dimanche 30 juin 2013

Boudiaf, ou l’intolérable référence


Hier, dès l’aube, Alger était mise en coupe réglée. Des véhicules de police de toutes sortes étaient disséminés dans la ville. Le cimetière d’El-Alia et les alentours du siège du MDS, en particulier, avaient un air d’état de siège avec le matinal déploiement policier sans commune mesure avec la quiétude apparente des lieux.
Le spectacle était inquiétant. Jusqu’à connaissance du motif, du moins. Finalement, il ne s’agissait que de cela : empêcher les réunions publiques de commémoration de l’anniversaire de l’assassinat du président Boudiaf.
La boucle est bouclée, en quelque sorte : cinquante ans après l’Indépendance, l’État algérien fait étalage de forces policières pour empêcher des citoyens de brandir leur souvenir du révolutionnaire proscrit par le pouvoir du pays, dont il a initié la guerre de Libération, et de l’homme d’état trop précipitamment éliminé. Pour les Algériens qui n’ont pas postulé à intégrer la secte de la rente ou qui n’y ont pas été admis, l’Indépendance n’aura rien changé à leurs conditions : cela, ils s’en sont accommodés, en attendant un hypothétique changement de système. Mais les faits qui devraient nous accabler le plus, c’est qu’elle n’aura rien changé au traitement de nos vrais héros : leur image et leur mémoire sont toujours perçues comme subversives et ceux qui les célèbrent comme insurgés ! Ils sont pourchassés et arrêtés comme au temps de la “pacification” musclée.
Le pouvoir a fait d’Alger une cité interdite. Interdite à l’expression de revendications, aux déclarations d’opinions et aux témoignages mémoriels. Pour raison sécuritaire, nous dit-on. Mais la même raison ne l’empêche pas d’être ouverte aux manifestations de reconnaissance envers le régime bienfaiteur. Venant d’un pouvoir dont la police peut encadrer le déferlement de milliers de tifosis, grisés par la victoire de leur club ou irrités par sa défaite, la décision d’étouffer un mouvement de commémoration en souvenir d’une double icone de la cause de l’Indépendance et de la démocratie, sous prétexte d’ordre public, revient à une évidente prise de position politique. Une déclaration de position contre ce que représente, politiquement, l’itinéraire de Mohamed Boudiaf. Il aura beau se répandre en déclarations solennelles, il n’en reste pas moins que la journée du 29 juin, au lieu d’être encadrée comme jour de souvenir, elle aura été traitée comme date subversive.
Bien sûr, il n’est pas attendu du régime en place d’épouser la vision de l’inspirateur de la rupture historique de 1954. Autoritaire, liberticide, sectaire et prédateur, il ne peut être qu’indisposé par la popularité, même posthume, d’un leader qui évoque la citoyenneté et “l’Algérie avant tout”. Mais, cette fois-ci, le pouvoir n’a même pas semblé disposé à mettre les formes dans l’expression de son aversion pour le projet du défunt président.
C’est étrange comme “la réconciliation nationale” a fini par organiser la jonction de deux intentions : le 29 juin 1994, c’étaient les islamistes qui, en perpétrant un attentat contre la marche de commémoration de l’assassinat de Boudiaf, montraient qu'ils n’étaient pas disposés à tolérer la perpétuation de son souvenir ; dix-neuf ans plus tard, c’est le pouvoir qui, dans son style, émet le même message.
 Mustapha Hammouche
source Liberté Algérie

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