lundi 24 juin 2013

Yella seddiki. Auteur de Matoub Lounès. Mon nom est combat

«Ses chants et sa vie se confondaient»





- Vous avez connu et côtoyé Matoub Lounès…
  Yella Seddiki, universitaire établi en France, est l’auteur du livre Matoub Lounès.
Mon nom est combat.  


Je crois pouvoir affirmer que jamais, je ne pourrais froidement me pencher sur le souvenir de Lounès Matoub. Lorsque ses assassins l’ont ravi à notre regard et à notre sensibilité, pensant ainsi tuer avec lui notre culture et nos espoirs, j’ai vécu comme un malheur le fait de l’avoir connu. Je m’explique : la personnalité de Lounès était si attachante que pendant un certain temps après sa disparition, j’avais regretté de l’avoir connu. Si, comme pour tous les Kabyles, j’étais accablé par la mort de Lounès, ma souffrance et celle de ses amis proches étaient, bien évidemment, plus intenses encore. Passé ce traumatisme, aujourd’hui, je me dis que c’est, bien au contraire, une chance exceptionnelle d’avoir côtoyé un personnage si glorieux, un poète si important qui, par la seule puissance de son art, a changé l’histoire.

- Quelle impression gardez-vous de ce chantre de la cause identitaire ? 
 
Comme pour tous ceux qui aiment la liberté, l’art et la grandeur, parler de Lounès Matoub, c’est aborder les tourmentes de notre histoire, de nos mythes et de notre culture. Parler de Lounès Matoub, c’est parler d’un villageois dont les chants et la vie se confondaient. Parler de lui, c’est également se confronter à la profondeur que dessine l’alliance du chant et de l’histoire, de l’individu réel et du mythe. Concernant cette question de l’identité, ce qui est important dans la trajectoire de Lounès Matoub, c’est que, s’il chante le mythe, c’est pour mieux faire advenir l’histoire concrète d’un peuple concret. L’identité des Imazighene est une identité dynamique puisque le poète la déleste des jougs d’une tradition parfois tyrannique. Pour Lounès, l’identité amazighe retrouvée demeure toujours vive. Dans son œuvre, l’histoire est abordée sous la lumière la plus critique, comme dans ces très beaux textes que sont Akit ay arrac-nnegh, A tidettwikem-ieabban, Regard sur l’histoire d’un pays damné, Communion avec la patrie, etc.

- Aujourd’hui, 15 ans après la disparition du Rebelle, on constate qu’il est toujours un grand symbole.
Comment expliquez-vous cela ?

 
Je crois que la puissance de Lounès Matoub est avant tout le produit de son art. Il a eu la chance d’être doté d’une voix naturellement belle, une voix qu’il a aiguisée jusqu’à la charger d’émotion, fut-ce dans ses interprétations les plus anodines. Le travail d’El Hasnaoui l’a conduit à réfléchir sur celui qu’il pouvait réaliser, aussi bien sur la voix que les orchestrations, dans le cadre de ses enregistrements. On peut en entendre les résultats dans des titres comme A mes frères, Amesfray ou encore Andattaazibt. Il y a ajouté la qualité unique de ses textes et des mélodies. Bref, Lounès Matoub a réuni en lui toutes les qualités que, de manière parfois séparées les unes des autres, possèdent les plus grands artistes. Sur ce point, je rappelle que Takfarinas me disait un jour que les mélodies de Lounès Matoub sont tellement belles que l’on n’a même pas besoin de leur ajouter quelque orchestration que ce soit. C’est cette séduction unique qui fait que, même s’agissant de ses poèmes choquants pour la morale commune, tous admettent qu’ils sont beaux.

- Dans votre livre Mon nom est combat, vous avez traduit des textes de l’artiste disparu. Peut-on savoir comment vous avez eu l’idée de consacrer un ouvrage à la poésie de Matoub ?
 
Je précise que ce livre est avant tout celui de Lounès Matoub. Si vous voulez un rappel biographique concernant l’admiration que j’ai pour Lounès, sachez que je l’écoute depuis que je suis enfant. J’apprenais les chansons et je les répétais aux enfants de mon village qui, pour beaucoup, en ce temps là du moins, n’avaient pas de magnétophone. Je ne savais pas que, avec mes moyens modestes, je remplissais moi-même une fonction sociale importante qui était la transmission. Pour en revenir à ce qui allait devenir Mon nom est combat, c’est un projet que lui et moi avions élaboré alors que nous étions, en janvier ou février 1996, en train de travailler sur les traductions en français du disque Tighri n’yemma (La Complainte de ma mère). Nous exhumions ainsi un projet que je lui avais proposé en 1992 et qu’il avait alors refusé. Ensemble, nous avons sélectionné les textes qui devaient y figurer. Il désirait que les versions françaises soient davantage des adaptations que des traductions. Quelques jours avant son assassinat, nous nous étions vus à Montreuil, dans un café géré par son musicien Alaoua Bahlouli. Il voulait que nous nous mettions à l’ouvrage en septembre 1998. Ses assassins en ont décidé autrement. Ce qui me fait plaisir, avec toutes les limites que peut comporter mon travail, c’est que des amis français, grands connaisseurs de la poésie, poètes eux-mêmes, m’ont demandé si certaines images étaient aussi belles en kabyle qu’en français. J’ai imperturbablement répondu que les images de Matoub, si belles en français, sont encore plus belles en kabyle ; que mes versions sont toujours moins belles que les versions originales.

- Pouvez-vous nous parler un peu de l’œuvre du Rebelle ?
 
Bien qu’il ait parfois cédé à un sentiment d’infériorité auquel le mépris du milieu intellectuel a nettement contribué, Lounès Matoub a, au mois les dix dernières années de sa vie, saisi l’importance de son œuvre. Il me disait de manière explicite qu’il voulait entrer dans l’histoire.
Force est de constater qu’il a acquis une place unique dans notre histoire puisqu’il est au croisement de plusieurs réalités et de plusieurs statuts. Ce qui me semble important de dire, c’est que l’œuvre poétique et musicale de Lounès Matoub ne démérite pas du mythe construit autour de lui.
Hafid Azzouzi El Watan

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