Saint Barthélémy, conquêtes napoléoniennes, Vichy, crimes coloniaux, Guerre d'Algérie. Des enjeux de la repentance aux travaux d'historiens jusqu'aux lois mémorielles depuis le début des années 90, les guerres de mémoires ne cessent de hanter le débat public. De quoi la France doit-elle s'excuser ? Marianne ouvre le débat.
Saint Barthélémy, conquêtes napoléoniennes, Vichy, crimes coloniaux, Guerre d'Algérie. Des enjeux de la repentance aux travaux d'historiens jusqu'aux lois mémorielles depuis le début des années 90, les guerres de mémoires ne cessent de hanter le débat public. De quoi la France doit-elle s'excuser ? Marianne ouvre le débat.
lors que François Hollande doit se rendre en voyage officiel au Maghreb les autorités d’Alger lui ont rappelé que « la colonisation a été un crime massif dont la France doit se repentir si elle envisage d'établir avec l'Algérie des relations de qualité ». Gérard Longuet, ancien ministre de la Défense de Nicolas Sarkozy, leur a déjà répondu par un spectaculaire bras d’honneur télévisé et ce que doit dire François Hollande de ce rapport au passé douloureux constitue désormais l’aspect le plus délicat d’un déplacement qui comporte pourtant des enjeux diplomatiques et économiques non négligeables. Farouk Ksentini, Monsieur Droits de l'Homme du président algérien Bouteflika, a l’obligeance de lui préciser que « la repentance n'est ni une danse humiliante ni un aveu » et qu’il « comprend mal les hésitations de l'Etat français ».
Ces demandes sont formulées quelques semaines après les propos de François Hollande sur la « sanglante répression » de la manifestation du FLN, le 17 octobre 1961 à Paris. « La République reconnaît avec lucidité ces faits », a précisé le président, rompant avec cinquante ans de silence officiel de l’exécutif sur ces massacres. Mais Alger a trouvé cette déclaration insuffisante, exigeant des « excuses », de même que nombre de commentateurs en France estimant que le président était « timide » et « frileux », en refusant notamment de s’engager sur le nombre de victimes. Inversement, Marine Le Pen a condamné un « processus de repentance » consistant « à salir la France en toutes circonstances », tandis que François Fillon déclarait en « avoir assez que tous les quinze jours la France se découvre une nouvelle responsabilité et mette en avant sa culpabilité permanente ».
Christian Estrosi, deputé-maire UMP de Nice, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, lui, s’est raidi dans un garde à vous très « Algérie Française » (dont il avait d’ailleurs fait l’éloge le mois dernier) en déclarant qu’il n’entendait pas « faire de devoir de repentance à l'égard de l'œuvre civilisatrice de la France avant 1962 » (sic). Et Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale s’est braqué dans une posture rappelant celle des anti-dreyfusards refusant par principe que l’on souligne une faute de l’Armée en expliquant qu’il était « intolérable de mettre en cause la police républicaine ».
Christian Estrosi, deputé-maire UMP de Nice, ancien ministre de Nicolas Sarkozy, lui, s’est raidi dans un garde à vous très « Algérie Française » (dont il avait d’ailleurs fait l’éloge le mois dernier) en déclarant qu’il n’entendait pas « faire de devoir de repentance à l'égard de l'œuvre civilisatrice de la France avant 1962 » (sic). Et Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale s’est braqué dans une posture rappelant celle des anti-dreyfusards refusant par principe que l’on souligne une faute de l’Armée en expliquant qu’il était « intolérable de mettre en cause la police républicaine ».
L’on vérifie une fois de plus dans cette actualité tous les paradoxes et contradictions des initiatives mémorielles. C’est d’avoir utilisé à propos du 17 octobre 1961 le mot juste - « reconnaissance » - qui est reproché au Président de la République par ceux qui souhaitait repentance et excuses, tout comme le fait de ne pas s’être engagé sur le nombre des victimes - qui relève des historiens - lui est reproché par les nostalgiques d’une histoire officielle d’Etat. Et l’on retrouve aussi dans cet épisode un réflexe pénible : le soupçon d’inauthenticité porté sur chaque parole mémorielle. Ainsi, selon Marine Le Pen la déclaration de François Hollande ne s’explique que par son prochain voyage au Maghreb, tandis qu’à Alger, il a été immédiatement souligné que le ministre Kader Arif était un fils de harki pour déconsidérer ses propos invitant les Algériens à être « eux aussi capables de faire des gestes ». Avec une ironie aigre, Le Quotidien d’Algérie a ainsi reproché le 1er novembre à François Hollande d’avoir « fait resurgir l’affrontement » en « nommant au Ministère des Anciens combattants, Kader Arif, dont les parents ont ouvertement choisi le camp de la civilisation contre les barbares et les indépendantistes »
Ces réactions montrent que plusieurs décennies de préoccupations mémorielles ont plus favorisé que dissipé la confusion entre repentance, reconnaissance, connaissance, histoire et mémoire, ainsi que l’a rappelé Kader Arif, ministre français des Anciens Combattants : « Il n'est pas question de faire repentance », mais de « regarder notre histoire de la façon la plus juste ». Il faut dire que les cinq années de zig-zag en la matière de Nicolas Sarkozy n’ont pas arrangé les choses : l’ancien président, qui avait eu l’idée de faire porter par chaque classe d’écoliers la mémoire d’un enfant juif disparu, disait vouloir « en finir avec la repentance qui est une forme de haine de soi », sauf celle concernant le sort des harkis dont la France devait porter la « responsabilité historique »…
La liste est copieuse des références horrifiques d’une histoire longue, tourmentée, et dont les ombres et les lumières, projetées loin à la surface du globe, ont laissé des traces partout. Partant d’un bon principe – l’avenir ne se construit pas sans assumer le passé – la France a connu ces dernières années une inflation mémorielle qui promettait l’apaisement, mais ne cesse d’entretenir l’insatisfaction. Avec, parfois, une tendance à ne plus voir que les heures noires de l’Histoire de France dont la plus troublante illustration est fournie par la manière dont a été transformé le célèbre discours de 1995 de Jacques Chirac à propos, précisément, de la rafle du Vél’ d’hiv’. Modèle de nuance historique, ce long texte rédigé par Serge Klarsfeld et Christine Albanel (future ministre de Culture et alors conseillère à l’Elysée) évoquait subtilement l'existence, sous l'Occupation, de « deux France », l'une, celle de Pétain, qui « accomplissait l'irréparable », et l'autre, qui « n'a jamais été à Vichy », mais dans les « sables libyens et partout où se battent les Français libres », « à Londres, incarnée par le général de Gaulle » et « dans le coeur de ces Français, ces Justes parmi les nations qui, au plus noir de la tourmente [...], ont donné vie à ce qu'elle a de meilleur, en sauvant au péril de leur vie les trois-quart de la communauté juive ».
De ce discours contradictoire, fidèle reflet de la complexité de la France sous l'Occupation, en proie à une guerre civile morale et politique, presse et élus n’ont souvent retenu que le thème de la « France coupable », qui a fini par s’imposer, alors que le texte intégral répondait parfaitement à l’exercice de vérité que recommandait Albert Camus : « Il est bon qu'une nation soit assez forte de tradition et d'honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu'elle peut avoir encore de s'estimer elle-même. Il est dangereux en tous cas de lui demander de s'avouer seule coupable, et de la vouer à une pénitence perpétuelle ».
Mais la France, qui ne s’est longtemps construite et imposée que par la glorification de son Histoire, semble en être aujourd’hui embarrassée, à causes de ces nombreux épisodes dramatiques ou douloureux qui la parsèment. Marianne, cette semaine, revisite sur 24 pages ces épisodes toujours à vif et source de polémiques ou de concurrence mémorielles :
De ce discours contradictoire, fidèle reflet de la complexité de la France sous l'Occupation, en proie à une guerre civile morale et politique, presse et élus n’ont souvent retenu que le thème de la « France coupable », qui a fini par s’imposer, alors que le texte intégral répondait parfaitement à l’exercice de vérité que recommandait Albert Camus : « Il est bon qu'une nation soit assez forte de tradition et d'honneur pour trouver le courage de dénoncer ses propres erreurs. Mais elle ne doit pas oublier les raisons qu'elle peut avoir encore de s'estimer elle-même. Il est dangereux en tous cas de lui demander de s'avouer seule coupable, et de la vouer à une pénitence perpétuelle ».
Mais la France, qui ne s’est longtemps construite et imposée que par la glorification de son Histoire, semble en être aujourd’hui embarrassée, à causes de ces nombreux épisodes dramatiques ou douloureux qui la parsèment. Marianne, cette semaine, revisite sur 24 pages ces épisodes toujours à vif et source de polémiques ou de concurrence mémorielles :
- le servage féodal
- la répression des Cathares ;
- l’antisémitisme de Saint-Louis ;
- la Saint-Barthélémy, la révocation de l’Edit de Nantes et l’exil des protestants ;
- les massacres de l’armée royale dans le Palatinat ;
- la Terreur révolutionnaire et les massacres de Vendée ;
- l’esclavage et la traite négrière ;
- les campagnes napoléoniennes ;
- la Commune de Paris ;
- l’affaire Dreyfus ;
- la colonisation ;
- les tueries et fusillades de 14-18 ;
- la disparition des langues régionales ;
- le lâchage de l’Espagne républicaine ;
- Les accords de Munich ;
- la trahison du Parti communiste ;
- les crimes de Vichy ;
- la Guerre d’Algérie ;
- le rôle de l’armée française en Bosnie et au Rwanda.
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