mardi 3 septembre 2013


Algérie : Amar Saadani à la tête du FLN, un bon remplaçant pour Bouteflika ?



LE PLUS. Jeudi dernier, l'historique parti politique algérien FLN a élu son nouveau secrétaire général, Amar Saïdani. La succession d'Abdelaziz Bouteflika est-elle pour autant toute tracée ? Ce serait méconnaître l'échiquier politique de l'Algérie, explique Abdelmalek Alaoui, co-auteur de "Le Maghreb dans les relations internationales". Il en présente les grandes lignes.


 Amar Saadani en visite à Paris le 22/02/07 (JACQUES DEMARTHON/AFP)
Amar Saadani en visite à Paris le 22/02/07 (JACQUES DEMARTHON/AFP)

Prenez dix spécialistes du Maghreb et enfermez les dans une pièce. Posez leur une question simple : qui dirige l’Algérie ? Il y a fort à parier que vous obtiendrez dix réponses différentes. L’Algérie est en effet l’un des pays du monde, avec le Pakistan, doté d’une structure de pouvoir extrêmement complexe, faite d’enchevêtrements obscurs.

A l’heure où l’ex-parti unique algérien, le FLN, vient de se doter d’un nouveau patron, Amar Saadani, se pose avec insistance la question de la succession du président Abdelaziz Bouteflika, usé par la maladieet quatorze ans de pouvoir. Décryptage.

Bouteflika : d’ange rédempteur à président qui s’accroche au pouvoir

Il devait être l’"ange rédempteur", celui qui rendrait à l’Algérie son honneur perdu dans les années 1990 par la guerre civile et la quasi-faillite économique.

Quand il accède au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika semble avoir toutes les cartes en main pour opérer une clarification du champ politique algérien. L’homme est éloquent, doté d’un verbe acéré, et il dispose de réseaux politiques internationaux puissants, forgés du temps où il était l’inamovible ministre des Affaires étrangères de Houari Boumediene.

Il a depuis consolidé ses appuis en devenant durant les années 80 et 90 le conseiller du richissime Sheikh Zayed des Emirats Arabes Unis, chez lequel il vit un exil doré, loin des intrigues algériennes.

Surtout, alors que le pays traverse une énième crise politique, Abdelaziz Bouteflika se présente à l’orée des années 2000 comme un recours qui porte "une certaine idée de l’Algérie", seul en mesure d’unifier un pays déchiré.

Après tout, les généraux et le FLN – qui tiennent une grande partie du pouvoir véritable – sont bien venus le chercher. Ils l’ont même quasiment supplié de venir succéder à l’ombrageux Liamine Zeroual qui a préféré démissionner plutôt que de continuer à diriger sans avoir les coudées franches.

Quatorze ans plus tard – alors que le bilan d’Abdelaziz Bouteflika est mitigé et que les affaires de corruption commencent à toucher son entourage, signe d’une chute probable – il semblerait qu’une partition similaire soit en train de se jouer et que l’Algérie se cherche un successeur.

Ceci intervient après plusieurs mois de quasi-vacance du pouvoir suite à un accident vasculaire qui a affaibli un peu plus un président déjà éprouvé par la maladie.

Alors, les détenteurs du pouvoir, tapis dans l’ombre, ont tenté, durant tout l’été, de convaincre le général Liamine Zeroual de revenir, de "rempiler", juste une dernière fois, une toute petite, ceint de son auréole d’homme incorruptible et intransigeant. La réponse a été ferme et courte : non.

Amar Saadani, l’homme du compromis ?

C’est dans ce contexte qu’il faut lire l’arrivée d’Amar Saadani à la tête du Front de Libération Nationale (FLN), l’ancien parti unique, miné par les querelles intestines depuis plus de sept mois après le débarquement de son ancien patron, Abdelaziz Belkhadem.

Élu à un score soviétique – 270 voix sur 271– Saadani passe pour être un proche du "clan Bouteflika" et aurait été adoubé par le frère du président, Saïd, qui dirige le cabinet présidentiel.

Expérimenté – il a été président du Sénat algérien – et relativement jeune – 63 ans – le nouveau secrétaire général du FLN semble avoir les qualités requises pour diriger un parti qui occupe une place centrale dans le système politique du pays. Si certains ont immédiatement voulu voir dans sa désignation à la tête du FLN un blanc-seing pour se présenter à l’élection présidentielle qui doit avoir lieu dans neuf mois, d’autres estiment que Saadani serait en réalité un ballon d’essai de la présidence.

En le mettant à la tête du FLN, Bouteflika garderait ainsi plusieurs fers au feu et s’assurerait que les autres prétendants à la magistrature suprême – dont le Premier ministre Abdelmalek Sellal ou son prédécesseur Ahmed Ouyahia – prendront soin d’exécuter son dernier souhait : garantir l’immunité de son clan et de sa famille face aux multiples accusations de corruption qui s’approchent du palais de la Mouradia.

ll n’est donc pas exclu que Saadani constitue une alternative au cas où il venait aux autres présidentiables la mauvaise idée de vouloir déclencher une chasse aux sorcières à l’encontre de l’entourage présidentiel.

Autre inconnue entourant le nouveau patron du FLN : quelle est l’attitude des généraux à son égard, et en particulier celle de celui que l’on dit être le véritable maître de l’Algérie : le général Mohamed Médiène "Toufik" ?

Toufik, le "Karla" Algérien ?

Tel le maître espion soviétique "Karla" immortalisé par John le Carré dans sa célèbre trilogie, le général Mohamed Médiène, dit "Toufik", n’a pas de visage. Tout juste existe-t-il une photographie jaunie de lui reprise sur internet mais dont l’authenticité reste encore à démontrer.

"Toufik" est partout, et donc nulle part, il est l’"absent omniprésent" de l’Algérie. Comme "Karla", il est à la tête des services secrets de son pays, et comme lui, il serait fumeur et ascétique, peu porté sur l’argent mais fanatique de la "cause".

Disposant d’antennes partout, d’hommes dévoués et bien formés, le général Toufik a un œil sur tout, contrôle, analyse, dissèque et influence. Rien ou presque ne se fait sans son assentiment.

Pour de nombreux experts, l’attitude du DRS – le service que dirige "Toufik" – dans le choix du successeur d’Abdelaziz Bouteflika sera donc déterminante. Dans ce cadre, il n’est pas anodin que des médias algériens aient fort à propos fait "fuiter" les résultats d’une enquête récente du DRS sur Amar Saadani, qui aurait confirmé la probité du nouveau patron du FLN.

En terre algérienne, un certificat d’adoubement de la part des services secrets est probablement ce qui se fait de mieux et Saadani sait qu’il dispose là d’une carte précieuse.

Toutefois, ceci ne signifie pas pour autant que le général "Toufik" aurait tranché en faveur de l’un ou l’autre des candidats potentiels. Comme Bouteflika, il est plus que probable que l’évanescent général ne se détermine qu’à la dernière minute, se ménageant ainsi la plus grande latitude possible pour conserver son statut de troisième colonne du pouvoir. De toutes les manières, le futur président – à moins de faire montre d’une indépendance inédite –aura besoin du DRS pour diriger le pays.

Un quatrième acteur ?

Reste qu’il subsiste une inconnue dans la formidable partie de billard à trois bandes qui se trame : la réaction du peuple algérien lors de la prochaine présidentielle. Peut-être que le facteur de disruption de la mécanique actuelle viendra-t-il cette fois des électeurs, qui pourraient manifester leur ras-le-bol en portant leurs voix sur un candidat "non-officiel" ?

Les cartes seraient alors rebattues pour la deuxième fois depuis l’indépendance de l’Algérie il y a plus de cinquante ans.

source Le nouvel Obs

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