lundi 22 octobre 2012

Octobre, un avatar de novembre .... Le 1er novembre était un acte politique conscient, réfléchi, qui avait un objectif, une démarche, une ambition, et en définissait les moyens. C'était une projection consciente dans l'avenir. Le 5 octobre a été une réaction à la limite du nihilisme, qui rejetait un ordre sans en préconiser un autre de manière précise, sans objectif ni but défini. C'était une explosion sans maitre ni guide, qui a permis à tout le monde de tenter de s'engouffrer dans la brèche pour tenter de rafler la mise.

Octobre est un avatar de novembre. Il ne le complète pas car, malgré les similitudes, les deux symboles s'opposent sur le fond.

Entre le 5 octobre et le 1er novembre, il y a trois semaines à peine. Mais au plan du symbole, une année lumière sépare les deux dates. L'une représente le sacrifice, l'abnégation, la grandeur, la pureté de la révolution; la seconde renvoie l'Algérie à ses impasses, à ses drames et à son incapacité de bâtir une indépendance à la mesure de l'épopée de la guerre de libération. La première a marqué le début de souffrances assumées, pour déboucher sur la liberté ; la seconde a commence dans la douleur, s'est prolongée dans l'euphorie pour aboutir à une tragédie nationale.

 Chadli Bendjedid, qui appartient à la génération de novembre, a choisi octobre pour partir. Lui, l'homme qui était au pouvoir en octobre 1988, qui a eu à gérer le pays dans cette terrible épreuve, après avoir fait les maquis de l'ALN et accompagné Houari Bouemdiène de longues années, était devenu un des symboles de ce contraste entre octobre et novembre, si proches et mais si différents. Personne ne conteste sa participation, aussi modeste soit-elle, à la grande oeuvre de libération du pays; mais personne non plus ne nie la lourde responsabilité qu'il a eu à assumer en octobre, en faisant les choix qu'il a faits.

Le contraste est très fort. Novembre appartient à une génération, octobre à une autre. La première a eu son époque de grandeur. Elle s'est imposée comme la plus chargée d'histoire depuis le milieu du dix neuvième siècle et la fin de la conquête coloniale. Elle a imposé sa force, puis son hégémonie: elle a libéré le pays, avant de s'imposer au pouvoir pour s'y incruster pendant un demi-siècle.

Mais cette génération de novembre gère mal sa sortie. Elle n'a pas su passer la main en douceur, au bon moment. Elle pensait qu'elle était en mesure de préparer la guerre de libération, de reconquérir l'indépendance, de bâtir l'Algérie indépendante, de la mener vers la démocratie et d'arrêter le temps pour que le pays fasse de son épopée un moment éternel. A cause de ses excès, elle risque d'aboutir à un résultat inverse : elle comprend des hommes qui sont arrivés au sommet du pouvoir à vingt cinq ans, mais qui n'admettent pas l'idée de confier les mêmes responsabilités à des hommes soixante ans.

La génération d'octobre ne voulait pas vivre sous l'ombre encombrante de la première. Elle a, elle aussi, fait irruption dans l'histoire par la violence. Elle a payé le prix fort, forçant le pays à amorcer un virage qui l'a radicalement transformé. L'Algérie, qui ronronnait dans les années 1980, se demandant vaguement si l'histoire ne s'était pas arrêtée et s'il y avait un autre modèle possible, s'est retrouvée plongée aux avant-postes du changement, s'engageant dans une fabuleuse aventure démocratique avant de plonger dans le drame.

Quelques parallèles peuvent être tracés entre les deux générations. Elles étaient toutes les deux jeunes quand elles ont bousculé l'histoire, elles se révoltaient contre l'ordre ancien, en engageant un bras de fer alors que tout semblait calme et en ordre. La violence a, dans les deux cas, constitué un débouché et une alternative à une crise politique. En 1954, c'est la crise interne du MTLD qui a précipité les radicaux dans la violence. En octobre, c'est l'impasse politique, et l'absence d'un mouvement politique structuré en mesure de prendre en charge l'encadrement de la société, qui a jeté les jeunes dans la rue. De même, les deux évènements ont débloqué une situation figée, donnant le signal d'une formidable accélération du mouvement de l'histoire.

Mais ce parallèle ne peut faire illusion. Car entre les deux évènements, il y a une différence fondamentale. Le 1er novembre, un courant radical, appartenant à une génération formée par de longues années de militantisme, s'est lancée dans une aventure qui s'est transformée en une grande épopée. Le 5 octobre, c'est une génération dépolitisée, ou apolitique, peut-être manipulée, certainement manipulable, qui est sortie dans la rue pour exprimer un ras-le-bol destructeur.

Le 1er novembre était un acte politique conscient, réfléchi, qui avait un objectif, une démarche, une ambition, et en définissait les moyens. C'était une projection consciente dans l'avenir. Le 5 octobre a été une réaction à la limite du nihilisme, qui rejetait un ordre sans en préconiser un autre de manière précise, sans objectif ni but défini. C'était une explosion sans maitre ni guide, qui a permis à tout le monde de tenter de s'engouffrer dans la brèche pour tenter de rafler la mise.

 Abed Charef   In Le Quotidien d'Oran.

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