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Montrellier. L'Algérie à la comédie du livre : mise en pluie
De mémoire de Montpelliérain, on n’avait encore jamais vu un mois de juin aussi pluvieux. La Comédie du Livre avait pourtant commencé sous un beau ciel, a priori favorable à l’Algérie avec le vernissage, jeudi 6, veille de l’ouverture, de l’exposition de Rachid Koraïchi à la galerie Saint-Ravy dans les venelles de la vieille ville. Une véritable pré-inauguration de la manifestation à laquelle du beau monde se pressait pour voir les œuvres de l’artiste algérien, dont l’original de l’affiche de la Comédie du Livre portant en entête, une calligraphie en miroir, «El Djazaïr houbi» (Algérie, mon amour).Si notre pays était l’invité d’honneur le mauvais temps s’est lui-même invité.
Le lendemain, météo favorable aussi, sauf dans le stand des éditeurs algériens où un vent glacial s’était imposé du fait de l’absence de livres ! On apprendra que les Douanes de Marseille les avaient bloqués, exigeant une caution équivalente à un paiement anticipé de la TVA. Les organisateurs, Kemal Yiahiaoui et Mohamed Iguerb de l’ENAG, étaient scandalisés, expliquant que l’Algérie a participé, cette année, au Salon du Livre de Paris et à d’autres manifestations et que les Douanes françaises ne percevaient la TVA que sur les livres vendus, lors du retour du stock vers l’Algérie.
En dépit de toutes les démarches entreprises, rien n’y fit. Il a fallu qu’un mécène anonyme, choqué par la situation, avance la somme qui avoisinerait les 5000 euros ! Ce n’est donc que dans la nuit du 7 juin que les livres venus d’Algérie ont pu être libérés et le stand achalandé pendant qu’une procession en fanfare traversait les lieux en hommage au jeune militant antifasciste, Clément Méric, battu à mort par des membres de l’extrême droite et décédé la veille à Paris.
Avec une journée de retard, le stand des éditeurs algériens a donc perdu un tiers de sa présence à la manifestation. Pour autant, la littérature algérienne (et sur l’Algérie), était partout présente dans les stands et, notamment, celui labellisé «Algérie, invitée d’honneur» (différent de celui des éditeurs algériens) qui regroupait des écrivains algériens connus vivant pour la plupart à l’étranger, ainsi que quelques auteurs marocains et tunisiens.
Cette dimension maghrébine serait le résultat d’hésitations et de tractations. On le sent bien dans les différents énoncés de l’édition. Le slogan officiel, «Autour des littératures contemporaines du Maghreb», s’accompagnait du commentaire : «L’Algérie et les littératures du Maghreb, invitées de la Comédie du Livre.» A-t-on voulu ménager des susceptibilités locales ou s’assurer de la fréquentation la plus large possible ? Dans les chuchotements recueillis ici, on évoque plus le lobby des rapatriés d’Algérie que la prédominance de la communauté marocaine dans l’Hérault. La municipalité et les organisateurs auraient ainsi été amenés à cet exercice d’équilibrisme des mots pour contenter tout le monde en assurant toutefois à l’Algérie la place qui lui avait été promise. De fait, après le vernissage de l’expo Koraïchi, la grande soirée littéraire d’ouverture a été consacrée à Boualem Sansal, et près de la moitié des 24 Moments Littéraires programmés ont concerné, soit un auteur algérien, soit la thématique Algérie.
Tous les écrivains mangeaient à la Maison des Relations internationales de Montpellier dont le jardin avait été aménagé en restaurant. Le spectacle, invisible pour le public, est très instructif des comportements et usages des écrivains entre eux. Il y a ceux qui se congratulent chaleureusement, ceux qui s’évitent soigneusement, ceux qui se lancent des regards sournois. En somme, les écrivains sont des êtres humains. Ici, Yasmina Khadra se plie à la pose photo avec les «Ambassadeurs du Livre», jeunes étudiants et étudiantes recrutés pour accompagner chaque auteur. Là, Abdelwhab Meddeb passe de table à table pour faire signer une pétition de soutien à la «Femen» tunisienne. Plus loin, Malek Chebel marche en veillant du coin de l’œil au cameraman qui le filme.
A notre table, on demande à notre confrère, Kamel Daoud quand paraitra son prochain livre, fortement attendu. Malek Djebel échange ses souvenirs de Constantine avec Rachida Moncef, critique littéraire à la chaîne III, laquelle se demande comment composer son programme. C’est qu’en trois jours, la densité et la simultanéité des manifestations obligent à des sacrifices. La rencontre sur Mohammed Dib déclenche une discussion sur l’écrivain. Abdelkader Djemaï en parle avec émotion. Sa simplicité légendaire. Sa casquette à carreaux semblable à celle des travailleurs émigrés. Dib à qui on le faisait remarquer avait répondu : «Eh bien oui. Ils vendent leur force de travail et nous, notre force d’écriture». Djemaï avoue qu’il éprouvait à l’égard du grand écrivain, un véritable sentiment de filiation, ajoutant ce beau jeu de mot : «J’ai le complexe de Dib».
Dans les allées boisées de la Comédie du Livre, autour du bassin central, des enfants répètent un spectacle consacré à la lecture. Certains sont sur des échasses ou en équilibre sur un ballon géant, tous sont vêtus de blanc et lisent à haute voix le même livre, intitulé Florilège 4. Un des enseignants présents nous indique le stand de l’Académie de Montpellier. Nous apprendrons que l’ouvrage est une sélection des meilleurs textes d’élèves, collégiens et lycéens. A sa quatrième édition, il est devenu un outil pédagogique mais surtout un moyen formidable de promotion de la lecture en milieu scolaire et d’organisation d’activités diverses : clubs de lecture, ateliers d’écriture, cercles poétiques… Une pépinière de lecteurs et d’écrivains en herbe. C’est à nos yeux la plus motivante des activités de la Comédie du Livre car elle s’inscrit dans une véritable perspective d’avenir.
Non loin de ce fourmillement, le pôle Manga où l’équipe de Z-Link, éditeur de la revue Laabstore, a donné de belles couleurs à l’expérience algérienne. Salim Brahimi et ses amis se sont attirés un grand succès auprès des fans du genre, notamment en animant des ateliers et une rencontre autour de l’édition du Manga en Algérie et en France, avec Adrien Lorenzo, éditeur de Montpellier (Booken Manga).
Impressionnant, l’espace des éditeurs du Languedoc-Rousillon, pour la plupart des petites maisons qui résistent au rouleau compresseur des grosses cylindrées de l’édition en s’attachant à leur terroir et à des productions, parfois artisanales mais de qualité. Parmi elles, les éditions Domens qui perpétuent le fonds Edmond Charlot et son parcours algérois. Un sujet sur lequel nous reviendrons.
Mais l’aspect le plus marquant de cette manifestation est bien l’action du Consulat d’Algérie à la réussite de la participation algérienne et, d’abord, au fait que l’Algérie ait été l’invitée d’honneur de cette 28e édition. Le consul, Khaled Mouaki Benani, et ses collaborateurs ont fait montre d’une disponibilité et d’un engagement de tous les instants. La réception organisée dans le magnifique siège du consulat, en présence de la mairesse de Montpellier et de représentants des autorités régionales, fut un grand moment de convivialité et de retrouvailles des écrivains algériens.
et les nouveaux auteurs ?
La Comédie du Livre a invité vingt écrivains algériens dans son programme officiel : Kaouther Adimi, Salim Bachi, Yahia Belaskri, Anouar Benmalek, Maissa Bey, Malek Chebel, Mourad Djebel, Abdelkader Djemaï, Daho Djerbal, Yasmina Khadra, Amar Lakhous, Waciny Laredj, Malika Mokeddem, Ahlam Mosteghanmi, Samira Negrouche, Boualem Sansal, Leïla Sebbar, Wassila Tamzali, Habib Tengour et Amin Zaoui. Une représentation de choix qui, naturellement, fait la part belle aux auteurs confirmés en mesure d’attirer les foules.
Mais cette sélection n’accordait que peu de place aux nouvelles signatures. En dehors de la jeune romancière, Kaouther Adimi, et de la poétesse, Samira Negrouche, il est regrettable que la nouvelle littérature algérienne, dont les tenants vivent pour la plupart en Algérie, ne fasse pas l’objet d’une promotion plus appuyée. Ce rôle a été néanmoins assuré en partie par le stand des éditeurs algériens, organisé par le ministère de la Culture et réalisé par l’ENAG, qui s’est efforcé de présenter des ouvrages relevant de la nouvelle génération d’écrivains, à l’image de Sarah Haïder qui n’a cependant pas pu venir à Montpellier.
En revanche, le romancier, Kamel Daoud, et la bédéiste, Nawal Laourred, étaient présents sur ce stand, même s’ils n’ont pu bénéficier de la grande visibilité assurée par la Comédie du Livre à travers ses rencontres très médiatisées. C’était aussi le cas de Fadela Mrabet qui, néanmoins, a su attirer ses fidèles lecteurs et lectrices pour des séances de dédicaces. Autre présence, celle de Louis Abadie, qui, en dépit de son âge très avancé, a été assidu au stand pour signer son livre, Mascara, une certaine capitale paru chez El Ibriz, Alger.
Ameziane Ferhani
Source El watan
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