lundi 22 octobre 2012

Mémoires de Tahar Zbiri : le putsch avorté du 14 décembre 1967.Dans ce témoignage, tous les acteurs du pouvoir algérien sur un demi-siècle de règne défilent entre loyauté et traitrise, coups bas, marchandages, traquenards et retournements.

Tahar Zbiri, l’auteur du putsch raté de l’hiver 1967 dirigé contre le président de la République, Houari Boumedienne, livre ses mémoires dans son témoignage "Un demi-siècle de combat – Mémoires d’un chef d’état-major algérien" paru aux éditions Echourouk.
Tahar Zbiri, chef d'état major des forces armées dès le recouvrement de l'indépendance du pays, a été proposé à ce titre par Houari Boumedienne alors ministre de la défense et installé par le Président de la république, Ahmed Ben Bella qui promulgue la formation de l'état-major en 1963. Sa nomination à ce poste suscite déjà des fractures au sein de l'armée dont les rapports de force étaient dictés par les appartenances régionalistes: "La décision de former l'état major fut promulguée et Ben Bella annonça mon installation dans mes nouvelles fonctions lors d'un rassemblement tenu à Alger, alors que Boumedienne se trouvait en Union soviétique."
Après La "Guerre des sables" (du 19 octobre au 2 novembre 1963) le conflit ayant opposé l'Algérie au Maroc qui envoya plusieurs éléments armés dans la région de Hassi El Baydha, située à Tindouf, à l'intérieur des frontières algériennes, le congrès du FLN de 1964 prélude aux premières luttes intestines du pouvoir entre Ahmed Ben Bella et son ministre de la défense, Houari Boumedienne. Ce congrès s'est tenu sans Mohamed Khider en brouille avec les tenants du pouvoir à Alger. Le Colonel Chaâbani, nommé vice chef de l'état-major profite de ce congrès pour critiquer son ministre de la Défense qu'il accuse d'encourager une "déferlante" des déserteurs de l'armée française (DAF) dans les rangs de l'ANP: "Cette confrontation houleuse entre Chaâbani et Boumedienne approfondit le fossé qui les séparait (...) Ben Bella ne savait plus comment s'y prendre avec Chaâbani qui persistait dans sa conduite désobéissante, jusqu'à ce qu'il nous chargeât, le commandant Mendjeli, Aït El Hocine et moi-même de nous rendre à Biskra pour tenter de le convaincre de quitter le commandement de la 4e région militaire".
Le récit qu'en donne Tahar Zbiri sur la capture, le procès et l'exécution du Colonel Chaâbani est inédit. Il avoue son impuissance pour sauver son adjoint direct de la vendetta politique diligentée par Ben Bella et Houari Boumedienne: "Quand je suis arrivé à Biskra, l'opération était déjà terminée". Chaâbani, le plus jeune officier de l'ANP à l'époque,  lâché par ses soladts, s'enfuit et se réfugie dans un maquis proche de la ville. Il est capturé le 7 juillet 1964 à Bousaâda et exécuté: "Quelque temps après la mort de Chaâbani, Houari Boumedienne demanda mon avis sur la personne idoine pour le poste de commandant de la 4eme région militaire et je lui suggérai Amar Malellah, ancien cadre de la wialaya I…"
Depuis les événements se précipitent. Tahar Zbiri raconte comment il se retrouve au centre des luttes de pouvoir entre Ben Bella et Boumedienne sortis vainqueurs de la guérilla du FFS en Kabylie. Selon son témoignage, il se fait l'intermédiaire entre les deux, faisant croire à l'un comme à l'autre qu'ils étaient au centre d'un couplot et qu'il leur fallait éviter une crise larvée au pays. L'ancien chef d'état-jaor des armées consacre deux chapitres respectivement sur sa participation à la destitution de Ben Bella et à son putsch  du 14 décembre 1967 qu'il qualifie de "Mouvement" contre Boumedienne dont il évoque la tentative d'assssinat par un de ses adjoints militaire du "Mouvement".
Après la destitution de Ben Bella, loin d'être conforté à son poste de chef d'état-major des armées, cheville ouvrière de la destitution de Ben Bella, Tahar Zbiri sent la menace peser sur lui et les vieilles rancunes refaire surface. Tout chef d'état major d'il fût, Boumedienne passe outre son avis et ne le consulte pas à la différence de Ben Bella. C'est le clash. Et il le raconte à la manière d'un polar tant le suspens est le même. Le "Redressement révolutionnaire" de Juin 65 devient alors une guerre déclarée. Tahar Zbiri engage ses hommes de l'état major dans une rebellion de trois bataillons de l'armée. Il dresse le portrait de ses hommes: Cherif Mehdi, le commandant Amar Mallah, les capitaines  Houasnia, Maâmar Kara, Abdeslam Mebarkia et d'autres lieutenants. Les chefs de la wilaya IV, le colonel Youcef Khatib et le commandant Lakhdar Bouragaâ l'assurent de leur soutien. Il reçoit même la caution politique, selon lui, de Youcef Benkhrouf et de  M'hamed Yazid. Il engage alors ses bataillons de Blida sur Alger, en vain. Ils furent bloqués sur le pont de la Mouzaïa par une opération escargot de milliers de véhicules civils ; Boumedienne ayant été informé de l'insurrection armée  par certains de ses acteurs mêmes qui lâchèrent Tahar Zbiri et parmi eux, le commandant Chadli Benjedid.
Le "mouvement du 14 décembre 1967" échoua lamentablement. Tahar Zbiri en explique les raisons. Et contre toute attente, il se défend, par cette tentative du putsch  de 1967 d'avoir voulu évincer Houari Boumedienne du pouvoir: "Contrairement à une certaine idée reçue, le mouvement du 14 décembre 1967 n'a jamais été une tentative de coup d'Etat, parce que tout simplement nous ne visions pas à évincer Boumedienne du pouvoir. Notre objectif principal était de faire pression sur lui pour rétablir la légitimité du pays, après qu'il eut failli à ses engagements dès l'aboutissement du redressement révolutionnaire que nous avions mené ensemble contre Ben Bella, le 19 juin 1965, et avant que je découvre qu'il tentait de reproduire le même pouvoir personnel qui caractérisait le règne de son prédécesseur".
La suite des événements est connue. Pourchassé dans les Aurès dont il est natif, Tahar Zbiri, grâce à ses anciennes connaissances du maquis et des relais familiaux, il réussit à gagner la Tunisie puis la Suisse où il rencontre Krim Belkacem qui s’en méfie et Hocine Aït Ahmed qui s’est démené pour lui faire obtenir en vain un droit d’asile. A la mort de Boumedienne, Chadli Benjeddid le gracie et il rentre en Algérie.
Dans ce témoignage, tous les acteurs du pouvoir algérien sur un demi-siècle de règne défilent entre loyauté et traitrise, coups bas, marchandages, traquenards et retournements. L’un des moments forts de son témoignage est celui qui reconstitue la genèse, les faits et les retombées du "Mouvement du 14 décembre 1967" auquel il a donné son nom.
R.N In le Matin dz
Tahar Zbiri "Un demi-siècle de combat – Mémoires d’un chef d’état-major algérien" paru aux éditions Echourouk (2012)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire