Pour ridicule qu’il soit, cet épisode limite n’en est pas moins révélateur d’une mode politico-sentimentale que Pascal Bruckner a identifiée voici près de trente ans dans un essai célèbre : Le Sanglot de l’homme blanc. Tiers monde, culpabilité, haine de soi (1983). Etrange mode en vérité, face à laquelle l’historien se tient tout désemparé. Fondamentalement, la repentance est une posture religieuse. Le repenti est censé éprouver un « regret douloureux … de ses fautes et de ses péchés » (Le Robert). De ses propres fautes et péchés. Par quelles voies mystérieuses en est-on venu à exiger, et obtenir, la repentance d’individus et de collectivités pour des méfaits qu’ils n’ont point commis ? Par un curieux retour d’une société supposée « sortie de religion » à l’injonction biblique du Dieu jaloux qui « punit la faute des pères sur les enfants, les petits-enfants et les arrière-petits-enfants » (Deut. 5-9) ? La France pourrait ainsi exiger les excuses des Italiens pour l’invasion de la Gaule par Jules César, mais elle ne manquera pas d’offrir les siennes aux Allemands pour la dévastation du Palatinat sous Louis XIV.
Tout cela serait risible s’il n’avait pas d’effets politiques et moraux désastreux. Lorsqu’on exige la repentance des anciennes puissances coloniales pour des crimes, réels, commis au temps des colonies, on oublie ceux, bien réels aussi, des Etats souverains nés sur les décombres des empires. Lorsqu’on demande la repentance de l’Occident pour la traite négrière du XVIIIe siècle, on fait l’impasse sur l’esclavage du XXIe. A force de « pendre des squelettes » d’un passé enfoui, selon la forte formule de Mona Ozouf, on ignore les corps souffrants d’aujourd’hui. L’histoire n’est pas le grand livre du Jugement dernier. Nous ne pouvons rien pour réparer les méfaits de nos devanciers, nous n’en sommes pas coupables.
Mais nous en sommes comptables, et ce n’est pas la même chose. Si la repentance est une imposture, la reconnaissance est une obligation morale et politique. Lorsque Jacques Chirac reconnaît la responsabilité de l’Etat français dans la déportation des juifs, il assume au nom de la France ce chapitre noir de l’histoire de son pays. Il fait œuvre réparatrice, non pour les juifs seulement, mais pour l’ensemble de la communauté nationale. De même, lorsque François Hollande, au nom de la République, « reconnaît avec lucidité » la répression brutale des manifestants algériens à Paris le 17 octobre 1961, il ne s’égare pas sur le terrain glissant de la repentance, comme le laissait entendre le titre trompeur du Figaro du 18 octobre 2012 (« Hollande fait repentance »). Il « reconnaît » une infamie qui a souillé la République, il sanctionne officiellement, non en moraliste mais en homme d’Etat, une vérité d’histoire.
Le maître mot est « lucidité », une vertu qui n’a rien à voir avec la repentance, et tout à voir avec la reconnaissance.
Elie barnavi.
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