dimanche 9 décembre 2012

Autopsie d'un grand cadavre jeté du haut d'Alger.

Analyse de la grâce (pas celle religieuse): un homme  énonce un dis- cours en bon arabe devant Boumediene, il y a trente ans. Celui-ci s'en souvient, le ramène vers Alger, l'habille correctement et lui donne un peu de Pouvoir, une chaise et un micro pour continuer à parler. Boumediene meurt mais sa grâce est éternelle: jusqu'à aujourd'hui, l'homme, ancien directeur d'école, vit dans la grâce, survit, fait de la politique et épouse les vents debout: Iran, FIS, éradicateurs, réconciliateurs, Bouteflikistes, etc. D'où la question par le contraire: si la grâce existe, qu'est-ce que la disgrâce?

C'est quand on tombe du dos du pouvoir et que le peuple n'amortit pas votre chute parce qu'il ne vous aime pas et parce qu'il se souvient de votre chaussure sur son cou. Dans les systèmes politiques, la disgrâce est un mystère: d'un coup, un homme puissant n'a même plus de cuillère pour manger. Ses téléphones meurent les uns après les autres et lui tournent le dos. «Votre poids politique est insuffisant pour effectuer cet appel», vous répond le réseau. Les amis s'éloignent et s'alignent sur les fils électriques comme des hirondelles qui se tiennent à distance, l'argent se fait rare ou sans goût, l'espace devient une veste étroite. Le monde devient une ingratitude et un os. Le pire est que l'opinion connaît rarement la raison exacte de la disgrâce mais on connaît son tracé sur le papier calque.

On n'a pas besoin d'être astronome pour voir un météorite qui tombe. Ces temps-ci, un conseiller «clandestin» de la Présidence est en disgrâce. Cela a commencé par des murmures à Alger, des articles, des détails puis des langues. L'homme est en poste depuis Chadli, avec le règne d'un décret non publiable. Il aura introduit en haut lieu cette culture baltaguia qui maintenant a des journaux, des hommes d'affaires, des TV et des réseaux: intimidations, grossièretés, menaces, séductions, téléphones, conservatisme bigot, populisme religieux, coercition, manipulations des passions et des déclassés, haine du francophone et du progressiste (une haine qui remonte d'avant la grâce, à l'époque de la nudité et de l'impuissance). Le bonhomme gouvernera longtemps les cuisines et avec cet art de décadence qu'avaient honoré les mamelouks, esclaves devenus rois d'Egypte. Parfait exemple de ces moments de faiblesse des royaumes quand l'intendant devient le vrai Roi.

D'un coup, ce conseiller ultra-puissant se retrouve aujourd'hui en train de perdre ses ailes, ses plumes et ses amis. Même ceux qui abusaient d'avoir un nom homonyme avec lui s'en démarquent en public. Et il n'est pas le seul. Un autre homme puissant, chef des rites, est lui aussi sur la liste ainsi qu'un ex-chef de gouvernement qui parle trop. Pourquoi? On ne sait pas. La grâce est un mythe doré, la disgrâce est un destin qui frappe. On voit le marteau mais jamais la main. Cela arrive et démontre que le pouvoir est un vent magique: il ne dépend de rien. Et les Algériens adorent regarder les disgrâces et le déroulement long du turban de l'homme qui retombe après avoir fait tomber bien d'autres. Cet homme incarnait profondément la déliquescence des institutions, l'encanaillement, la violence et le grand recul de l'Etat vers le Beylicat de la corruption. Il est tombé mais pas cette culture maffieuse qu'il n'est pas le seul à incarner en ces parages.

Il est tombé mais beaucoup d'Algériens des élites d'affaires et de politique continuent à commettre le crime d'abus d'obéissance et de servilité qui donnent à ce genre d'hommes, simples intendants à la présidence, tout le pouvoir qu'ils ont ou qu'ils avaient autrefois. Les écrasés sont les meilleurs cordonniers des semelles qui les écrasent. 
Kamel Daoud in Le Quotidien d'Oran.

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