De l’Algérie à la Charente-Maritime, de Tizi-Ouzou à Jonzac
: Les vies de Belkadi Belkacem Il ne fait pas de bruit. Depuis belle lurette,
Belkadi Belkacem a endossé les habits de la modestie. C’est avec recul et
discernement qu’il parle des problèmes que rencontre la France confrontée à des
intégristes se revendiquant de l’Islam. « Ce sont des ignorants, sûrement pas
des Musulmans » dit-il. Cet homme, qui fêtera cette année ses 80 ans, a vécu
non pas une existence, mais plusieurs avec une volonté constante, celle de
s’instruire. Belkadi Belkacem arrive au
rendez-vous.
Ponctuel comme à son habitude. Petites lunettes sur le nez,
manteau bleu marine et cette façon qu’il a toujours eue de se fondre dans le
décor. A l’évocation de sa vie, on comprend pourquoi il observe la prudence,
lui que la guerre a placé au cœur d’événements dramatiques. Il est né en
Kabylie, dans un petit village non loin de Tizi-Ouzou. Un hameau isolé,
accroché à la montagne, où ses parents cultivent des terres en fermage. « La
vallée était réservée aux Français, les terres du haut à des Algériens aisés.
On y récoltait des olives, des céréales, des figues ». Il est le troisième
d’une fratrie de huit enfants. Six garçons et deux filles. A cette époque, la
seule école qui existe dans les environs n’est pas réservée aux petits paysans
qui doivent se débrouiller dès leur plus jeune âge. « Je n’avais pas accès à
l’apprentissage de l’écriture et de la lecture.
J’ai donc grandi illettré.
J’avais faim et froid. Nous n’avions pas de chaussures parce que nous ne
pouvions pas nous le permettre. Nos parents avaient juste de quoi nous nourrir
». Belkadi Belkacem apprend à
s’endurcir, à résister. Très jeune, il travaille aux champs. Vers l‘âge de 14,
15 ans, il cherche un travail. « Nous nous rendions à la ville à pied parce que
nous ne pouvions pas prendre le bus ». Face à la pauvreté, la communauté est
solidaire et s’entraide. Cartes anciennes d'Alger et sa région Rattraper le
temps perdu Il devient manœuvre. « J’ai
vite compris qu’il y avait mieux que la vie d’illettré. Je voulais sortir de ma
condition. J’ai commencé à faire des calculs, à apprendre le français ». Plus
tard, c’est à l’Armée, où il reste 27 mois, qu’un Frère accepte de l’instruire.
« J’avais alors 20 ans et j’étais décidé. Il m’a fourni un cahier, un stylo,
des livres. Je savais qu’avec des connaissances, ma vie serait meilleure »



.Cartes anciennes d'Alger et sa région
De
la guerre d’Algérie déclarée en 1954 pour se terminer en 1962, Belkadi Belkacem
garde un souvenir douloureux. « C’était en 1958. Un attentat avait eu lieu en
ville. Au moment où je quittais mon travail, j’ai été arrêté alors que j’y
étais pour rien. Je suis resté dix jours dans un commissariat où je ne suis pas
parvenu à prouver mon innocence ». Loin d’être relâché, il est transféré dans
un camp : « Nous étions entassés les uns sur les autres. Le jour, nous étions
de corvées. On essayait d’aider les plus âgés d’entre nous, les conditions de
détention étaient terribles ». Il est dirigé vers un autre site où les locaux,
autrefois destinés à la formation professionnelle, sont plus spacieux. « Notre
travail était rémunéré. Très peu, mais c’était toujours ça ». Il reste près
d’un an emprisonné. A sa libération, il veut en connaître les raisons : « Le
chef de centre a dit à mon beau-père qu’il n’y avait rien dans mon dossier,
mais qu’il me retenait au cas où on viendrait me dénoncer. Cette épreuve a
développé mon esprit. Dans le dernier centre, se trouvaient des personnes
instruites avec lesquelles j’avais des conversations. Quand j’ai eu la chance
de sortir de ce bourbier, j’ai vraiment tout fait pour retrouver une vie
normale ». Malheureusement, l’Algérie traverse un période délicate et Belkadi
Belkacem est sans emploi durant plusieurs mois.
Le plan de Constantine,
appliqué après l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle, relance la
construction. Il est ambitieux et prévoit 200.000 logements permettant
d'héberger un million de personnes. S’y ajoutent la redistribution de terres
agricoles, le développement de l'irrigation, la création d’emplois industriels,
la scolarisation de tous les enfants en âge d’aller à l’école, l’emploi d'une
proportion accrue de Français Musulmans d'Algérie dans la fonction publique et
l'alignement des salaires sur la métropole. Les événements ne permettent que
des réalisations limitées et précipitées du plan initial. Il retrouve donc du
travail et c’est un Père blanc qui l’encourage à poursuivre ses apprentissages.
« Je me suis inscrit aux cours du soir. Nous étions une quinzaine.
J’ai étudié
pendant deux ans et obtenu mon examen. Tout devenait clair peu à peu.
Quelquefois, j’étais sur mes cours bien après minuit. Je voulais réussir ». Il
rejoint l’usine Michelin et grâce à la formation professionnelle, il obtient
son BEP de chaudronnier. Ensuite, il entre chez Bosch, groupe spécialisé dans
l’électro-ménager et apprend l’allemand. « J’ai mis beaucoup de volonté à
avancer car je voulais rattraper le temps perdu ! ». L'usine Michelin à Alger
Marié, père de quatre garçons et deux filles, il a veillé à ce que ses enfants
aient de l’instruction : « J’ai tiré des enseignements de ma jeunesse dans la
montagne. Mes fils ont fréquenté l’université et c’est pour moi un bonheur. Ce
sont des hommes qui peuvent se débrouiller ». Cette blessure infligée par la
dureté de son enfance, Belkadi Belkacem l’a exorcisée. On peut même dire
qu’elle a renforcé son caractère : « je souhaite toujours approfondir mes
connaissances.

L'usine Michelin à Alger
Je crois qu’il en sera ainsi jusqu’à la fin de ma vie !». « Les
intégristes ne sont pas des Musulmans, mais des ignorants » Au moment de prendre sa retraite, Belkadi
Belkacem a choisi de s'installer en France, l’Algérie traversant des périodes
agitées. « Il y avait du terrorisme et j’avais peur pour mes enfants ». Nadia,
sa femme, arrive à Jonzac en 1999 où il la rejoint en 2001. Il ouvre une parenthèse
pour expliquer pourquoi son pays n’a pas encore trouvé l’apaisement, le
gouvernement algérien étant opposé à des extrémistes. Les consignes restent
d’ailleurs à la prudence pour les ressortissants étrangers. Les déplacements
sont en particulier déconseillés au Sud et à l’Est de l’Algérie. C’est le cas
notamment dans la région de Tizi-Ouzou, où l’enlèvement d’Hervé Gourdel s’est
produit le 21 septembre dernier et où onze militaires algériens ont été tués en
avril lors d’une attaque terroriste près de la commune d’Iboudrarene.
Tizi-Ouzou et la mairie Pourquoi a-t-il choisi la Charente-Maritime ? «
Autrefois, les Algériens qui quittaient leur pays étaient encadrés par
l’Assistance publique. Les formalités ont changé et ils doivent trouver une
famille d‘accueil. Ce qui a été mon cas. Ma femme et moi-même avons la double
nationalité. J’apprécie la France et la ville de Jonzac où je n’ai jamais eu de
problèmes. J’applique un principe simple : je ne fais pas aux autres ce que je
ne voudrais pas qu’on me fasse ».
Musulman pratiquant, il accepte de parler des récents attentats qui ont
endeuillé la France. « Ces événements nous ont consternés et nous avons
participé à l’élan de fraternité qui a suivi. Les gens qui ont commis ces actes
horribles ne sont pas des musulmans, mais des ignorants. Dans le Coran, il y a
de la liberté, de la démocratie. Les hommes qui ont commis ces gestes barbares
ne connaissent pas le Livre. S’ils l’avaient lu, ils n’auraient jamais fait ça
». Au sujet des caricatures du prophète
Mahomet, il estime que chaque individu a sa propre sensibilité. « Sans remettre
en cause la liberté des dessinateurs, il faut comprendre que cela puisse nous
choquer et que d‘une certaine manière, nous puissions nous sentir salis. Pour
nous, Mahomet est la meilleure créature de Dieu ; ce qu’il nous a légués en
héritage est une ligne de conduite. La liberté d’expression ne veut pas dire
être irrespectueux par rapport aux croyances ». - « Que pensez-vous des jeunes
qui vont faire le Djihad ?» « Là encore, c’est de l’ignorance. Le djihad, ce
n’est pas combattre l’autre, mais chasser le mal qu’on a en soi pour
s'améliorer et améliorer la société » remarque Belkadi Belkacem. Et de déplorer
les amalgames faits actuellement : « dans les commentaires, on entend tout et n’importe
quoi.
C’est pourquoi les personnes, qui ne prennent pas le temps d‘analyser
correctement les situations, ont peur. Si un jeune savait ce qu’est exactement
le Djihad, il comprendrait que cela n’a rien à voir avec ce que certains lui
proposent. En instaurant la haine, il est facile de convaincre des esprits peu
avertis. Et j’en reviens à l’éducation. C’est par elle que nous pouvons évoluer
et faire progresser la société pour vivre en paix ». Belkadi Belkacem sait de
quoi il parle. Il a connu la misère, les conflits, l’intolérance, le
déracinement. Loin d’en porter les stigmates, ces épreuves l’ont fait grandir
au contraire. « Si vous aviez un message à délivrer, quel serait-il ? » : «
Qu’il faut toujours réfléchir avant d’agir ». Simple et efficace en effet,
surtout quand cette réflexion est le fruit de l’expérience… • Au sujet de Daech
: « Ils veulent nous replacer quatorze siècles en arrière. Rien n’est
aujourd’hui comparable, à commencer par le nombre d’habitants. Par ailleurs,
tant que Palestiniens et Israéliens ne trouveront pas un terrain d’entente, il
y a malheureusement à craindre des problèmes persistants ». • Et le voile ? «
Ce n’est pas un sujet de discussion dans le Coran. Lorsqu’elles sont à
l’extérieur, les femmes doivent avoir une tenue correcte et ne pas faire de
provocation. Quand elles sont chez elles, elles sont libres d’agir à leur
guise. Le Coran a fait avancer la condition féminine ». Envoyer par e-mail
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Chantal17 a dit… Ce n’est pas parce que Monsieur Belkadi Belkacem a eu une vie
difficile, qu’il est musulman et opposé aux actes terroristes, que ses propos
font foi. Comment ne pas réagir quand il écrit « Les intégristes ne sont pas
des musulmans » et « Le Coran a fait avancer la condition féminine » ?! «
Les
intégristes ne sont pas des musulmans » Bien sûr que si ! Leur vie est même
dictée par la religion. Les Français qui partent faire le djihad ont fréquenté
des mosquées où prêchent des imams radicaux. Et ces imams fondent leurs prêches
sur le Coran. On peut lire dans les médias que Mohamed Merah s’était « plongé
dans le Coran », puis « pour donner un sens à sa vie, il a lutté contre les
infidèles ». Le « pas d’amalgame », le « not in my name » (« pas en mon nom »)
communément avancé est un réflexe d’autodéfense. Un bouclier levé pour ne pas
regarder en face, tandis qu’il conviendrait d’ouvrir grand les yeux. Accepter
de voir que certains textes coraniques eux-mêmes portent les germes du mal. Avancer
en soutenant les musulmans laïcs, luttant pour un « islam des Lumières ».
Soutenez les 23 intellectuels musulmans anglo-saxons qui engagent avec courage
l’autocritique, œuvrent avec lucidité pour la réforme de l’islam. Et à sa
délimitation. Prônez un islam d’amour, de liberté de conscience, de tolérance.
Un islam respectant les choix personnels, les autres croyances, la démocratie,
l’égalité hommes et femmes. Il faut défendre la laïcité, qui, seule, permet de
vivre en paix, et réinterpréter en ce sens les écritures et la charia. « Le
Coran a fait avancer la condition féminine » Ah bon ? Vous êtes sûr ?
Pensez-vous que beaucoup de femmes occidentales aimeraient connaître – subir –
les restrictions des droits et libertés de leurs consœurs vivant au Qatar, au
Pakistan ou en Afghanistan ? Monsieur Belkadi Belkacem dit qu’il a eu quatre
fils et deux filles. Il est fier de ses garçons : « Mes fils ont fréquenté
l’université et c’est pour moi un bonheur ». Quid de ses filles ? Il n’en parle
pas. « Les femmes doivent avoir une tenue correcte et ne pas faire de
provocation » écrit-il. À préciser…
4 mars 2015 14:07
http://nicolebertin.blogspot.fr/2015/02/de-lalgerie-la-charente-maritime-de.html
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