lundi 2 novembre 2015

Yassin Temlali, chercheur en histoire: "La question berbère apparaît comme une véritable bombe à retardement"

YASSIN TEMLALI
Nejma Rondeleux pour le HuffPost Algérie

"La genèse de la Kabylie, aux origines de l’affirmation berbère en Algérie" (1830-1962) de Yassin Temlali qui vient de paraître aux éditions Barzakh constitue un "événement" à la 20e édition du Salon international du livre d’Alger (SILA) où le domaine Histoire attire, comme à chaque fois, de nombreux lecteurs.
L'auteur, par aileurs journaliste, traducteur et chercheur, s'est prêté dimanche 1er novembre à l’agence Interface Médias à une instructive conférence-débat autour de son essai.
"Un livre à la problématique bien particulière à savoir l’affirmation d’une identité berbère et de la Kabylie qui, à première vue, peut mettre dans une posture délicate", a souligné Ihsane El Kadi, directeur de l’agence, en préambule de la conférence. Mais "cet embarras" s’est vite dissipé à la lecture de l’ouvrage.
"C’est un livre qui va faire date car il montre que l’affirmation de la Kabylie en tant que telle est une construction et non un fait donné".
Un processus lent et délicat que retrace Yassin Temlali à la lumière d’un long travail académique sur les recherches existantes et les archives de la période coloniale (1830-1962).
Chemin faisant, à travers cette exploration des origines de l’affirmation politique berbère contemporaine en Algérie, le chercheur déconstruit un certain nombre de stéréotypes et poncifs des récits identitaires qu’ils soient berbéristes, kabylistes, arabistes ou islamistes.
Le mythe kabyle du Berbère sédentaire, travailleur, apte à l’intégration et non fanatique, s’en retrouve particulièrement écorné.
Paradoxes de l’époque coloniale
Contrairement à une idée dominante, il n’y a pas eu de "politique berbère" en Kabylie pendant l’époque coloniale, a expliqué lors de sa conférence Yassin Temlali qui consacre plusieurs chapitres à cette question.
"Il y a bien eu un intérêt particulier de la France pour la Kabylie, manifestée entre autres par une scolarisation importante, mais on ne peut pas parler de politique au sens de mesures constantes et cohérentes" a-t-il souligné.
Pour preuve, il n’y a pas eu de territoire kabyle unifié, poursuit le chercheur, "la Kabylie a toujours été scindée en deux départements sous la colonisation".
Et paradoxalement, la première fois qu’il y a une unification de la Kabylie dans ses limites actuelles c’est avec le FLN et la wilaya 3, souligne Yassin Temlali.
Autre paradoxe relevé par le chercheur, la francisation a desservi la langue berbère et le kabyle. "Le français a pris une partie des fonctions de communication du kabyle que l’arabe classique ne pouvait pas prendre car il était cantonné à des situations de communication savante comme la religion".
Le soulèvement de 1871 requalifié
Le soulèvement de 1871 constitue aussi un autre épisode majeur dans la construction de l’espace politique de la Kabylie.
"Il représente une prérévolte nationale plutôt qu’un soulèvement berbérophone de l’espace kabyle", note Yassin Temlali qui n’a de cesse de montrer, tout au long de son essai, le rapport dialectique et concomitant de formation de la nation algérienne et de la constitution de la Kabylie en tant que province "marquée du sceau d’une indéniable spécificité".
"Cette thèse est une réponse à un certain nombre de chercheurs qui considèrent le soulèvement de 1871 comme une révolte prénationale kabyle et l’interprètent comme l’expression d’une première résistance kabyle à l’occupation française", a expliqué le chercheur.
Pour étayer sa thèse, Yassin Temlali énumère plusieurs faits. Tout d’abord le soulèvement de 1871 a eu lieu en même temps que d’autres révoltes qui allaient jusqu’aux frontières tunisiennes. Ensuite, il a été organisé idéologiquement par une confrérie religieuse "la Rahmania" qui a fomenté d’autres révoltes dans le pays. Enfin, le soulèvement a dépassé les frontières de la région de la Kabylie.
Des résonnances tactuelles
Même si l’ouvrage de Yassin Temlali s’arrête en 1962 "pour des raisons méthodologiques", explique l’auteur, toutes les questions abordées trouvent un écho aux débats très contemporains.
En rappelant que l’identité berbère s’est construite bien plus avec le mouvement national que sous l’époque coloniale ou que la Kabylie était bien plus jacobine que les Aurès, le chercheur prévient contre ce qu’il considère être une "véritable bombe à retardement" de parcellisation du territoire.
"A travers cette recherche historique, il s’agit de lancer une mise en garde contre un danger tout à fait imminent: l’éclatement de l’histoire algérienne en une multitude de récits fondateurs ethniques qui ranimeraient les susceptibilités intercommunautaires antérieures à l’Indépendance parcellisation", écrit l'auteur en préambule de son ouvrage.
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