Paternalisme, encadrement et répression
L’Etat français et l’émigration algérienne en France
Le couvre-feu imposé le 5 octobre 1961 par le préfet de police de Paris aux Algériens résidant dans la région parisienne, n’était pas la première mesure d’atteinte aux libertés prise par les autorités françaises à l’encontre de cette communauté. Cette disposition à caractère radical et extrême était inconstitutionnelle et représentait une atteinte grave aux droits et libertés. Elle s’inscrivait dans la continuité d’une politique caractérisée par l’encadrement administratif et la répression policière pendant plusieurs décennies.
En 1961, les Algériens étaient considérés comme citoyens français, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs que l’ensemble des autres Français. Le sénatus consulte du 14 juillet 1865 les considérait comme sujets français mais ils ne pouvaient alors prétendre à la citoyenneté française que s’ils acceptaient de renoncer à leur statut de musulmans. Ces dispositions qui ont caractérisé la politique coloniale de la France en Algérie furent progressivement levées à partir de la fin de la Première Guerre mondiale. On décida alors d’accorder la citoyenneté française à une minorité d’Algériens qui conservaient leur statut de musulmans en fonction de quelques critères : niveau d’instruction, participation à des assemblées élues et à des organisations professionnelles, engagement dans la guerre. En 1944, le général de Gaulle élargit l’accès des Algériens à la citoyenneté française. C’est à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale que la citoyenneté française fut réellement généralisée mais la loi consacra des inégalités en matière de droits politiques, en instaurant notamment les deux collèges. En 1958, le gouvernement français instaura un collège unique et accorda la pleine citoyenneté française à tous les Algériens.
Des atteintes graves à la constitution
En 1961, les immigrés Algériens résidant en France étaient donc juridiquement citoyens français. Les mesures qui leur furent appliquées représentaient donc des atteintes graves aux droits consacrés par la Constitution française. Les mesures de privation de liberté prises par la préfecture de police ne le furent pas par des instances judiciaires mais par l’autorité administrative, ce qui était illégal. Elles ne visaient pas des personnes en raison d’une atteinte au droit que celles-ci pouvaient représenter, mais en raison de leur appartenance religieuse et de leur région de naissance. Ce qui était anticonstitutionnel. En fait, les Algériens résidant en France furent traités depuis de longues années d’une façon particulière et on leur appliqua des mesures particulières qui ne concernaient pas les autres citoyens français.
Dès le début de la Première Guerre mondiale, l’administration française leva les restrictions qui concernaient le déplacement des Algériens sur le territoire de la Métropole. Il faut rappeler que les Algériens étaient soumis au permis de voyage institué par le décret du 3 septembre 1850 et maintenu jusqu'à la loi du 15 juillet 1914 qui rétablit la liberté de circulation entre la France et l'Algérie, confirmant ainsi une circulaire du gouverneur général du 28 janvier 1905 supprimant le permis de voyage pour les travailleurs algériens embauchés par des employeurs de la Métropole. Les protestations des colons qui préféraient disposer localement d’une main-d’œuvre abondante et à bon marché, ne réussirent pas à arrêter l’émigration, même si celle-ci fut freinée pendant quelques périodes.
La libre circulation qui fut confirmée par le décret du 17 juillet 1936 est interrompue de 1940 à 1945 et de nouveau instituée en 1946.
Dès le début de la Première Guerre mondiale, l’administration française leva les restrictions qui concernaient le déplacement des Algériens sur le territoire de la Métropole. Il faut rappeler que les Algériens étaient soumis au permis de voyage institué par le décret du 3 septembre 1850 et maintenu jusqu'à la loi du 15 juillet 1914 qui rétablit la liberté de circulation entre la France et l'Algérie, confirmant ainsi une circulaire du gouverneur général du 28 janvier 1905 supprimant le permis de voyage pour les travailleurs algériens embauchés par des employeurs de la Métropole. Les protestations des colons qui préféraient disposer localement d’une main-d’œuvre abondante et à bon marché, ne réussirent pas à arrêter l’émigration, même si celle-ci fut freinée pendant quelques périodes.
La libre circulation qui fut confirmée par le décret du 17 juillet 1936 est interrompue de 1940 à 1945 et de nouveau instituée en 1946.
Encadrer pour mieux surveiller
C’est à la ville de Paris qu’on doit entre les deux guerres les premières mesures d’encadrement de la population algérienne. On cherchait alors à encadrer une population jeune et travailleuse, le plus souvent non instruite et vivant dans des conditions insalubres. L’aspect policier n’était pas absent des préoccupations politiques et humanitaires. On chercha à encadrer les Algériens pour contrer la propagande des organisations syndicales et politiques, et en même temps à les gagner en améliorant leurs conditions de vie.
En 1925, on créa la Brigade Nord-Africaine dans le XVIIe arrondissement de Paris, rattachée à la préfecture de police qui entreprit d’encadrer les populations algériennes. Les lieux d’hébergement furent surveillés et leurs occupants fichés. Les chômeurs furent expulsés vers l’Algérie. Les mesures d’assistance permirent le développement du soutien médical et de l’instruction. Mais tout fut soumis à une stricte surveillance policière.
Pour freiner la propagation des maladies qui menaçaient une population fragilisée, on créa un hôpital spécialisé à Bobigny qui devint plus tard l’hôpital Avicenne.
L’assistance à caractère médical, social, éducatif resta tout le temps sous le contrôle des services de police. Dans les autres départements de France, l’administration ne développa pas les mêmes programmes d’aides et se confina aux mesures coercitives et à la répression.
Au milieu des années 1950, une pluralité d’acteurs animés par des préoccupations différentes s’étaient intéressés à la population des bidonvilles : les assistantes sociales municipales, des religieuses, des « associations auxiliaires de l’Etat », comme l’Amitié nord-africaine de Nanterre… L’administration se consacrait surtout à la résorption des bidonvilles, afin de soustraire leurs habitants à l’influence du FLN. Pour lutter contre les militants nationalistes, la surveillance et la répression prirent cependant rapidement le pas sur l’action sociale.
En 1954, on comptait plus de 200.000 FMA (Français musulmans d’Algérie) en France, dix fois plus qu’en 1946. Dans les années 1950, les nouveaux venus s’installèrent dans les baraques édifiées par les hôteliers sur des terrains vagues près des industries. Il était devenu urgent de contrôler cette population pour contenir la diffusion des idées nationalistes puis contrecarrer l’action des militants du FLN, en cherchant aussi à déloger et à neutraliser ces derniers. L’Etat français pensa à contrôler les ouvriers algériens par les infrastructures sanitaires, l’assistance administratives et le logement. Il chercha aussi à éliminer les grands ilots d’habitat insalubre qui s’étaient constitués dans les périphéries des grandes villes, devenant un danger pour l’hygiène publique et la prolifération des activités considérées comme « subversives ». En 1956, on créa la Sonacotral (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs originaires d’Algérie et leurs familles), qui devint la Sonacotra en 1963 (puis l’Adoma en 2007). Un premier projet de création d’un « organisme d’impulsion et de financement » du logement à destination des « FMA » (Français musulmans d’Algérie) est présenté en 1955 par le ministère de l’Intérieur qui dépose un projet de loi se fixant comme objectif de contribuer à la « civilisation » des musulmans en les logeant dans des « foyers-hôtels », encadrés et dirigés par un personnel spécialement sélectionné pour ses compétences en affaires musulmanes.
En 1925, on créa la Brigade Nord-Africaine dans le XVIIe arrondissement de Paris, rattachée à la préfecture de police qui entreprit d’encadrer les populations algériennes. Les lieux d’hébergement furent surveillés et leurs occupants fichés. Les chômeurs furent expulsés vers l’Algérie. Les mesures d’assistance permirent le développement du soutien médical et de l’instruction. Mais tout fut soumis à une stricte surveillance policière.
Pour freiner la propagation des maladies qui menaçaient une population fragilisée, on créa un hôpital spécialisé à Bobigny qui devint plus tard l’hôpital Avicenne.
L’assistance à caractère médical, social, éducatif resta tout le temps sous le contrôle des services de police. Dans les autres départements de France, l’administration ne développa pas les mêmes programmes d’aides et se confina aux mesures coercitives et à la répression.
Au milieu des années 1950, une pluralité d’acteurs animés par des préoccupations différentes s’étaient intéressés à la population des bidonvilles : les assistantes sociales municipales, des religieuses, des « associations auxiliaires de l’Etat », comme l’Amitié nord-africaine de Nanterre… L’administration se consacrait surtout à la résorption des bidonvilles, afin de soustraire leurs habitants à l’influence du FLN. Pour lutter contre les militants nationalistes, la surveillance et la répression prirent cependant rapidement le pas sur l’action sociale.
En 1954, on comptait plus de 200.000 FMA (Français musulmans d’Algérie) en France, dix fois plus qu’en 1946. Dans les années 1950, les nouveaux venus s’installèrent dans les baraques édifiées par les hôteliers sur des terrains vagues près des industries. Il était devenu urgent de contrôler cette population pour contenir la diffusion des idées nationalistes puis contrecarrer l’action des militants du FLN, en cherchant aussi à déloger et à neutraliser ces derniers. L’Etat français pensa à contrôler les ouvriers algériens par les infrastructures sanitaires, l’assistance administratives et le logement. Il chercha aussi à éliminer les grands ilots d’habitat insalubre qui s’étaient constitués dans les périphéries des grandes villes, devenant un danger pour l’hygiène publique et la prolifération des activités considérées comme « subversives ». En 1956, on créa la Sonacotral (Société nationale de construction de logements pour les travailleurs originaires d’Algérie et leurs familles), qui devint la Sonacotra en 1963 (puis l’Adoma en 2007). Un premier projet de création d’un « organisme d’impulsion et de financement » du logement à destination des « FMA » (Français musulmans d’Algérie) est présenté en 1955 par le ministère de l’Intérieur qui dépose un projet de loi se fixant comme objectif de contribuer à la « civilisation » des musulmans en les logeant dans des « foyers-hôtels », encadrés et dirigés par un personnel spécialement sélectionné pour ses compétences en affaires musulmanes.
Loger les Algériens pour mieux les contrôler
L’objectif moral n’était pas absent. On construisit un grand nombre de foyers, où l’on employa un personnel, en partie recruté au sein des anciens agents ayant servi dans les services coloniaux en Algérie. On chercha à dispenser aux Algériens des règles de comportement, à les éduquer, à la préparer à la civilisation. Ce grand ensemble de nombreux foyers disséminés autour des grandes agglomérations fut plus le fait des services du ministère de l’Intérieur qui avait acquis de l’expérience dans la gestion et le contrôle des populations nomades. On confia la direction générale de la Sonacotral au préfet Jean Vaujour qui fut directeur général de la sécurité en Algérie jusqu’en 1955.
L’administration accéléra la résorption des bidonvilles pour soustraire leurs occupants à l’influence du FLN. Les personnes relogées en foyer étaient strictement encadrées et surveillées par des personnels le plus souvent ayant acquis une expérience dans la gestion des populations civiles en Algérie pendant la guerre de libération. En 1959, on installa à Nanterre, pour contrôler les populations algériennes du bidonville, un bureau du service d’assistance technique aux Français musulmans d’Algérie (SAT-FMA) qui joua le même rôle que les services d’action psychologique de l’armée française en Algérie. Le capitaine Raymond Montaner, ancien chef de la section administrative urbaine (SAU) du Clos Salembier à Alger, dirigea ce bureau, avant de prendre la tête quelques mois plus tard de la FPA (Force de police auxiliaire) créée le 1er décembre 1959. Cette unité était composée de supplétifs algériens encadrés par des officiers de l’armée française qui avaient fait leurs preuves en Algérie. On passa ainsi de l’assistance et de l’encadrement administratif à la surveillance policière et la répression. Les FPA reprirent en France les méthodes utilisées par l’armée française dans les opérations menées contre le FLN en Algérie. Descentes de police, arrestations arbitraires, perquisitions sans mandats, fouilles, destructions des biens, tortures furent les instruments couramment utilisés par ses forces de police, entraînant quelques fois les protestations des élus municipaux. La préfecture de police couvrit ses actions qu’elle utilisa dans sa lutte contre les réseaux du FLN en France.
Boualem Touarigt
L’administration accéléra la résorption des bidonvilles pour soustraire leurs occupants à l’influence du FLN. Les personnes relogées en foyer étaient strictement encadrées et surveillées par des personnels le plus souvent ayant acquis une expérience dans la gestion des populations civiles en Algérie pendant la guerre de libération. En 1959, on installa à Nanterre, pour contrôler les populations algériennes du bidonville, un bureau du service d’assistance technique aux Français musulmans d’Algérie (SAT-FMA) qui joua le même rôle que les services d’action psychologique de l’armée française en Algérie. Le capitaine Raymond Montaner, ancien chef de la section administrative urbaine (SAU) du Clos Salembier à Alger, dirigea ce bureau, avant de prendre la tête quelques mois plus tard de la FPA (Force de police auxiliaire) créée le 1er décembre 1959. Cette unité était composée de supplétifs algériens encadrés par des officiers de l’armée française qui avaient fait leurs preuves en Algérie. On passa ainsi de l’assistance et de l’encadrement administratif à la surveillance policière et la répression. Les FPA reprirent en France les méthodes utilisées par l’armée française dans les opérations menées contre le FLN en Algérie. Descentes de police, arrestations arbitraires, perquisitions sans mandats, fouilles, destructions des biens, tortures furent les instruments couramment utilisés par ses forces de police, entraînant quelques fois les protestations des élus municipaux. La préfecture de police couvrit ses actions qu’elle utilisa dans sa lutte contre les réseaux du FLN en France.
Boualem Touarigt
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire