dimanche 9 septembre 2018

L’écrivain Amin Zaoui et les balivernes des minbars

La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres

L’écrivain Amin Zaoui et les balivernes des minbars

 
08 SEPTEMBRE 2018 À 20 H 08 MIN
 
«Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux autres ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre.» Georges Orwell

Ceux qui glosent à longueur de colonnes que la parenthèse de la décennie rouge est définitivement refermée doivent se rendre à l’évidence : la machine islamiste est assez bien huilée et ne rate aucune opportunité pour montrer sa dent dure contre tout événement ou personne qui ne s’inscrit guère dans son tropisme ringard.
Dernières pratiques détestables : par-ci, c’est une joggeuse qui est injuriée pour avoir pris la liberté de courir à l’heure de son choix, par-là, des prieurs s’acharnent sur une famille qui a décidé de passer des moments festifs, avec DJ et danse échevelée.
Ceux-ci, pour ne citer que des événements saillants auxquels la presse et les réseaux sociaux ont accordé un large écho indigné. Mais le dernier en date, et pas des moindres, est cette sortie pétaradante d’un obscur député d’obédience islamiste pour s’en prendre avec véhémence à l’écrivain Amin Zaoui.
Le ton, en vérité, ne laisse point de mystère sur les bas sentiments qui animent l’obscur député Hassan Aribi, transfuge de l’ex-FIS dissous, mais agissant sous pavillon du parti de Djaballah, dont les mots résonnent comme ceux d’une police religieuse : «Cet aliéné impertinent n’aurait pas osé s’attaquer aux valeurs sacrées de la Oumma ni à la religion ni encore à son identité s’il n’y avait pas une loi qui l’appuie et des autorités qui protègent ses dépravations, au moment où celles-ci jettent en prison des activistes des droits de l’homme pour lèse-majesté ou outrage aux corps constitués. Elles ne réagissent que lorsqu’il s’agit de blasphème commis par une catégorie d’aliénés et de criminels… »
Que chaque Algérien, avant de vaquer à ses occupations quotidiennes, se pose cette question : le propos est-il grave ? Très grave même, est-on tenté de répondre. L’inquisition à haut débit est de retour, si tant qu’elle s’est estompée un jour. Et le tempo rappelle bizarrement à notre mémoire cette montée inéluctable de l’intégrisme lors des années 1990 jusqu’aux ruisseaux de sang qu’ont dû verser les Algériens parce que des charlatans irresponsables ont agréé des partis religieux au projet porteur d’un obscurantisme abject faisant de l’intellectuel un bouc émissaire idéal.
Nonobstant les quantités de sang qui ont coulé sous les ponts, les impétrants des minbars restent suffisamment décomplexés, libres, effrontés, comme sentant le vent tourner en leur faveur, jouant à merveille sur les cordes sensibles d’une population abandonnée aux tétines de la misère, ces charlatans lèvent la voix sans retenue, sans aucune considération pour la dignité d’autrui, sans humanisme auquel ils ne croient que du bout des lèvres. Que ce soit les minbars des mosquées, ou ceux des chaînes de télévision poubelles, au financement douteux et aux programmes indigestes, leurs tribunes sont constamment truffées de propos frénétiquement haineux et d’un ostracisme débile contre tous ceux et celles qui leur sont différent(e)s.
Si l’excommunication fait partie de la matrice islamiste, le meurtre est son corollaire masqué. Le monde de la culture en a beaucoup souffert et a eu à affronter les avertissements salafistes avec courage et détermination. Il y a peu, c’est un hurluberlu à la barbe fournie qui a eu l’impertinence de réclamer la tête de Kamel Daoud, puis c’est Rachid Boudjedra qui a été terrorisé par des comédiens sans talent. Et maintenant c’est au tour d’Amin Zaoui de faire les frais d’une obédience fort peu amicale avec les hommes de lettres. Etourdissante montée de mayonnaise !
En vérité, l’académicien Amin Zaoui n’en est pas à sa première mise en garde. Tout jeune écrivain, il a eu à expérimenter de quoi les Frères sont capables : en 1988, son roman Le huitième ciel a été incendié publiquement. Un autodafé qui sonnait, à l’époque, comme un tir de sommation avant le passage aux balles réelles. Celui qui est devenu directeur du palais de la Culture à Oran a échappé in extrémis à un attentat en 1993.
En clair, entre Amin Zaoui et les tartuffes des minbars, l’on dépasse de loin le cadre d’une bisbille passagère, il y a, en effet, deux visions du monde situées aux antipodes l’une de l’autre qui se livrent bataille, où nul spectateur n’est admis, car chacun a le devoir de prendre position. Un écrivain qui lorgne du fumier et en parle autour de lui, est-il dans l’erreur ? Pour les islamistes algériens, qui se doublent de narcisses religieux, la parole publique doit correspondre à une morale, et être respectueuse des lignes rouges dont eux seuls en déterminent les limites avec une imposture démagogique servile, et jamais stérile. Mais c’est mal connaître la vocation d’un écrivain de la trempe d’Amin Zaoui !
Car l’ancien directeur de la Bibliothèque nationale joue allègrement avec les mots, voyage profondément dans les arcanes de la société, sa férocité est jubilatoire tant il sait caresser les maux sociaux avec délicatesse. Montrer du doigt les laideurs d’un pays, désigner des potentiels pyromanes, parler des rêves perdus et des cauchemars de nos lendemains, voilà un exercice qui lui va comme un gant. Ce qui se trame actuellement dans les bas-fonds de l’islamisme est une vieille lubie : la chasse aux plumes libres, lucides et audacieuses, comme autrefois on chassait les sorcières. Et c’est dans ce registre justement qu’Amin Zaoui excelle. Réaliste et utile.
Parler de la religion, de l’islam en particulier, du Coran, du discours islamiste ou de l’Algérie n’est l’apanage de personne en particulier. Chez lui, la liberté ne se négocie point ! Ainsi en est-il de la liberté de conscience qu’il défend avec abnégation face à un islamisme incisif et glaçant. Avec un verbe dans toute sa splendeur, la phrase ciselée et parée d’élégance, la plume d’Amin Zaoui est alerte, agissant à brûle-pourpoint pour taquiner les enjeux contemporains sans détours.
Libérer les thématiques religieuses des griffes des fondamentalistes et arracher le sujet de la transcendance de l’emprise des salafistes, voilà le combat des intellectuels dignes de ce nom et des démocrates pratiquants. Dire le non-dit, braquer les projecteurs sur les tabous de la société, dénigrer ceux qui considèrent la vie en société sous l’unique prisme du hallal et du haram, du bon musulman et du kafer, sont autant d’obsessions littéraires auxquelles il donne litière à travers ses menées romanesques et dans ses essais et chroniques.
Si le visage du pays est décharné, comme buriné par mille et un maux où les incorrigibles islamistes refont les mêmes tours qui ne font rire personne, l’écriture et l’engagement intellectuel résonnent comme un branle-bas de combat salutaire. Quels qu’en soient les frais !
La sortie du député Hassan Aribi heurte d’autant plus les consciences qu’elle intervient au lendemain des publications d’Amin Zaoui autour de pratiques sanitaires indignes du XXIsiècle, mais qui se perpétuent en Algérie pour devenir coutumières à même de défigurer les espaces publics.
La saleté, voilà ce qui devrait être choquant pour des religieux qui répètent à satiété que la propreté est un acte de foi ! L’extinction des librairies, voilà ce qui devrait être choquant pour des religieux qui répètent avec jactance qu’ils appartiennent à la Oumma d’Iqra ! Malheur à un peuple qui ne lit pas, comme les Algériens ! Si Amin Zaoui en parle, c’est par amour et non par haine pour son pays. S’il critique aussi sévèrement, c’est pour mieux voir son pays rayonnant où il ferait bon vivre.
S’il tire à boulets rouges contre les hypocrites, c’est pour mieux débarrasser la société de ses scories humaines qui prêchent constamment en porte-à-faux avec les valeurs d’une fraternité universelle et constructive. Lors des années 1990, de nombreux glas ont sonné, mais ignorés, des avertissements ont été lancés, mais sont, hélas, restés inaudibles. Face à un délitement politique prégnant, l’Algérie entière est entrée de plain-pied dans une zone de turbulences majeures. Trente ans plus tard, de fortes turbulences secouent la quiétude relative d’une Algérie qui ressemble de plus en plus à une poudrière. Aux minbars des mosquées, devant les écrans de télévision, ou sous les lambris de la République, les appels à la haine des uns concurrencent une corruption endémique.
Résultat ? Comme jadis, l’Algérie se veut une République islamo-bananière, où les inégalités se creusent, où la pauvreté s’accentue, où le niveau de vie éreinte, où les libertés individuelles et/ou collectives subissent des crémations tantôt au nom de la loi, tantôt au nom de la foi, sous les recommandations d’un Etat résolument répressif. Les interdictions qui touchent des partenaires sociaux, comme les syndicats, les Cafés littéraires ou les activités des militants des droits de l’homme, bifurquent vers une défiance consommée et un divorce inéluctable entre une population désabusée et des gouvernants carriéristes, dont l’acharnement rappelle celui des gourous qui attendent une obéissance aveugle de leur proie. Telle est, en résumé, la situation d’un peuple pris en otage entre des marchands de morale qui, souvent, traînent des casseroles à scandales et les rentiers de l’allégeance à un Président absent ! C’est dans ce genre de situation, toutefois, que l’Algérie a besoin de plumes nimbées d’un patriotisme sans fard.
Car, avec ces écrivains et témoins révoltés, l’Algérie qui avance saura rappeler à ses enfants que jamais la différence n’a été une source de malheurs, mais que c’est plutôt l’indifférence qui déchire le tissu social, l’Algérie qui raisonne saura instruire ses enfants que jamais le respect des libertés n’a été une source de décadence, mais que c’est plutôt l’excommunication qui creuse des ruisseaux de sang, l’Algérie qui rayonne saura interpeller ses enfants que l’égalité entre les hommes et les femmes n’a jamais été un coup de frein pour le progrès social, mais que c’est plutôt le racisme de genre, le mépris d’une certaine orientation sexuelle, le non-respect de l’ordre du mérite qui font s’envoler de grands cerveaux vers des cieux plus cléments.
En ces temps du retour du choléra, lire Amin Zaoui procure du baume au cœur, tel un acte thérapeutique, tant et si bien que ces chroniques sont autant de clins d’œil hygiéniques et de tentatives de relever les bretelles à un pays qui fait la risée du monde entier. En ces temps où pullulent les moutons de Panurge, l’esprit critique est, comme de tout temps, une vertu intellectuelle cardinale qui chevauche pour ébranler les conformismes stériles de la doxa dominante.
L’intégrisme, qui ravage les neurones, et le terrorisme, qui embrase des régions entières, sont de sérieuses maladies du nouveau siècle, deux frères viscéralement horrifiants.
Face aux déviations des statues salafistes, les réponses appropriées se nomment respect des droits de l’homme, renfort des activités culturelles, consécration des libertés et de l’égalité sociale, indépendance de la justice, liberté de conscience… Au risque de voir les fanfarons des minbars nous convoquer pour assister aux obsèques du pays, il est urgent de réclamer, à cor et à cri, l’établissement d’un Etat de droit et la laïcité, vite! 

Par Tarik Djerroud , auteur et éditeur
https://www.elwatan.com/edition/culture/lecrivain-amin-zaoui-et-les-balivernes-des-minbars-08-09-2018

lundi 27 août 2018

Nina Bouraoui : "La France c'est le vêtement que je porte, l'Algérie c'est ma peau livrée au soleil et aux tempêtes"

LE RÉVEIL CULTUREL par Tewfik Hakem
DU LUNDI AU VENDREDI DE 6H05 À 6H25

26 MIN

Nina Bouraoui : "La France c'est le vêtement que je porte, l'Algérie c'est ma peau livrée au soleil et aux tempêtes"

27/08/2018

Dans son nouveau roman, "Tous les homme désirent naturellement savoir", l'auteur franco-algérienne revient sur son enfance à Alger, son adolescence à Paris, et de part et d'autre de la Méditerranée, se souvient de la découverte de son homosexualité, sa difficulté à l'assumer.
Nina Bouraoui
Nina Bouraoui Crédits : Francesca Mantovani

LUNDI -LIVRE 

Avec Nina Bouraoui, écrivain, romancière, auteur de"Tous les homme désirent naturellement savoir" , publié aux éditions JC Lattès.
Nous sommes faits de la mémoire de nos ancêtres, et aussi de nos souvenirs.
A dix-huit ans, à Paris, je découvre cette boîte de nuit pour les femmes, le Katmandou, rue du Vieux-Colombier. Je décide d'occuper ce lieu, en cachette, je suis la plus jeune.
Je dresse un pont entre le lieu du Vieux-Colombier et le lieu du stylo, du papier, de la machine à écrire, je ne cesse d'accomplir des allers-retours entre les deux, de m'y abîmer et d'en réchapper. Je ne sais lequel est le plus dangereux pour moi, si c'est le lieu de la vie en train de se faire, ou le lieu de la vie rapportée, écrite, parfois modifiée à mon avantage. 
Je reviens à mes premières amours. C'est un livre aussi sur ma mère, astre lumineux, et moi je gravite autour d'elle, première femme qui m'ouvre à la poésie, à la littérature, mais aussi, à la violence. Ce livre m'a hantée.

Programmation musicale :

Etienne Daho, Cap Falcon

Extrait du roman : 

"Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant, ils sont mes miroirs (...) (premières lignes, p.11).
(...) Mon père trouve chez un antiquaire le portrait d'une jeune bergère peint sur un morceau de carton si usé qu'on ne peut distinguer la signature de l'auteur. Ma mère le fait encadrer, persuadée de détenir l’œuvre d'un peintre orientaliste.
La petite bergère porte une robe kabyle à motifs bleus et rouges, des bracelets à chaque poignet, elle a les cheveux bouclés, des yeux si doux que l'on a envie de pleurer si on les regarde pendant trop longtemps,entraînés vers le fond de son âme.
"Je l'ai achetée parce qu'elle a l'air aussi fragile que toi", dit mon père (p. 63)."
Tewfik Hakem et Nina Bouraoui
Tewfik Hakem et Nina Bouraoui Crédits : Corinne Amar - Radio France

jeudi 23 août 2018

La Soummam : le référentiel commun à tout le courant patriotique


Le 20 août. Dans le calendrier officiel, cette date commémore deux évènements ; l’offensive du 20 août 1955 dans le Nord Constantinois et le congrès de la Soummam. Cette date est baptisée journée nationale du Chahid, mais n’ parmi les fêtes nationales. Toute chose a son explication.
Lieu du congrès de la Soummam en août 1956.Lieu du congrès de la Soummam en août 1956.
La coïncidence de la survenue de deux évènements à la même date arrange bien des desseins. L’offensive militaire est hissée à la hauteur de l’évènement historique et celui-ci est gommé auprofit de l’autre. Des batailles militaires il y’en a eu. Mais des moments de ruptures de l’importance de la création de la glorieuse Etoile nord-africaine, de la proclamation du 1er -novembre 1954 ou de l’organisation des assises nationales de la Soummam, il n’y en a pas beaucoup.
Les assises de la Soummam constituent le moment fondateur de notre Etat national. C’est le moment où la révolte anticoloniale s’est élevée en révolution nationale démocratique. La Soummam a constitué des institutions nationales et défini la trajectoire vers l’émergence de l’Algérie indépendante parmi les nations. Elle a défini l’Etat algérien comme un Etat civil, républicain, social, libéré de toute tutelle théocratique ou féodale, inscrit dans l’aspiration mondiale des peuples à la libération politique et sociale.
La Soummam avait assis une organisation politico-administrative aux antipodes de l’appareil de contrôle établi par l’administration coloniale. L’Etat national constitué par le congrès du 20 Août était le reflet de la réalité sociohistorique du peuple algérien. Les six wilayas mises en place ont été un cadre efficient de mobilisation et d’efficacité populaires. Les rapports entre ces entités régionales autonomes ont été des rapports de coopération et d’entraide. Cette capacité de symbiose et de complémentarité, en un mot d’intégration nationale, a trouvé en la VIIe Wilaya le terrain idoine de leur expression
Derrière ce moment fondateur, il y avait le génie de nombreux patriotes, dont les plus en vue sont sans conteste Ramdane Abane et Larbi Ben M’hidi. L’un a été assassiné par ses pairs, l’autre par la soldatesque coloniale.
Mais l’Etat algérien tel que mis en place à l’accession à l’indépendance a souffert des menées hégémoniques de la bureaucratie militarisée amassée aux frontières tunisienne et marocaine. Sous couvert de l’option idéologique socialisante, c’est la Soummam qui a été démantelée. Les luttes fratricides de l’été 1962 ont opposé cette aile bureaucratique décidée à liquider l’Etat de la Soummam et à investir l’appareil de contrôle colonial d’un côté, et les Wilayas, démembrements authentiques de l’Etat national en construction. Le coup de force a culminé avec la disqualification de l’Assemblée constituante et l’adoption du texte constitutionnel du bureau politique du FLN au cinéma Magestic.
Le salut aujourd’hui est de réhabiliter le Congrès national de la Soummam comme le référentiel commun à tous les courants politiques issus du mouvement de Libération nationale. La Soummam n’a souffert d’aucun errement idéologique. C’est le moment incontestable de la naissance de notre Etat national. Il est l’éclosion de Novembre en un projet de République prémunie des errements théocratiques, féodaux, ethniques, confessionnels, militaristes ou bureaucratiques. La Soummam est le fondement du patriotisme algérien.
Alors, disons gloire à Abane et Ben M’hidi et faisons de la Soummam le référentiel de la seconde République algérienne, démocratique, laïque et sociale. Avec le mot d’ordre : Djazaïr hora, Dimoqratiya.
Mohand Bakir

source Le matin dz