vendredi 14 décembre 2012

Bras d’honneur de Longuet et Collard : seront-ils condamnés pour injure publique ?

Deux associations assignent Gérard Longuet et Gilbert Collard en justice, en raison de bras d’honneur fait publiquement à l’évocation d’une reconnaissance "des crimes du colonialisme" en Algérie. Ce geste peut-il constituer une insulte juridiquement répréhensible ? Réponse de Maître Mathieu Davy, avocat en droit de la communication et des médias au cabinet Oria Legal.

Longuet bras d'honneur
Gérard Longuet, le 31 octobre sur Public Sénat. (Public Sénat/Capture d'écran)

Il y a quelques semaines, les téléspectateurs de Public Senat étaient saisis de constater, en plein générique de fin d’une émission politique, Gérard Longuet, sénateur UMP, faire un bras d’honneur à l’écran.

Longuet et Collard dans le même bateau

Il s’en était expliqué le lendemain en indiquant que ce geste était une réponse à une demande d'Alger pour que la France reconnaisse les crimes du colonialisme : "C'est un sujet sensible pour moi : ce faisant, l'Algérie ravive une plaie non pas tellement avec l'Algérie, mais aussi entre nos compatriotes, nos compatriotes pieds-noirs, qui ont l'impression d'être collectivement jugés et condamnés, et nos compatriotes métropolitains qui se disent : qu'est-ce que c'est que ces gens qui étaient au fond des criminels".

Gérard Longuet assume son bras d'honneur  (Le Nouvel Observateur)

Le surlendemain, l’avocat député FN Gilbert Collard était invité sur un plateau télé afin de recueillir son sentiment sur ce geste, et l’a reproduit à l’antenne en soulignant : "Il a bien fait, enfin un peu d’honneur au bout du bras", "j’espère que ce bras d'honneur a été tellement amplifié par les médias que ceux qui nous demandent de nous repentir l’ont reçu en pleine figure", "y’en a marre de devoir se repentir, je veux être fier de mon pays".

L'injure aux yeux de la loi

Deux associations, le Rassemblement démocratique algérien pour la paix et le progrès (RDAP) et l'Organisation arabe unie (OAU), auraient agi en justice pour "injure publique".

Rappelons que l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 définit l’injure comme "toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait."

Elle est sanctionnée à l’article 33 de la même loi : "L'injure (…) sera punie d'une amende de 12 000 euros. Sera punie de six mois d'emprisonnement et de 22 500 euros d'amende l'injure commise, dans les conditions prévues à l'alinéa précédent, envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée".

En clair, il n’est pas nécessaire que l’injure ressorte obligatoirement d’un écrit. Il a déjà été jugé qu’une injure pouvait être contenue dans un graphisme, un dessin, ou une caricature.

Les gestes blessent comme les mots

Une image, peut être injurieuse, par le message qu’elle contient. Alors, pourquoi pas, un geste ? C’est ce qu’a déjà jugé une cour d’Appel, en considérant qu’un bras d’honneur peut, à juste titre, être considéré comme une injure. Il s’agissait d’un bras d’honneur adressé par un salarié à son patron.

En droit des médias, le raisonnement peut être le même : l’image d’un bras d’honneur public, fait sciemment et sérieusement, peut donc constituer une injure.Le contexte montre bien que Monsieur Longuet, et sa "copie" Monsieur Collard, inscrivent leur geste dans un propos polémique et politique, et non dans un cadre humoristique.

Envers qui est dirigé de bras d'honneur ? 

Pire, l’on peut même clairement considéré qu’il s’agit d’une injure aggravée, c’est-à-dire commise envers un groupe de personnes "à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée", en l’espèce, les Algériens.

En effet, envers qui est dirigé ce bras d’honneur ? À qui est implicitement adressé, ce "allez-vous faire voir" ? Le juge appréciera.

Il pourrait même se poser la question de savoir, si ce geste ne revêt pas également le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, délit sanctionnée sur le fondement de l’article 24 de la loi de 1881.

En clair, des geste peuvent être aussi explicites que des mots, aussi précis qu’une saillie, et peuvent naturellement blesser, heurter, une personne, ou toute une communauté. Se dissimuler derrière n’en rend par pour autant la loi inapplicable.

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