dont celles de M. Raymond Aubrac, Mme de Bollardière, la quasi‑totalité des historiens qui travaillent sur le colonialisme, les dirigeants du PCF, du Parti de gauche, d'Europe-écologie les verts, du NPA, etc. Nous pensions que l'arrivée de la gauche au pouvoir enterrerait définitivement ce triste projet. Il n'a été que reporté ! Ce qui montre que, dans ce domaine comme en d'autres, la différence entre la droite et une certaine gauche est parfois bien floue. Nous ne nous sommes pas découragés et avons lancé cette seconde pétition : nous reconnaissons à la famille de Bigeard et aux anciens d'Indochine le droit et le devoir même d'honorer leurs morts. Mais nous récusons catégoriquement tout hommage officiel, toute présence d'un représentant de la République.
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