FFS : de l’opposition à la cooptation
Plus de vingt ans après la marche de janvier 1992, le FFS...
«Que ceux qui ont entendu le FFS critiquer le pouvoir depuis deux ans lève la main !», plaisante Yazid, un militant du parti. «Avant, le FFS était un TGV, à l’avant-garde de toutes les contestations. Aujourd’hui, il n’est plus qu’un wagon arrimé à la locomotive du pouvoir», lance, désabusé, un militant du parti sous le couvert de l’anonymat. Alors qu’au niveau de la classe politique, le débat tourne essentiellement autour de la santé du Président et sur la situation du pays, le plus vieux parti de l’opposition semble aphone. Ce silence est perceptible sur le site du parti, où ne sont évoquées que les activités de ses responsables. Ou encore dans «Algérie-politique», un blog dans lequel le député et responsable de la communication, Chafaâ Bouaiche, sous le pseudonyme d’El Mouhtarem, avait l’habitude de vilipender le pouvoir et de s’en prendre aux adversaires du FFS, là aussi plus rien n’est publié depuis le 7 mai.Ni la maladie du Président ni la guerre de succession, qui a lieu actuellement au sein du pouvoir, n’ont fait sortir le plus vieux parti de l’opposition de sa torpeur. Un silence qui en dit long sur sa nouvelle stratégie politique.
Idem pour le journal en ligne La Nation, que dirige Salima Ghezali, qui depuis 2000 a intégré le cercle des proches de Hocine Aït Ahmed, dont elle devient conseillère, est en mode stand-by. La dernière mise à jour du journal remonte également au 7 mai. «En décidant de participer aux élections législatives de l’année dernière, le parti n’est plus en mesure de tenir le même rôle qui a toujours été le sien. Comment un parti qui légitime ce pouvoir pourrait-il en même temps s’en prendre à lui ? C’est impossible», résume un ancien cadre du parti. Le FFS, qui vient de mettre en place un présidium pour remplacer le vieux leader Aït Ahmed et nommer un nouveau premier secrétaire, Ahmed Betatache, lors de la tenue de son 5e congrès, avait déjà donné un aperçu de son repositionnement politique.
Mutisme
En choisissant pour thème principal «La reconstruction d’un consensus national», à la place du traditionnel mot d’ordre «du changement radical du système», les responsables du parti avaient donné un aperçu du changement de cap opéré par Hocine Aït Ahmed, qui se lit déjà dans les positions officielles du parti sur les questions nationales. Même la demande d’une «Assemblée constituante», cheval de bataille de la formation politique depuis sa création en 1963, semble avoir été jetée aux oubliettes lors du dernier congrès. «Le paradoxe actuellement avec le FFS, c’est que tous les mots d’ordre qui ont fait sa force, comme l’alternative démocratique, sont délaissés au profit d’autres plus consensuels, analyse Saïd Khelil, ancien numéro deux et figure historique du FFS. D’autre part, le parti a mis en berne ses thématiques habituelles au profit de thématiques nationalistes qui se veulent rassembleuses. Le parti veut faire croire aux militants que la situation nationale et régionale est tellement préoccupante, qu’elle demande le rassemblement de toutes les forces de la nation.»
Le mutisme actuel du parti vient conforter tous ceux qui soupçonnent celui-ci d’avoir négocié avec le pouvoir. En première ligne de ces accusations le «cabinet noir», composé de Mohand Amokrane Cherifi, Ali Laskri, Rachid Halet, Aziz et Karim Baloul et Saïda Ichlamène, objet de toutes les critiques. Soupçonné d’être le cheval de Troie du pouvoir, ce cabinet noir est également accusé d’avoir fait main basse sur le parti en profitant de l’âge avancé du leader du FFS.
Garanties
«C’est peu probable que Hocine Aït Ahmed soit resté en dehors des décisions qui ont été prises par le parti, estime un ancien secrétaire du parti. Même s’il donne l’impression de ne plus s’intéresser aux affaires, rien ne peut se faire sans son approbation.» Ce groupe est accusé d’avoir détourné le parti de sa mission originelle qui est de refuser toute «compromission avec le pouvoir», comme tient à le rappeler un militant, et de lui avoir tracé une nouvelle politique. «On n’est pas contre des négociations avec le pouvoir et la participation aux législatives, estime Saïd Khelil. Mais cette participation doit s’accompagner de garanties. Aujourd’hui le FFS est décrédibilisé et ses députés qui devaient faire de la politique autrement se comportent comme ceux des autres partis.»
A ce groupe, il faut ajouter le rôle que joue la journaliste des années 1990, Salima Ghezali, proche de l’ancien Premier ministre Mouloud Hamrouche. Elle pousserait en interne le parti à soutenir l’ancien Premier ministre de Chadli, au cas où il serait candidat à la présidentielle de 2014. Cette option semble avoir l’accord des membres les plus influents du parti qui avait adressé une invitation à l’ancien chef du protocole de Chadli, qui n’a pas donné suite. «L’ancien Premier ministre ne veut même pas de leur soutien, constate, avec une pointe de cynisme, un ancien cadre. Il connaît l’état des lieux et ne veut pas s’encombrer d’un parti qui ne représente plus que la Kabylie, Béjaïa et Bouira.» Lors d’un meeting à Béjaïa, Karim Tabbou, ancien secrétaire national du parti, écarté, a émis de graves accusations contre la direction actuelle et son leader, sans que ses propos soient contredits.
Grand écart
L’ancien député du FFS a expliqué que la stratégie du parti, après les événements de 2011, était d’initier des rassemblements dans les quartiers populaires d’Alger et dans plusieurs wilayas du pays, avant qu’une marche nationale ne soit organisée à Alger, à laquelle Hocine Aït Ahmed devait participer. «La direction du parti a subitement changé de programme, quand le pouvoir a décidé de contacter le FFS, révèle-t-il. Ben Salah et le général Touati sont allés négocier avec le FFS, des négociations auxquelles je me suis directement opposé, ce qui m’a valu d’être écarté du parti.» Au cours de son histoire, le FFS a souvent été contraint de faire le grand écart, mais il avait jusqu’à maintenant toujours refusé toute forme de compromission.
En 1997, Aït Ahmed décidait de la participation du parti aux élections législatives, alors qu’en 1995, il signait le contrat de Rome. Cette décision avait déjà brouillé son message auprès des militants. «Pour moi, 1997 est la date butoir, indique Saïd Khelil. Cette année-là, Aït Ahmed décide de participer aux législatives, alors qu’il venait deux ans plus tôt de signer la plateforme de Rome, qui fustigeait le pouvoir en place. Il y avait un hiatus.» Au lendemain de cette participation et devant le faible score obtenu par son parti, le leader du FFS, invité de la chaîne d’information française LCI, s’en prendra aux services de sécurité, qu’il accuse d’avoir volé son parti. «Le Président nous avait promis 20% et ce sont les services de sécurité qui ont réduit cela à 7%», affirme-t-il.
«Le parti s’est jeté dans les bras du pouvoir parce que la relève n’a jamais été envisagée par Aït Ahmed, reconnaît un cadre du parti. C’est le plus grand échec du zaïm qui a toujours fait en sorte que les cadres qui pouvaient lui succéder soient ou marginalisés ou écartés. Aujourd’hui, le parti n’est plus qu’un appareil qui a perdu la plupart de ses cadres.» Face à la possibilité de voir son parti ne pas survivre après sa disparition, Aït Ahmed a décidé de lier le FFS au régime pour assurer sa pérennité. «Il est clair que dans l’attitude d’une certaine connivence avec le pouvoir se joue l’après-Hocine, analyse un ancien cadre du parti. Je pense que Hocine estime qu’il n’a plus les hommes qu’il faut pour tenir le parti et le faire exister politiquement. Il a préféré l’associer au pouvoir que de le voir disparaître.»
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