jeudi 20 juin 2013

Mohamed Gouali. Expert en Stratégie et Finance

«L’Algérie a besoin d’une véritable stratégie de développement»





- Les réserves de change ont diminué de 10 milliards de dollars, les revenus des exportations ont régressé de 20 milliards de dollars ces derniers mois. Si la tendance s’accélérait, quelles seraient les conséquences, selon vous, pour l’Algérie ?
Mohamed Gouali est managing director et dirige le pôle banque d’investissement d’une institution financière.
Il est l’auteur du livre Fusion Acquisition paru aux éditions Eyrolles (Paris).
 


La conséquence la plus grave serait la baisse drastique de son seuil de vulnérabilité. En d’autres termes, l’Etat algérien se retrouverait, dans toutes ses composantes, politique et économique, civile et militaire, sans capacité décisive pour anticiper, endiguer ou réagir contre les stratégies d’influence visant à déstabiliser sa souveraineté et à lui imposer des choix qui vont à l`encontre des intérêts du pays et de son devenir.

- Des dépenses colossales – plus de 500 milliards de dollars ces dernières années – mais l’Algérie n’arrive toujours pas à sortir de la dépendance vis-à-vis des hydrocarbures. Nous sommes-nous trompés de politique ?
 
Sans verser dans la polémique, ce n’est pas mon métier, je ne pense pas que l’on se soit trompé de «politique» car de mon point de vue, il n’y en a jamais eu une de sérieuse depuis 1999. Certes, il y eut une certaine illusion induite par l’effort de rattrapage dans les infrastructures de base entrepris lors du premier mandat. Cependant, très vite, ces initiatives se sont révélées adossées à un vide stratégique. Un pays comme l’Algérie, avec ses richesses humaines et naturelles, ses atouts et son potentiel, a l’obligation – et j’insiste sur ce mot – d’élaborer une vision ambitieuse pour son devenir pour les vingt prochaines années, portée par une stratégie de développement qui se focalise sur l’édification, à moyen terme, d’une économie diversifiée et compétitive, l’harmonie sociale et l’épanouissement culturel. C’est ainsi que l’on saura identifier et établir les priorités dans les projets de développement à lancer, créer une adhésion autour de ces projets et pourvoir l’Algérie de facteurs d’attrait distinctifs – la lisibilité de la stratégie et de ses objectifs en sont un premier exemple – pour les investissements à forte valeur ajoutée. Inscrits à l’intérieur de cette approche, chaque projet et chaque dollar investi – et non dépensé – réduiront graduellement le fossé qui sépare, secteur par secteur, l’Algérie des meilleurs pays émergents et développés.

- Sont-ce les compétences qui font défaut ou il y a d’autres raisons ?
 
Votre question est essentielle. Quand j’évoque la nécessaire vision stratégique que le pays doit élaborer, je souligne implicitement le rôle impérieux des compétences dans la création et l’exécution de ces missions complexes. Ce sont le niveau d’expertise et d’expérience,  avérées et crédibles, requis pour la concrétisation de ces objectifs qui arbitrera sur le choix des hommes. Pas l’inverse, et surtout pas d’autres considérations subjectives. A défaut, vous n’aurez qu’échec sur échec.
Si vous «trivialisez» une fonction, quelle qu’elle soit – y compris présidentielle –, vous en faites un élément neutre de votre équation de développement et de gouvernance. Vous la videz de la sophistication des compétences, de l’intelligence rationnelle et de l’intelligence émotionnelle nécessaires à son accomplissement et la rendez substituable. Autrement dit, n’importe qui peut prétendre à cette fonction, désormais sans réelle barrière d’entrée. Consciemment ou pas, vous mettez en place un processus d’échecs, établissez la culture de la médiocratie et perdez l’adhésion des compétences réelles qui iront s’accomplir sous d’autres cieux.
Mais il faut prendre garde. L’enjeu de survie stratégique, en ce début de siècle, de tous les pays, y compris les plus avancés d’entre eux, est l’innovation et la compétitivité. En d’autres termes, un pays sans une masse importante de compétences est un pays mort ou en voie de l’être. Il existe une formidable énergie qui émane de notre jeunesse aujourd’hui. L’espoir est permis de canaliser cette énergie sur des objectifs ambitieux et dans un écosystème de développement cohérent et méritoire, pour que l’Algérie atteigne le niveau auquel elle aspire.

- Le placement de nos réserves de change est-il en fait une bonne chose ?
 
Il y a peu de transparence sur les modes de placement que fait notre pays. Quelle est la proportion des achats d’obligations du Trésor américain, européennes, des prêts bilatéraux, ou l’investissement dans l’or ? Difficile à dire en l’absence de chiffres certifiés. Si le portefeuille de placements de l’Algérie se limite seulement à ces classes d’actifs, cela renseigne sur l’extrême conservatisme de la politique algérienne qui se contenterait de rendements quasi négatifs mais sans risque en acquérant des obligations américaines, allemandes ou françaises. Cette prudence extrême s’expliquerait peut-être par le fait que l’Algérie, ou du moins ceux qui ont en la charge, ne semble pas disposer de la volonté politique et de l’expertise nécessaire pour constituer des portefeuilles d’actifs dynamiques, dans les secteurs de pointe, qui auraient servi de leviers à la diversification de l’économie algérienne. Cela devrait être la mission du Fonds de régulation des recettes, mais cette structure, bien que fortement capitalisée, semble très timide dans ses initiatives. Là encore, seule une stratégie claire et cohérente peut donner un sens motivé à ce Fonds.

- Beaucoup pensent que l’Algérie aurait pu, largement, grâce à la manne financière, construire son économie, se mettre sur les rails de la modernité en diversifiant son industrie. Est-ce votre avis ?
 
La manne financière a déjà permis le désendettement du pays. Corollairement, elle lui a permis de retrouver des marges de manœuvre politiques, économiques et sociales dont elle avait été dessaisie par le FMI et le Club de Paris. Malheureusement, l’absence de vision et de stratégie de développement a fait précipiter les solutions de facilité : le tout-import au détriment de l’effort créatif dans la construction d’une économie diversifiée, les marchés de gré à gré et leur corollaire immédiat, une corruption massive au plus haut niveau de l’Etat, un manque de confiance du peuple envers lui-même…
La manne financière, couplée à une stratégie et aux immenses ressources du pays, peut encore faire faire un bond de plusieurs décennies à l’Algérie et lui permettre d’être parmi les pays émergents les plus dynamiques. Mais ceci ne sera vrai que si elle est au service d’un dévouement patriote, d’une compétence et d’une gouvernance rigoureuse. A défaut, elle continuera d’être la cible de prédateurs sans merci qui font fi des intérêts du pays.

- Avons-nous raté définitivement le virage ? La corruption et les mauvais choix économiques ont-ils irrémédiablement compromis l’avenir de l’Algérie ?
 
Virage raté ? Je préfère prendre un autre angle et parler plutôt des leçons à retenir pour nous permettre d’aller de l’avant. J’en distingue trois, mais bien entendu ce n’est pas exhaustif. La première est que notre pays a besoin d`une ambition et d’une orientation cohérente et crédible. La seconde est que les Algériens sont la matière première essentielle. Il faut leur faire confiance car ils sont capables de transcender les difficultés actuelles par leur potentiel et leur sens du sacrifice.
La troisième est que notre peuple, dont la mentalité a été forgée par des siècles de résistance, a plus que tout besoin d’un leadership non ordinaire, un leadership éclairé, ambitieux et intègre, qui fasse rêver tout en étant capable de résoudre les problèmes complexes d’aujourd’hui et de demain. C est à ces conditions minimums que l’Algérie saura sortir de l’impasse stratégique dans laquelle elle se trouve et retrouve le chemin de la prospérité durable.
Said Rabia- source El watan

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