dimanche 9 décembre 2012

La culture amazighe fait son chemin en Libye. Après avoir été longtemps ignorées, les traditions et la langue des Amazighs commencent à trouver leur place au sein de la société libyenne. Mais la reconnaissance officielle tarde à venir.

Pendant des décennies, ils n'ont pas été simplement victimes de répression : leur existence même a été remise en cause. Ils étaient torturés, jetés en prison ou exécutés pour le simple fait de parler leur langue ou de brandir leur drapeau. Bien que la présence des Amazighs en Libye soit antérieure à l'arrivée des Arabes musulmans au VIIe siècle, Mouammar Kadhafi a rejeté leur culture pour pouvoir défendre la thèse d'une nation arabe et unie.
"Nous étions marginalisés", raconte Mazigh Buzakhar, président et membre fondateur de l'association Tira, également connue sous le nom de Mouvement culturel amazigh. "On nous interdisait de parler et d'écrire notre langue."
Depuis la révolution, leur drapeau bleu, vert et jaune orné d'un signe stylisé se vend au côté du nouveau drapeau libyen sur la place des Martyrs, à Tripoli. Leur langue, le tamazight, dont l'alphabet ressemble à celui du grec, est présente dans les nouveaux médias et sur les nouvelles stations de radio.
Les Amazighs représentent environ 10 % des 6,5 millions d'habitants de la Libye. Selon l'Ecole des études orientales et africaines de Londres, on recense plus de 20 millions de locuteurs du tamazight en Afrique du Nord. Eparpillés dans des pays comme le Maroc, la Tunisie, l'Algérie, le Niger, la Mauritanie et le Mali, ils constituent l'une des ethnies les plus importantes du monde à ne pas avoir de pays.
Le tamazight comme seconde langue de Libye
La situation des Amazighs de Libye est symptomatique des problèmes que divers gouvernements du Moyen-Orient rencontrent avec leurs minorités - des Baloutches et des Azéris en Iran aux Coptes en Egypte. Dans les pays qui ont vécu le Printemps arabe, la chute des régimes autoritaires a révélé des conflits ethniques, religieux et culturels.
Selon Sara Aboud, une historienne de l'Université de Tripoli, Kadhafi a fait pression sur les chercheurs - y compris les étrangers - pour qu'ils réécrivent l'histoire en disant que les Amazighs sont des Arabes. Dans les années 80, un nombre important de militants amazighs ont été incarcérés et beaucoup d'entre eux ont disparu. Sous le régime Kadhafi, il suffisait de parler le tamazight pour être torturé ou exécuté. "La culture amazighe était taboue", explique Mazigh Buzakhar. "Kadhafi voulait un pays homogène." Les noms amazighs n'étaient pas non plus admis dans les registres d'état civil. "A cette époque, le plus sûr moyen de préserver notre culture était de la garder chez nous", observe Sara Aboud.
Après avoir subi des années de répression, une foule d'Amazighs - originaires notamment des montagnes Nafusa - se sont joints aux forces de la révolution et un certain nombre d'entre eux ont participé à la libération de Tripoli. Mais maintenant que la Libye réécrit sa Constitution, Buzakhar et Aboud craignent que le nouveau texte ne fasse l'impasse sur les droits et la langue des Amazighs. Des manifestations ont déjà eu lieu pour demander que la nouvelle Constitution reconnaisse la culture amazighe et que le tamazight devienne la seconde langue de Libye.
"Les mentalités restent arabisées", souligne Sara Aboud. C'est aussi l'avis de l'analyste Mohamed Eljarh, qui écrit sur le portail Middle East Online : "L'idée de diversité est étrangère à la Libye et aux Libyens. Certains de mes amis arabes considèrent la reconnaissance de la culture et de l'identité amazighes par la Constitution comme une menace à l'autorité et au contrôle arabes dans la région, et par conséquent à l'existence de l'identité et de la culture arabes. Beaucoup d'Amazighs avec lesquels je me suis entretenu craignent que le reste de la population ne reconnaisse pas le rôle qu'ils ont joué dans la révolution libyenne. Le Conseil national de transition a vaguement promis à maintes reprises que les droits des Amazighs seraient garantis et préservés sans conditions ou autres exigences."
"Je peux brandir fièrement mon drapeau"
Les Amazighs ont déjà manifesté à plusieurs reprises pour revendiquer de nouveaux droits. Beaucoup d'entre eux fondent leurs espoirs sur ce qui s'est passé au Maroc, où le tamazight est reconnu par la nouvelle Constitution et où une chaîne de télévision amazigh diffuse ses programmes dans les pays voisins.
Mais dans un pays comme la Libye, toujours aux prises avec des conflits, il y a bien d'autres priorités. Le nouveau gouvernement ne parvient pas à  contrôler les milices - y compris celles qui travaillent pour lui sous la houlette du ministère de l'Intérieur. Il doit faire face à des divisions tribales et régionales de plus en plus marquées, reconstruire l'économie et former une équipe qui fonctionne.
Cependant, les signes d'un renouveau culturel sont désormais évidents. Avant la révolution, c'était seulement dans des zones isolées que les habitants pouvaient affirmer ouvertement leur culture amazighe. "Mais nous nous sommes battus", commente Sara Aboud. Cette année, au moins une école, située dans le sud, commencera à enseigner le tamazight. Avec l'apparition de drapeaux amazighs dans les stands et du tamazight dans les kiosques à journaux, un changement progressif se faire jour dans l'attitude libyenne.
"Beaucoup de Libyens commencent à prendre conscience [de notre existence] et nous demandent ce que signifie ‘Amazir' [Berbère libre]", se réjouit Mazigh Buzakhar. Et Sara Aboud renchérit : "C'est tout nouveau, mais nous avons parcouru un long chemin. Maintenant je suis fière de dire que je suis Amazir. Et je peux brandir fièrement mon drapeau".
Terry Friel /The National

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