dimanche 31 août 2014

État islamique : le monde va voir naître une étatisation du djihadisme

LE PLUS. Le groupe djihadiste auto-intitulé État islamique (EI) contrôle désormais une région à cheval entre l’Irak et la Syrie et ses conquêtes se poursuivent. Est-ce un épiphénomène géopolitique ou une installation potentiellement durable ? Olivier Hanne, islamologue, et Thomas Flichy de La Neuville, spécialiste du monde iranien, proposent leur analyse de la situation.

 
Un combattant kurde à la frontière de la zone irakienne détenue par l'État islamique, le 23/08/14 (CHINE NOUVELLE/SIPA)

La brusque émergence de l’Etat islamique (EI) n’est pas un épiphénomène géopolitique, une construction fragile vouée à s’effondrer sous les coups des Peshmergas kurdes ou des bombardements occidentaux.

Elle se présente à l'inverse comme un événement clé qui ébranle les stratégies américaines établies depuis 2001.

Un renversement complet de politique

En effet, la liquidation du régime de Saddam Hussein a généré un chaos interne à l’Irak qui menace aujourd'hui sa production pétrolière. Devant ce risque, les Etats-Unis cherchent aujourd’hui à préserver les zones de production au sud dans la partie shî‘ite et au nord dans le Kurdistan.

L’exploitation du gaz de schiste américain ne rend pas indispensable l’importation de gaz irakien. En revanche, il est important d’empêcher une mainmise de la Chine, devenue l’adversaire principale des Etats-Unis, sur ces ressources stratégiques. 

Pour ce faire, les Américains ont décidé de mettre fin à la progression de l’EI. Armer les Kurdes ou d’autres minorités au détriment des islamistes sunnites se présente, à l’évidence, comme un renversement complet de politique. En effet, le Kurdistan armé menacera à terme la Turquie, alliée traditionnelle de l’Amérique, car les Peshmergas voudront venir en aide aux Kurdes du sud-est de la Turquie.

Après avoir sponsorisé le mouvement rebelle syrien contre Bachar al-Assad, les Etats-Unis découvrent qu’ils ne pourront limiter l’avance djihadiste sans s’appuyer sur le dictateur honni.

Enfin, comment contenir l’essor du califat sans le soutien de l’Iran et des populations shî‘ites irakiennes, qui ont réussi à bloquer l’avance de l’EI vers le sud ? Au cours des derniers mois, les Etats-Unis, se sont ostensiblement rapprochés de l’Iran tout en prenant leurs distances avec Israël, critiquant notamment à mots feutrés l’opération militaire Bordure protectrice (juillet-août 2014). Ce mouvement s’est aujourd’hui accéléré. 

Une étatisation du djihadisme

Les Etats-Unis ménagent toutefois encore leur mauvais allié saoudien, terrorisé par la menace d’un Etat islamique pouvant le faire voler en éclats. De fait, le wahhabisme saoudien se veut dynastique et réalise que l’EIa une prétention théocratique et universelle. Obama n’a d’ailleurs pas émis de protestation à l'encontre des bombardements saoudiens en Libye, État destiné à devenir la métastase nord-africaine de l’EI, un émirat sous obédience du califat irakien.

Le monde voit ainsi naître une étatisation du djihadisme, commencée dans l’Afghanistan des Talibans en 2001 puis dans l’Azawâd malien en 2012. D’autres émirats pourraient préparer bientôt leur éclosion. 

(DR Olivier Hanne)


À l’inverse, le Qatar, lui aussi allié des Etats-Unis, et par lequel sont passées une partie des armes à destination des rebelles syriens, fait désormais l’objet de toutes les méfiances en raison de son soutien aux courants islamistes sunnites. Contrairement au wahhabisme saoudien, les Qataris professent un salafisme qui a vocation à s’étendre. Pour faire régner la loi de Dieu, tous les alliés sont bons à prendre.

De nouveaux rapports vont se nouer

Le choix par les Etats-Unis d’une politique réaliste au Moyen-Orient, qui est en train de prendre de court les chancelleries européennes, se traduit par un nouvel équilibre dont les éléments majeurs sont les suivants : la Turquie, menacée à l’est par le Kurdistan armé est fragilisée en raison de son soutien aux islamistes syriens et libyens. Israël, qui a le plus grand mal à stabiliser la bande de Gaza, peut tenter de jouer l’alliance avec l’Egypte afin de se présenter comme un glacis empêchant la connexion entre le califat Irakien, son émirat Libyen et ses implants africains.

Ce duo deviendra à terme la "muraille objective" contre le danger islamiste. L’antagonisme entre le Qatar et l’Arabie Saoudite est exacerbé.

Enfin, de nouveaux rapports vont se nouer entre les puissances identitaires que sont l’Iran et la Russie, qui ont misé triomphalement sur une politique réaliste du temps long, et l'Amérique d’Obama, engluée dans ses contradictions diplomatiques.  

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1235071-etat-islamique-le-monde-va-voir-naitre-une-etatisation-du-djihadisme.html


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