D’Alger, il était arrivé à Paris il y a un an, pour passer
un master en musicologie à la Sorbonne. Kheireddine Sahbi, « Didine »
comme l’appellent affectueusement ses proches, a été tué alors qu’il revenait
d’une répétition de musique arabo-andalouse, sa passion et son art. Il est mort
sur un trottoir de Paris avec son violon. « Nous avons perdu un
musicien, un frère et un ami », se désole son frère Rafik.
Né le 10 février 1986, en Algérie, il était le
troisième d’une fratrie de quatre. Un père fonctionnaire, une mère professeure
de français, dans cette famille, le goût de la musique était venu tôt. Il a à
peine 10 ans lorsque ses parents l’inscrivent à l’association de musique
arabo-andalouse, à Rouiba, leur commune à 25 km d’Alger, comme il en
existe dans de nombreuses villes d’Algérie. Il ne s’arrêtera plus de jouer.
Les leçons s’interrompent pourtant trois ans plus tard.
L’Algérie est en pleine décennie noire, et il est trop dangereux de faire les
trajets. Alors ils font de la musique à la maison, Rafik chante, Kheireddine
joue de la guitare. Les années passent, il obtient son bac en 2005. Mais
sa mère tombe gravement malade. Peu avant son décès, Kheireddine décide de
reprendre la musique andalouse. Il emmène son frère dans l’aventure. « Aujourd’hui, avoue
Rafik, je suis musicien grâce à lui. »« Didine », lui, se met
au violon. Parallèlement, il suit des études de génie civil à l’université,
mais, au bout de deux ans, décide de tout quitter. « Il était
amoureux fou de la musique andalouse, de la musique en général », se
souvient son frère. Après une maîtrise en musicologie à Alger, le jeune homme
décide de partir pour Paris. Il s’inscrit à la Sorbonne où il arrive
mi-août 2014. Son premier voyage en France.
Ses proches décrivent un jeune homme sensible,
incroyablement doué et drôle. Silencieux aussi. Jérôme Cler, maître de conférences
en ethnomusicologie, était son professeur à la Sorbonne. Il décrit un « musicien
remarquable », d’une grande maturité, doté d’« une
extraordinaire oreille ». Une vidéo de lui jouant du violon circule
sur YouTube. On y découvre un visage encadré de boucles brunes concentré sur
cette musique aux sons orientaux si émouvante. « Cette vidéo,
c’était lui,explique Jérôme Cler : un maintien très droit, une
sobriété à travers laquelle s’exprimaient tant de choses. »
A Paris, le jeune musicien vivait en colocation dans le 10e arrondissement
avec son ami Bilal, il était assistant d’éducation dans un collège du 19e pour
payer son loyer et avait noué de belles amitiés autour de la musique. Ce
13 novembre, l’attente pour ses proches aura duré des heures, d’espoir en
angoisse jusqu’au chagrin à l’annonce de la nouvelle samedi midi.
« Ce que je voudrais, dit son frère Rafik, c’est
qu’il ne soit pas oublié. Il est mort avec son violon, il avait plein de
projets, il était musulman et croyait dans les valeurs de l’islam. Le Bataclan
a déjà un nom, mais nous aimerions tant un lieu dédié à la musique qui porte
son nom. »
Charlotte Bozonnet
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