mardi 27 octobre 2015
Idir et Ait Menguellet à Alger : «Il n’y a pas d’Algérie sans amazighité ni d’amazighité sans l’Algérie»
Le chanteur algérien d'expression kabyle Idir a annoncé lundi à Alger la sortie prévue pour 2016 d un nouvel album de douze titres dont des duos avec des grands noms de la chanson française. Invité en compagnie de Lounis Ait Menguellet, un autre chantre de la chanson kabyle 2e Salon de la créativité se tenant du 20 au 27 octobre 2015 .
Ils étaient là, tous les deux. Hier, le grand chapiteau de Riadh El Feth à Alger s'est offert un plateau rare. Une scène de rêve. L'un zen et l'autre souriant. Affable et un sens génial de la formule, Idir s'est couvert la tête avec un chapeau noir. Zen et impassible, Lounis Aït Menguellet diffuse une «zénétude» qui contamine. Jamais les caméras des télévisions privées algériennes et les flashs des photographes n'ont eu une pareille opportunité d'immortaliser les deux plus grandes figures de la chanson kabyle réunies en un même lieu. Pour réussir ce challenge, il a fallu de la créativité au sens propre et figuré du terme.
A propos de la reconnaissance de la langue amazighe, Idir dira sans ambages : «Vous savez, depuis 1962, on demande des choses. Et on ne les a jamais eues. Je parle sans animosité mais avec mon coeur, ma retenue. Des gens pratiquant cette langue ont lutté pour la liberté de ce pays. Cette langue a droit de cité. Il n’y a aucune raison de ne pas l’intégrer dans le paysage culturel général algérien. Celui-ci ne veut pas le faire, cela veut dire que c’est intentionnel. Alors si c’est intentionnel, ces choses-là soit elles s’arrachent par des méthodes peu recommandées et recommandables, soit c’est une lutte qu’il faut mener à bras-le-corps. J’estime que je suis libre. Je n’ai pas à faire de concession. Il n’y a pas d’Algérie sans amazighité ni d’amazighité sans l’Algérie. Parce que tout simplement, ce serait aller à l’encontre de ma personnalité. Et tant que j’avais cette méthode qui n’était pas violente – la discussion – beaucoup de gens écoutaient attentivement et comprenaient. Après, c’est entre le pouvoir et toi. Si une frange du pouvoir n’a pas envie de voir ta culture pleinement épanouie et explicitement représentée, ce n’est pas la peine de chercher à comprendre. Parce que l’idéologie prend le pas…»
A propos de l’engagement, voire la revendication amazighe dans les textes de chansons dans les années 1970 et 1980, par analogie à l’expression «lyriciste» actuelle, Idir indique : «Je ne sais pas s’il y a un manque d’engagement maintenant. Chanter, c’est déjà participer à une forme de résistance. Chanter dans une langue minoritaire, c’est une forme de combat. Voir les problèmes qu’on rencontre ici (en Algérie) et les dénoncer en parallèle, c’est déjà un combat…Je parle des jeunes. Il faut ramener le plus de gens possible vers la lumière. Mais c’est vrai, l’engagement n’existe pas tel que nous l’avons connu. Seulement, nous, nous avons eu la chance d’appartenir à une génération porteuse des années 1970. C’était le réveil du Tiers-Monde, le Nonalignement… L’Algérie était un phare du Tiers- Monde à travers la Révolution qu’elle a réussie. Un exemple pour de nombreux pays, en Asie ou ailleurs. J’étais fier de voir Fidel Castro ou Che Guevara auquel j’ai serré la main. C’était aussi la multiculturalité qui était difficile à avoir. On était blessés. Parce que notre culture maternelle était brimée. On se demandait pourquoi. Et je me demande si le fait de chanter dans les années 1970 n’émanait pas de ce combat-là. On était plus propice à l’engagement. Autres temps, autres moeurs. On a aussi le droit de danser, de chanter et d’aimer. Mais il ne faut pas oublier les choses importantes à chanter.»
Concernant de l’événement culturel «Constantine, capitale de la culture arabe», Idir précise : « D’abord je n’avais pas envie d’y participer. Mais ce n’est pas parce que je déteste Constantine. Au contraire, c’est une belle cité, un haut lieu culturel. Ce qui m’a gêné c’est l’idéologie sousjacente qui existe derrière ce thème ‘Constantine, capitale de la culture arabe’. Si on l’avait organisé à Dubaï ou ailleurs, j’aurais peut être participé d’un point de vue artistique. Il n’y a pas une culture arabe, mais des cultures arabes. Donc à ce niveau, il y a un contexte idéologique qui veut éliminer beaucoup d’autres choses. Je n’aime pas qu’on vienne me faire participer à une idéologie aussi fausse. L’acception ‘être Arabe’ veut dire littéralement c’est un habitant de l’Arabie Saoudite. Et, par extension, tous les pays où l’on parle arabe. Mais je ne veux pas entrer dans ce jeu-là parce que je suis Berbère, méditerranéen, francophone et arabophone car je comprends et je parle arabe. Mais fixer cette arabité comme étant le pôle d’intérêt unique, je ne suis pas d’accord. J’accepte la culture de mon pays, quelle que soit la langue qui l’exprime. L’histoire de l’Algérie est commune ou morcelée. Sinon, on ne s’en sortira pas.»
Le poète et chanteur Lounis Aït Menguellet, d’une grande humilité, embraye sur les questions soulevées préalablement : «L’événement ‘Constantine, capitale de la culture arabe’, j’aurais aimé qu’il soit intitulé ‘Constantine, capitale de la culture algérienne’. L’Algérie est riche et diverse. Il ne faut pas un vocable restrictif mais fédérateur et fraternel avant tout.» Sortant de convalescence, Lounis Aït Menguellet célébrera ses 50 ans de carrière en 2017 avec la sortie d’un coffret résumant son parcours, édité par Izem et l’ONDA. Idir publiera bientôt un nouvel album où figurera vraisemblablement La Bohème, en duo avec le grand chanteur français Charles Aznavour. «Charles Aznavour chantera en kabyle avec moi. Je vous assure qu’il prononce bien. Et c’est quelqu’un qui soutient les gens qui luttent et se battent. Chanter avec lui, c’est un immense honneur.»
source : Kabylie News
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