jeudi 11 octobre 2012

L’émigration algérienne : LIEU DE NAISSANCE DE LA REVENDICATION POLITIQUE.

L’émigration algérienne en France a joué un rôle décisif dans le mouvement national. C’est en son sein qu’est née la revendication politique à l’indépendance dans ses formes modernes.
Au début du XXe siècle, la lutte du peuple algérien contre la domination coloniale prend des formes politiques nouvelles. La lutte des élites locales s’adapte rapidement à des formes modernes, faites de revendications, de participation aux assemblées locales et à une vie politique autorisée pour des catégories limitées. Les réactions des couches populaires ne se manifestent plus à travers des formes violentes et spontanées, témoignant de l’exaspération débouchant sur des actions parfois sans aucune préparation. Elles prennent elles aussi un chemin politique : regroupements de personnes aux origines diverses, discussion sur des projets de solution, formulation de revendications, débats d’idées sur les objectifs et les méthodes. La période des révoltes paysannes et des émeutes, toujours violentes, souvent incontrôlées et non préparées, sans objectifs à moyen et long terme, sans stratégie, semble révolue. Dès le début du XXe siècle apparaît notamment le mouvement « Jeunes Algériens », exprimant les revendications d’une élite algérienne attachée à son statut personnel musulman, réclamant la fin des mesures d’exception et l’égalité des droits entre tous les habitants de l’Algérie. Cette élite aspirait à une Algérie française égalitaire et multiconfessionnelle.
Il faut remarquer que la population algérienne était essentiellement paysanne. En 1886, 6,9% des Algériens résidaient dans les villes. Ils seront 8,5% en 1906 et 12,1% en 1931. De plus, l’administration coloniale avait interdit la libre circulation des Algériens qui étaient soumis au permis de voyage pour se déplacer. Hors agriculture, l’Algérie était très peu industrialisée. On recensait en 1897 quelque 57.085 employés dans l’artisanat et la petite industrie dont une majorité d’Européens. C’est au sein de l’émigration algérienne en France qu’apparut la première expression politique de couches populaires algériennes, ouvrières et urbaines. Elle fut radicale dès le début.
L’Emir Khaled Ibn Hachemi, petit-fils de l’Emir Abdelkader, fut le premier homme politique à formuler une réclamation claire pour la libre expression du peuple algérien. En 1919, il écrit au président américain Wodrow Wilson qui avait affirmé le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et il adresse une requête à la Société des Nations. Membre des Jeunes Algériens depuis 1913, il commença une carrière d’élu vite combattue par l’autorité coloniale. Les 12 et 19 juillet 1924, il donna des conférences à Paris sur « la situation des musulmans d’Algérie ». Ces rencontres firent date et furent suivies officiellement par 12.000 personnes. Le journal Ikdam, fondé en 1919 et dont il fut le directeur politique, fut la première tribune autonome exprimant librement les opinions des Algériens. L’émir Khaled est définitivement exilé en Syrie en 1926 où il décéda dix années plus tard.
Son passage en France marqua tellement les travailleurs algériens émigrés qu’il inspira la création d’une force politique dont il devint l’emblème et qui revendiqua son héritage : l’Etoile nord-africaine. Celle-ci fut à sa naissance en 1926 une section de l’UI (Union inter-coloniale), structure de coordination issue de la section française de l’Internationale communiste créée en 1921 et devenue la Commission coloniale du PCF, dont la sous-commission nord africaine fut un temps dirigée par l’Algérien Abdelkader Hadj Ali. Elle comprit les militants communistes Abdelaziz Menouer et Ahmed Bourahla. Le syndicat français CGTU créa aussi une commission coloniale qui activa dans la mobilisation des travailleurs algériens à plusieurs occasions. Il faut également signaler l’organisation des commerçants algériens dès 1927 dans la Ligue de défense des musulmans nord-africains créée par Ahmed Mansouri. Regroupant des Algériens lettrés et occupant une place élevée dans la hiérarchie sociale, elle avança des revendications modérées à ses débuts avant d’adopter des positions plus radicales à partir de 1938 en se rapprochant du PPA. Il y eut aussi une série de petits comités pour la défense des droits des Algériens, animés par un groupe restreint de personnes que l’on retrouva à différentes étapes dans plusieurs mouvements : Ahmed Bahloul, Aït Toudert, Ahmed Belghoul, Ben Damerdji, Aït Ali, Laïd Issouli, Djilani Chabila, Saïd Aknoun, Fodil Ouartilani, Amar Naroun, Arezki Kihal, etc.
L’Etoile Nord-Africaine, née dans la mouvance communiste, arriva progressivement à autonomiser une revendication nationale maghrébine liée aux luttes sociales des travailleurs algériens. Elle fut la première organisation politique à porter l’idée nationale maghrébine. Le 12 juin 1926 elle annonçait son existence comme section de l’Union inter-coloniale et déposait ses statuts le 20 du même mois. Même si dans son texte fondateur elle se présentait comme « association de défense des intérêts moraux et sociaux des nord-africains » elle portait la revendication d’indépendance dans les interventions et les écrits de ses principaux dirigeants, tous issus du mouvement communiste. Abdelkader Hadj Ali, qui en fut la cheville ouvrière et qui milita avec acharnement pour autonomiser les revendications sociales des maghrébins, parlait déjà de son but : « Une organisation pour lutter et faire comprendre aux indigènes qu’ils seraient des hommes le jour où ils seraient libres et indépendants. » (discours du 1er octobre 1926). Ahmed Mesli (Messali Hadj) permanent du Parti communiste en 1926 est chargé de l’organisation et de la propagande. À leur côté, plusieurs cadres (Djilani Chabila, Abdelaziz Menouer, Ahmed Bourahla) ont contribué à en faire un mouvement populaire qui réunit très vite 3.500 militants. Ces militants ne se privèrent pas d’afficher leur objectif dans les revues du mouvement : Iqdam en 1926 puis Iqdam nord-africain en 1927 : « Contre l’impérialisme français et pour l’indépendance de l’Afrique du Nord ». En donnant ce nom à son organe, le mouvement affichait une filiation avec les revendications patriotiques de l’Emir Khaled. L’Etoile Nord-Africaine fut dissoute le 20 novembre 1929 par le tribunal de la Seine.
Le groupe dirigeant tenta de reconstituer le mouvement et après plusieurs tentatives de trouver un compromis avec le Parti communiste, la rupture est définitive en 1932. Une nouvelle équipe de dirigeants (avec Messali, Radjef, Imache, Yahiaoui, Kihal) déposa les statuts d’un nouveau parti La glorieuse Etoile Nord-Africaine, totalement indépendant du Parti communiste. Son programme était clairement patriotique avec un contenu nouveau pour l’époque qui le distinguait des autres partis algériens. Il était fortement ancré dans les revendications d’égalité et de justice sociale du mouvement ouvrier français, et il reprenait à son compte le sentiment national algérien avec sa dimension culturelle et sa spécificité : attachement à la personnalité musulmane, à la langue et à la culture arabes. Messali fut condamné à deux reprises en 1935 et en 1936 et l’Etoile Nord-Africaine fut dissoute par le gouvernement français le 26 janvier 1937 à cause de ses positions radicales, condamnant les propositions du Front populaire sur l’Algérie. Le 11 mars 1937, Messali Hadj annonça la création du Parti du peuple algérien (PPA). C’est ce mouvement qui, après avoir été interdit, donnera le 20 octobre 1946 le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD). Celui-ci éclata en 1953 entre fidèles de Messali Hadj et partisans du Comité central, appelés centralistes. En 1954, un petit groupe de militants du MTLD fonda dans la clandestinité le Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA) en vue de préparer l’insurrection armée. Le 1er novembre 1954, il se transforma en FLN. En quelques mois, il regroupa en son sein d’anciens centralistes du MTLD, des militants communistes, des partisans de l’UDMA de Ferhat Abbas et des militants de l’association des oulémas.
Boualem TOUARIGT

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