"Je suis né en 1954, l'année du début de la guerre d'Algérie", rappelle François
Hollande . En traversant la Méditerranée, le président ne va pas seulement tenter de cautériser les plaies entre deux pays, deux passifs, deux mémoires. En se rendant à Alger et à Tlemcen les 19 et 20 décembre prochain, il va aussi retisser les fils de son propre passé. Celui d'une famille française divisée par le conflit.
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"Mes plus anciens souvenirs remontent à l'époque où j'avais 6 ou 7 ans, raconte le chef de l'Etat à L'Express. Le général de Gaulle venait d'annoncer la tenue d'un référendum sur l'autodétermination. Je me rappelle la déception de mon père." Georges Hollande est un farouche militant de
l'Algérie française . A Bois-Guillaume (Seine-Maritime), où il s'est installé, il ne fait pas mystère de ses opinions. Il s'est présenté aux municipales de 1959 à Rouen sur une liste d'extrême droite parrainée par
Jean-Louis Tixier-Vignancour , futur avocat du putschiste
Raoul Salan . Le retrait d'
Algérie , Georges le redoute: "Il craignait le déclin de la France", commente François Hollande.
C'est en s'opposant aux idées de son père, Georges Hollande, militant de l'Algérie française, que le président s'est éveillé à la politique.
Sa mère, Nicole, assistante sociale engagée à gauche, n'est pas du tout de cet avis. On débat au sein du foyer. Le futur président s'éveille à la politique en discutant avec son père. "Ses idées, à l'opposé des miennes, m'obligèrent à construire ma pensée, à affûter mes arguments", expliquera-t-il dans
Changer de destin (
Robert Laffont ), publié au moment de la campagne.
En 1978, le jeune François va trouver l'occasion de se forger une opinion personnelle plus solide. Dans le cadre de sa scolarité à l'ENA, il est envoyé en stage pendant huit mois à l'ambassade de France à Alger - encadré par Bernard Bajolet , à l'époque conseiller diplomatique, aujourd'hui ambassadeur de France en Afghanistan. Hollande, qui n'a rien demandé, se morfond de ne pas être dans l'Hexagone, alors que la gauche est mobilisée dans l'espoir d'emporter les législatives de mars. Mais, d'un autre côté, il est ravi: "Je voulais comprendre ce qui pouvait expliquer cette passion qui avait saisi la France dans les années 1950 et 1960." Il épluche tout ce qu'il peut sur le sujet, lisant les écrits du reporter Yves Courrière , dévorant La Question , d'Henri Alleg , qui dénonçait la torture. Il voit le film italien La Bataille d'Alger.
En 2006, l'Etat algérien lui déroule le tapis rouge
Le pays connaît alors une époque de fermeture, marquée par la fin de règne de Houari Boumediene . Tenant d'un socialisme très idéologique, le chef de l'Etat a nationalisé les hydrocarbures, mené une réforme agraire. A l'ambassade, les rapports avec les autorités officielles sont réduits au minimum.
Un jour, avec un autre stagiaire, François Hollande prend la liberté d'aller rencontrer l'archevêque Léon-Etienne Duval . Une personnalité adorée des Algérois. Un homme au courage légendaire. "On ne peut pas parler d'amour universel de Dieu en se croisant les bras devant les injustices dont souffrent les hommes", disait le prélat, qui avait publiquement dénoncé les arrestations arbitraires pendant la guerre. Souvenir, encore ému, de François Hollande: "Il nous avait expliqué la réalité algérienne sans la dissimuler."
Quand il quitte l'Algérie, le jeune Normand est alors loin d'imaginer qu'il reviendra par la grande porte, vingt-huit ans plus tard. Le 8 juillet 2006, c'est comme chef de file de l'opposition française qu'il est accueilli à sa descente d'avion, à Alger, par le Premier ministre, Abdelaziz Belkhadem . L'Etat déroule le tapis rouge pour le premier secrétaire du PS. Un pied de nez à Jacques Chirac : durant le débat sur la loi du 23 février 2005, un amendement qui soulignait le caractère "positif" de la colonisation avait suscité la consternation du FLN. Finalement, l'amendement n'avait pas été retenu.
François a l'avantage de n'avoir aucun passé trouble
Au PS, ce déplacement dans un pays marqué par une violente répression fait grincer des dents. Qu'importe, le futur président compose une délégation avec les députés européens Stéphane Le Foll , Pierre Moscovici , Kader Arif , la sénatrice Bariza Khiari , l'ancien sénateur Claude Estier , Faouzi Lamdaoui (aujourd'hui conseiller à l'Elysée) et, surtout, l'historien Benjamin Stora , ami de Hollande et spécialiste de l'Algérie.
Les socialistes arrivent au Palais du peuple. Le chef de l'Etat, Abdelaziz Bouteflika , doit les recevoir une demi-heure. Le rendez-vous durera finalement plus de trois heures. L'hôte, qu'on disait fatigué, se révèle en pleine forme. Intarissable. Difficile, pour les invités, de placer un mot. Autre problème: tous les quarts d'heure, des serveurs apportent des verres de jus de fruit. Refuser la collation serait discourtois. "Personne n'osait se lever pour aller aux toilettes, se souvient un participant. Puis, au bout d'un très long moment, on y est allés un par un. Sauf François Hollande , qui a dû rester assis en sa qualité de chef de la délégation."
Le premier secrétaire fait bonne impression. Il a multiplié les gestes de condamnation de la colonisation, "système inéquitable et oppresseur", comme il l'affirme dans une interview au quotidien El Watan. "François a l'avantage de n'avoir aucun passé trouble", analyse Claude Estier.
A ses yeux, l'Algérie ne relève pas seulement des affaires étrangères
Rien à voir avec les ambiguïtés de François Mitterrand , qui fut le ministre de la Justice de Guy Mollet . Dans son ouvrage Devoirs de vérité, publié en 2006, le patron du PS se démarque clairement : "Nous sommes comptables du passé et responsables de l'avenir, écrit Hollande. La SFIO a perdu son âme dans la guerre d'Algérie. Elle a ses justifications, mais nous devons encore des excuses au peuple algérien. Et nous devrons faire en sorte que cela ne se reproduise plus." Repentance ? On n'en est guère loin, mais le terme est récusé par les socialistes.
En décembre 2010, François Hollande revient à Alger. Changement de contexte. Le député de Corrèze vise la candidature à la présidentielle. Son équipe lui propose moult projets de voyage. "On avait du mal à le faire partir, mais, quand on lui a parlé de l'Algérie, il a tout de suite acquiescé", se souvient son ami, l'avocat Dominique Villemot . L'arithmétique électorale a joué. "François Hollande est l'un des rares hommes politiques à avoir compris que l'Algérie était une question à part, qui concerne 6 à 7 millions de personnes en France, entre les anciens soldats, les immigrés, leurs descendants et les harkis ", note Benjamin Stora. "A ses yeux, l'Algérie ne relève pas seulement des affaires étrangères, surenchérit le ministre des Anciens combattants, Kader Arif. C'est aussi un sujet de politique intérieure."
Il mise sur la méthode qui l'a fait élire: l'apaisement
Suivi à la trace par les gardes du corps du FLN, encadré par une escorte motorisée qui fait retentir ses sirènes, l'outsider rend visite au premier président algérien et père de l'indépendance, Ahmed Ben Bella , dans sa maison du quartier Hydra. "Je connaissais quelqu'un de sa famille, se souvient François Hollande. On a monté le rendez-vous. Il m'a parlé de la France en termes chaleureux, il a raconté la bataille du Monte Cassino, à laquelle il avait participé, il a parlé de son passage à l'Olympique de Marseille, aussi, de son amitié avec le Che."
Le lendemain, le socialiste se promène sur les hauteurs de la cité, baignées par le soleil. Il fait une halte à la cathédrale Notre-Dame-d'Afrique, où est enterré l'archevêque Duval. En sortant, il répond à Canal +. "Monsieur Hollande, n'êtes-vous pas trop gentil pour un combat comme la présidentielle?" Il improvise une formule qui va relancer sa campagne: "Je ne suis pas là pour prendre au collet mes adversaires, pour les clouer à un croc de boucher. Je vais vous dire ce que je pense: le temps d'un président normal est venu."
Le 17 octobre 2011, sur le pont de Clichy, François Hollande rendait hommage aux Algériens victimes de la répression du 17 octobre 1961.
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