Samedi 19 juin 1965, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie indépendante, est renversé par un coup d’Etat organisé et fomenté par son ministre de la Défense Houari Boumediene, aidé par une poignée de conjurés dont Abdelaziz Bouteflika, ministre des Affaires étrangères. DNA raconte dans cette longue enquête les coulisses du complot qui a renversé Ahmed Ben Bella, décédé le 11 avril 2012, à l’âge de 95 ans.
Parmi tous les facteurs qui ont concouru au déclenchement du coup d’Etat du 19 juin 1965, il y en a un qui fait l’unanimité : la personne de Abdelaziz Bouteflika. Le ministre des Affaires étrangères entre 1963 et 1979 aura été l’élément déterminant qui a fait précipiter les événements.
Pourtant, rien, absolument rien, ne dispose ces deux hommes, Ben Bella et Bouteflika, à devenir ennemis. Le capitaine Bouteflika n'avait-il pas rencontré, sur recommandation de Boumediene, en décembre 1961, Ahmed Ben Bella, alors détenu au Château d'Aulnoy, en région parisienne, pour lui proposer de devenir président avec le concours des militaires de l'état-major?
Bouteflika, fringuant ministre
Bouteflika ne doit-il pas carrière politique à Ben Bella ? Jeune député de Tlemcen, dans l'ouest d'Algérie, il entre dans le premier gouvernement algérien le 27 septembre 1962 comme ministre de la Jeunesse.
Cette nomination n’est pas faite pour satisfaire le colonel Boumediene qui aurait souhaité que son ami et protégé Bouteflika soit plutôt placé à la tête du ministère de la Défense.
De cela, Ben Bella n’en pas fera pas cas. Pour autant, Bouteflika, l’un des plus jeunes ministres de gouvernement, fait bonne figure. Mieux, il épatera.
Intelligent, rusé et grand charmeur, Abdelaziz Bouteflika sait épater ses amis et séduire ses adversaires. S’il ne réalise pas de miracles au sein de son département, il réussira à attirer la sympathie de tout le monde, ou presque. A plus forte raison, celle de son président.
Si bien que, moins d’une année plus tard, le 18 septembre 1963, il hérite du prestigieux portefeuille des Affaires étrangères, à la mort de Mohamed Khemisti, officiellement assassiné par un déséquilibré mental le 5 mai 1963. Thèse qui demeure jusqu’à l’heure sujette à caution.
Un remaniement qui passe mal
A la grande surprise du président Ben Bella, ce remaniement ministériel va susciter des petites tempêtes dans le microcosme politique algérien.
C'est que la désignation d’Abdelaziz Bouteflika au Affaires étrangères crée remous et contestations parmi les ministres, les députés et les proches de Ben Bella.
On s’offusque qu’un fringant jeune homme de 26 ans, dépourvu de toute expérience dans le domaine, soit désigné pour diriger la diplomatie d’un pays qui souhaite jouer un grand rôle sur la scène internationale.
Lorsqu’il apprendra la nouvelle, le président de l’Assemblée nationale, Hadj Ben Alla, manque de s'étouffer de rage. « Bouteflika n’est pas digne d’occuper une fonction aussi importante », tranche-t-il.
Kaïd Ahmed lorgne les Affaires étrangères
Un avis partagé par d’autres personnalités. Kaïd Ahmed, par exemple, premier responsable de la commission des affaires étrangères de l’assemblée. Lui estime que le poste lui revient de droit. Alors, il prendra les devants pour tenter de court-circuiter la décision de la présidence.
Avant même que le changement ministériel ne soit opéré, Kaïd Ahmed s’installe dans les locaux du ministère des Affaires étrangères tant considère-t-il être dans son bon droit.
Il s’y voit tellement que, dit-on, il dicte ses ordres aux différents responsables de ce département. Mais Kaïd Ahmed finira par se rendre à l’évidence. Le président ne reviendra pas sur sa décision : Bouteflika sera bel et bien le ministre des Affaires étrangères.
Dépité, Kaïd Ahmed quittera les locaux pour diriger le ministère du Tourisme.
« Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
Kaïd Ahmed et Hadj Ben Alla ne seront pas les seuls à contester la nomination de Bouteflika. D’autres ténors de la politique, notamment Mhamed Yazid, ministre de l’Information dans le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et Saad Dahleb, chargé du département des affaires étrangères dans le même exécutif, ne manquent pas de ricaner.
Comment Ben Bella réagit-il devant tant de désapprobation? Il restera impassible.
A ceux qui lui reprochent la confiance placée en la personne de Abdelaziz Bouteflika, il répond avec une grande assurance : « Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
« Le patron nous fait honte »
Les diplomates qui ont fait leurs preuves durant la guerre de libération pensent le contraire. Quelques semaines après les prises de fonctions de Bouteflika, raconte l'hebdomadaire Jeune Afrique dans sa livraison du 18 juillet 1967, ils ne se gênent pas pour lancer des remarques perfides en direction du nouveau ministre. « Le patron nous fait honte », persiflent-ils.
Le président devra très vite déchanter devant ce chef de la diplomatie qu’il a tenu à imposer à ses pairs, au risque de subir leurs courroux. Parce qu’au fil des mois, Bouteflika s’émancipe de la tutelle de Ben Bella A tel point qu’il devient gênant, voire indésirable. Désormais, Ben Bella ne veut plus de lui dans le staff gouvernemental.
Objectif : Contraindre Bouteflika à la démission
Ahmed Ben Bella est de plus en plus obsédé par une seule idée : obtenir le départ de Bouteflika. Les relations entre les deux hommes se détériorent de jour en jour.
Le président n’hésite pas à critiquer ouvertement son chef de la diplomatie. Devant des personnalités étrangères, il déclare que « Bouteflika n’en fait qu’à sa tête. Alors que moi, pour voir un ambassadeur, je dois passer par lui.»
On raconte volontiers que Bouteflika consulte rarement le chef de l’Etat. Il lui arrive même de réunir les ambassadeurs algériens sans l’informer. Une attitude insupportable pour Ben Bella qui aspire de plus en plus à contrôler les différents centres du pouvoir.
A son tour, Ahmed Ben Bella n’est pas avare en piques et remontrances à son égard. A l’occasion, il lance des flèches assassines à l’endroit de Bouteflika.
Exemple cet cet incident diplomatique survenu lors du voyage à Moscou en mai 1964. A l’issue de longs entretiens entre Russes et Algériens, Bouteflika et Boris Ponomarev, ministre chargé des relations avec les partis étrangers, sont appelés à rédiger le communiqué final sanctionnant les discussions.
Kroutchev réveille Ben Bella à 2 heures du matin
Les deux ministres ergotent pendant des heures. Bouteflika pinaille, chipote et se montre inflexible sur les termes du document. La séance de travail s’éternise jusqu’à deux heures du matin. Et le communiqué ne tombe pas.
Excédé, le diplomate russe informe son président, Nikita Kroutchev, lequel piquant une grosse colère après une de ses monumentales beuveries à la vodka, réveille Ben Bella pour l’informer de cet incident.
Que fait Ben Bella?
Le président algérien se fait un malin plaisir de sermonner Bouteflika en lui ordonnant de se calmer. Cet incident ne manquera pas de nourrir davantage l’animosité qui lie désormais les deux hommes.
Si les antagonismes pouvaient se limiter à ces états d’âmes et à ces sautes d’humeur…
Les points de divergences entre les deux hommes tournent essentiellement autour de la politique extérieure du pays. Bouteflika, tout comme son ami Boumediene, voit d’un mauvais œil l’influence de plus en plus grandissante qu’exercent certains hommes politiques égyptiens sur Ben Bella. Une influence qui date.
Ben Bella sous la coupe des Egyptiens
Bien avant l’indépendance, Gamal Abdelnasser, le raïs égyptien, avait réussi à mettre Ben Bella sous sa coupe. Et le voyage de Nasser à Alger, où il fut accueilli triomphalement, en mai 1963, scellera définitivement cette emprise. Cette visite, la première et la dernière de Nasser, débouchera sur de lourdes conséquences pour l’avenir de la jeune Algérie.
Des milliers de coopérants égyptiens y débarquent pour travailler comme techniciens et comme enseignants. Les deux présidents conviennent également d’une étroite collaboration dans le domaine militaire. L’amiral égyptien Eiret Soleiman est officiellement chargé d’organiser la marine algérienne ainsi que la garde personnelle de Ben Bella.
Fethi Dib, l'homme de Nasser à Alger
Fethi Dib, patron des services spéciaux, homme de main de Nasser, fera lui la pluie et le beau temps à Alger. Les services de renseignements égyptiens exercent un tel ascendant sur les Algériens que lors de la guerre qui oppose l’Algérie au Maroc en 1963, les Marocains réussissent à capturer des officiers supérieurs égyptiens, enrôlés dans les rangs de l’armée algérienne.
Du reste, le Dr Mohamed Seghir Nekkache, ministre de la Santé, ami intime de Ben Bella, est communément considéré à Alger comme « l’homme des Egyptiens ». L’ambassadeur d’Egypte à Alger, Ali Kachaba? Il est soupçonné de faire de la diplomatie parallèle au profit du Caire.
Une telle mainmise des Egyptiens sur Ben Bella fait grincer des dents au sein des instances dirigeantes.
Hassan II raconte
Dans son ouvrage « Hassan II, la mémoire d’un Roi » (Edition Plon, 1993), l'écrivain et journaliste français Eric Laurent raconte cette anecdote édifiante sur la méfiance entretenue entre Ben Bella et Boumediene.
Nous sommes début 1965, le sommet de la ligue arabe se tient au Caire. Nasser tente de réconcilier Algériens et Marocains, voisins devenus ennemis. Le conclave auquel prendront part Hassan II, Nasser et Anouar Sadate, se déroulera dans la suite du président algérien à l’hôtel Hilton.
Ben Bella arrive à la rencontre, suivi de prés par Houari Boumediene, son ministre de la Défense. Au moment de franchir la porte, Ben Bella se retourne vers Boumediene pour lui signifier d’un ton sec : « Toi tu n’entres pas. C’est mon appartement. »
Le roi du Maroc qui raconte l’épisode à Eric Laurent dira : « Nasser hoche la tête d’un mouvement approbateur, l’air de dire : 'Oui, il n’a rien à faire ici.'» « Je crois, poursuit Hassan II, que ce jour-là, le sort de Ben Bella a été scellé. En entendant ces mots, Boumediene a terriblement pâli et j’ai compris qu’il n’oublierait jamais cette humiliation. »
Nasser : Boumediene n'a rien à faire ici
Si cette anecdote est sans doute très révélatrice des dégâts qu’à fait subir Nasser à l’Algérie, par l’entremise de Ben Bella, elle n'est pas moins révélatrice des relations conflictuelles et tendues entre Boumediene et Ben Bella.
Ce dernier n’a jamais réellement fait confiance à son ministre de la Défense. C’est comme si les deux hommes s’épient, se surveillent, chacun attendant le bon moment pour se débarrasser de l’autre.
En témoigne encore cette scène d’une prophétie inouïe, survenue une année plutôt, en avril 1963.
« Comment vont les intrigues ? »
Le président algérien reçoit alors Lotfi El Khouli, envoyé spécial du prestigieux journal égyptien El Ahram. Ahmed Ben Bella présente au journaliste Houari Boumediene en ces termes : « Voici l’homme qui prépare des complots contre moi », déclare Ben Bella avant de se retourner vers son ministre de la Défense pour l’apostropher : « Comment vont les intrigues ? », l'interroge-t-il.
Imperturbable, Boumediene répond à son président avec un flegme et un calme extraordinaires : « Très bien, merci. »
Il était donc écrit que le destin qui lie les deux personnages finisse d’une façon tragique ? Mais entre Boumediene et Ben Bella, Bouteflika fera office de mèche. Il sera ce « catalyseur » du coup d’Etat ainsi que l’écrit Hervé Bourges dans son livre « L’Algérie à l’épreuve du Pouvoir », sorti en 1967.
Mai 1965. Ahmed Ben Bella est plus que jamais décidé à s’accaparer tous les pouvoirs. Dans cette conquête du pouvoir absolu, il réussira deux coups en éliminant deux adversaires de taille. Il contraint à la démission Ahmed Medeghri et Kaïd Ahmed, successivement, ministre de l’Intérieur, et du Tourisme. Le premier est un ami intime de Boumediene, un fidèle dans sa clique constituée notamment de Bouteflika et de Belkacem. Certes Boumediene sent le danger se rapprocher, mais il laisse faire Ben Bella. Il donne du champ au président et compte ses erreurs en attendant de lui donner le coup de grâce.
Ce coup de grâce, c’est Ben Bella qui le lui offrira sur un plateau d’argent. Dans le courant de ce mois de mai, le président convoque Abdelaziz Bouteflika à la villa Joly (siège du Bureau politique FLN et résidence de Ben Bella).
Passé les salutations d’usage, Ben Bella se fait menaçant. Il attaque Bouteflika de front : « Cette situation ne peut plus durer, lui dit-il. Je crois que dans l’intérêt du pays, de nos rapports personnels et l’avenir de la nation, tu ferais bien de démissionner. Dans tous les cas, je te demande de réfléchir à tout cela. Mais je te demande de ne consulter personne au sujet de cette conversation. »
L’entretien entre le président et son ministre ne débouche sur aucun compromis. Ben Bella n’exige pas une démission dans l’immédiat et Bouteflika demande un temps de réflexion.
Bouteflika chez Cherif Belkacem
Lorsqu’il quitte la Villa Joly, Bouteflika se rend chez son ami Cherif Belkacem.
Ce dernier raconte à l’auteur de ces lignes la scène. Bouteflika entre dans le bureau, le visage pâle, les traits tirés. Il lui annonce la nouvelle : le président a exigé son départ. Belkacem veut davantage de détails. « Qu’est ce qu’il t’a dit exactement ? », demande-t-il. Son départ, rien que cela, répond Bouteflika.
Les deux ministres conversent jusqu’à une heure tardive de la nuit. Avant de se quitter, Cherif Belkacem se veut rassurant : « Rentre chez toi et reste tranquille », ordonne-t-il à Bouteflika.
Boumediene écourte sa visite au Caire
Au même moment, Houari Boumediene est au Caire où il doit participer à la réunion des chefs de gouvernement arabes. Bouteflika et Cherif Belkacem arrivent à entrer en contact avec lui pour l’informer de la nouvelle.
Boumediene est contrarié. Très. Pour autant, il demande à ses deux amis de ne rien tenter. Ne rien faire et attendre son retour. « Ne faites rien. Restez tranquilles. J’arrive », dit-il.
Aussitôt dit au téléphone, presque aussitôt fait. Boumediene décide d’écourter d’une journée son séjour dans la capitale égyptienne. Il y a urgence ailleurs que de rester au Caire.
Dès son arrivée à Alger, il se réunit avec ses proches collaborateurs et ses fidèles amis. Puisque Ben Bella veut les évincer l’un après l’autre du pouvoir, il faudra donc se résoudre à l’évincer. Le chasser avant qu’il ne réussisse à les chasser tous. Selon le témoignage de Cherif Belkacem (entretien avec l’auteur en novembre 2002), le coup d’Etat contre Ahmed Ben Bella s’est réellement décidé au retour de Boumediene du Caire.
Ben Bella ne se doute de rien
Durant les deux premières semaines de ce mois de juin 1965, le complot prend forme. Par petites touches. Jour et nuit, Boumediene et ses caporaux discutent, dissertent, palabrent, jaugent les pour et les contre. Ils planifient des stratégies, se consultent et consultent. Le tout dans la plus grande discrétion.
Ahmed Ben Bella se doute-t-il de quelque chose ?
Des rumeurs, des bruits de bottes lui parviennent aux oreilles, mais il botte en touche. Mohamed Labjaoui raconte dans son livre (Vérités sur la révolution algérienne, Gallimard, 1970) que la veille du départ de Ben Bella à Oran, un ami du président informe celui-ci de l’imminence d’un putsch contre lui.
« Prend tes devants »
« Prend tes devants. Boumediene et sa clique ont compris qu’ils sont éliminés de l’armée. Ils sont décidés à agir », affirme le mystérieux ami. Ben Bella dégage la recommandation d’une talonnade. Personne n’oserait le toucher. Qui oserait ? Ben Bella éconduit son ami en ces termes : « Ce ne sont pas des marionnettes comme ça qui sont capables de faire un coup d’Etat. »
Ahmed Ben Bella aurait dû écouter ce confident et ceux qui le préviennent du danger. Car le ministre de la Défense réussira à rallier les principaux commandants des régions militaires. Fidèles à l’état-major de l’armée, ces colonels acceptent de marcher dans le coup.
Plusieurs ministres du gouvernement le sont aussi. Une question, la plus importante, demeure tout de même : quand et comment procéder au coup d’Etat contre Ahmed Ben Bella ?
Le putsch se prépare
Lors de ces nombreuses réunions et conclaves secrets servant à préparer la destitution, Bouteflika soulève une problématique. L’Algérie s’apprête à accueillir fin juin, la grande réunion afro-asiatique.
Si elle se tenait avec Ben Bella comme président, il deviendrait extrêmement périlleux de tenter un coup de force contre un chef d’Etat auréolé d’une nouvelle et grande légitimité.
Du coup, les putschistes auraient toutes les peines du monde à rallier l’opinion internationale à leur faveur, quelques que soient leurs arguments.
Si Ben Bella venait à être destitué avec la tenue de cette conférence, le putsch porterait un coup fatal à l’image de l’Algérie et surtout à ses auteurs, qui en seraient inévitablement éclaboussés.
Qui prendrait le risque de reconnaître un gouvernement qui déposerait son président à la veille d’une grande réunion internationale ?
Comment faire alors ? Les palabres durent des heures, des jours.
Renverser Ben Bella avant la conférence afro-asiatique
Bouteflika parvient à faire admettre à ses interlocuteurs la nécessité de privilégier la première option : renverser Ben Bella avant la conférence. A charge pour lui et les autres de convaincre les ambassadeurs accrédités à Alger ainsi que les grands de ce monde du bien-fondé du putsch. Reste alors à déterminer le lieu et la date.
Une personne suggère la date du vendredi 18 juin à Oran. Pourquoi ? Ben Bella s’y rendra pour assister au match qui opposera l’équipe algérienne de football à celle du Brésil, le Brésil du grand Pelé. « On pourra l’arrêter à la fin du match, au sortir du stade », propose cette personne.
Encore une fois, Bouteflika dont on ne louera jamais assez le sens du complot intervient pour prévenir du danger d’une telle option. Il fait remarquer à Boumediene et à ses amis de conjurations que non seulement une telle opération comporterait de grands dangers sur la sécurité des biens et des personnes présentes, mais elle serait assimilée par l’opinion algérienne et internationale à un rapt.
Enlever le président avant la match Algérie- Brésil
Enlever et destituer Ben Bella à la fin d’un match contre le Brésil, quelle idée ! Ce serait d’une telle catastrophe pour les conjurés…
Tous les efforts que pourraient entreprendre par la suite les nouveaux dirigeants pour obtenir le soutien des Algériens et des étrangers seraient vains. Les comploteurs se rangent alors derrière l’idée de Bouteflika. Ahmed Ben Bella ne sera pas kidnappé lors du match Algérie- Brésil.
Le putsch interviendra plus tard. Il faut laisser le président savourer ce dernier plaisir d’homme libre. Ne rien faire qui puisse éveiller ses soupçons.
Vendredi 18 juin. La journée s’annonce radieuse pour le président. La veille, il effectuait une tournée triomphale dans l’Ouest du pays, sa région natale. Partout, les gens l’ont acclamé avec chants et youyous, au grand bonheur de cet homme qui adore particulièrement ses bains de foules. Grisant.
Ben Bella affectionne ces moments de liesse populaires qui lui font croire qu’il reste un président incontournable, invincible, investi d’une mission presque messianique. Ahmed Ben Bella, président bien aimé…
Les grands projets de Ben Bella
Dans l’avion présidentiel, il ne cache pas son enthousiasme devant l’envoyé spécial de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Ahmed Ben Bella déborde d’énergie, d’optimisme. Il a des grands projets pour l’Algérie. De plus, le pays s’apprête à accueillir les chefs d’Etats de l’Afrique et de l’Asie pour la grande conférence « afro-asiatique ». Un événement qui ferait de lui la grande star qui rayonnerait sur l’Afrique, sur l’Asie. Dans le monde.
De quoi donner des ailes à Ben Bella. « Je vais libérer 700 prisonniers politiques et après la conférence afro-asiatique, un peu plus tard, je libérerai Ait Ahmed », dit-il au journaliste de Jeune Afrique.
Hocine Ait Ahmed, le chef du FFS (Front des forces socialistes).
Héros de la révolution, ex-compagnon dans l’organisation spéciale (OS), détenu au château d’Aulnoy, en France, avec Ben Bella, Boudiaf, Khider, Lacheraf, Hocine Ait Ahmed est ce chef kabyle qui a lancé en 1963 une insurrection armée en Kabylie pour s’opposer à la dictature du parti unique imposée par le président Ben Bella.
Libérer Hocine Ait Ahmed
Une guerre civile qui a fait des centaines de morts. Ce conflit fratricide, dont il est le principal responsable, Ben Bella veut maintenant y mettre fin en signant un armistice avec le chef des rebelles kabyles, arrêté en octobre 1964, puis condamné à mort pour sédition.
Libérer Ait Ahmed après l’avoir combattu, emprisonné et condamné, Ben Bella est persuadé que cette décision n’aura pas l’aval des militaires.
Il fait part de son inquiétude au journaliste de Jeune Afrique: « Au bureau politique, sur ce point, ils sont tous contre moi, dit-il. Mais je tiendrai bon. L’Algérie a assez souffert. Il a y eu assez de sang. La répression est toujours un engrenage difficile à stopper. Maintenant, nous devons tous travailler, tous ensemble…Je crois que c’est une position juste, mais si mes frères du Bureau politique ne sont pas d’accord sur ce point, je suis prêt à me retirer et redevenir un militant de base…»
Ahmed Ben Bella se refuse-t-il à engager un bras de fer avec ses détracteurs ? Est-il prêt à quitter son poste et laisser le pouvoir entre leurs mains ? C’est sans compter sur la détermination de ce président arrivé au pouvoir trois années plus tôt sur les chars de l’armée des frontières.
Il s’y accrochera, comme il s'y est accroché pendant ces trois pénibles années qui ont suivi l’indépendance de juillet 1962.
Et ses ennemis connaissent trop bien l’obsession de Ben Bella pour le fauteuil pour le laisser agir à sa guise. Ils le connaissent bien, trop bien, pour lui avoir ouvert avec les baïonnettes, aux prix de milliers de morts, les portes du Palais présidentiel.
Ben Bella à Oran pour voir Pelé
Une terrible partie de poker menteur va donc se jouer entre lui et ses opposants. Curieusement, les principaux ennemis de Ben Bella ne font pas partie de ce voyage qu’il effectue dans les régions de l’Ouest. Le ministre de la Défense Houari Boumediene, le chef de la diplomatie Abdelaziz Bouteflika et Chérif Belkacem restent à Alger. Eux préparent la grande conjuration.
Jeudi 17 juin est un grand jour pour le pays. Dans le stade d’Oran, devant 60 000 spectateurs, l’équipe algérienne de football rencontre la mythique sélection du Brésil. Pelé, le roi, sera sur le terrain.
Pour rien au monde, Ahmed Ben Bella, amateur de foot et ancien joueur de l’Olympique de Marseille, ne saurait rater un tel match. Il en parle avec excitation depuis des jours.
Le président est dans les tribunes. Il exulte. Malgré la défaite - le Brésil bat l’Algérie par trois bus à deux-, il quitte le stade ravi comme un enfant. Le lendemain, vendredi 18 juin, il est de retour à Alger.
Dans l'avion, il parle de sa mère
Dans l’avion qui le ramène vers la capitale, il s’épanche volontiers. Ben Bella évoque son passé de militant du FLN et s’autorise à des confessions intimes. Il parle de sa mère, une vieille femme qu’il vénère. « Ma mère est une femme formidable, dit-il au reporter de Jeune Afrique qui l’accompagne. Très courageuse. Je lui ai causé beaucoup de soucis et je lui en causerai encore. Mais, elle est très forte. Seulement nos rapports sont très discrets. Il y a entre nous une sorte de grande pudeur. C’est une femme très bien…»
Propos prémonitoires ?
Lorsque le président fend l’armure devant le journaliste, il est loin de se douter qu’il ne reverra pas sa mère pendant de très longues années. De longues années qu’il passera en détention dans un lieu secret.
Un dernier thé au Palais du Peuple
Vendredi 18 juin. Arrivé à Alger, le président est attendu par un comité d’accueil formé de ministres et de hauts gradés de l’armée. Une réception est prévue au Palais du Peuple. Décontracté, souriant, Ben Bella reçoit les hommages du gouvernement autour d’un thé.
Parmi l’assistance, on remarquera la présence de Abdelaziz Bouteflika. Lui est là pour marquer le coup, pour faire semblant. Sauver les apparences. Et pour cause, lui et une poignée d’autres hommes savent que la comédie prendra fin dans quelques heures. Bouteflika sait que Ben Bella profite de ses ultimes instants de président de la république algérienne.
Au moment où Abdelaziz Bouteflika serre la main d’Ahmed Ben Bella en cet après-midi du 18 juin 1965, il sait pertinemment que le sort de ce dernier est définitivement scellé Le compte à rebours peut commencer.
La dernière poignée de main de Bouteflika
Etrange spectacle que de voir Bouteflika dans ce Palais du Peuple saluant Ahmed Ben Bella alors qu’il sait qu’il vit ses derniers instants d’homme libre, de président.
La réception terminée, le président regagne la villa Joly, sa résidence, où il doit recevoir des journalistes de l’hebdomadaire français Paris-Match venus effecteur un reportage.
Il se prête au jeu des questions -réponses. Les discussions durent presque trois heures. Le photographe du journal désire prendre des photos de Ben Bella. Celui-ci accepte volontiers tant et si bien qu’il proposera aux journalistes de le suivre au Club des Pins, une station balnéaire sur le littoral ouest d’Alger, qui doit accueillir dans quelques jours les hôtes de l’Algérie pour la conférence afro-asiatique.
Les dernières photos de Ben Bella dans Paris Match
Ben Bella tient tant à la réussite ce grand rendez-vous qui verra la présence à Alger, la capitale de la jeune Algérie indépendante, de leaders du tiers-monde, comme Nasser et Nehru, qu’il supervise lui même les travaux de réalisation de l’enceinte.
Sur les balcons de l’immense building encore en chantier, il prend la pose, sans savoir que ces photos seront les derniers témoignages de lui comme de président de la République.
20 heures à Alger. Les membres de la compagnie nationale de sécurité (CNS), postés autour de la résidence du président, attendent la relève habituelle. Chaque jour, à cette heure précise, une nouvelle garde vient prendre le témoin. Mais ce soir, ce sont d’autres hommes qui auront à veiller sur cette luxueuse demeure et sur la sécurité de son illustre occupant.
Changement de garde à la Villa Joly
Des soldats de l’armée, revêtus en uniformes de CNS, se positionnent autour des lieux. Ben Bella ne prendra pas garde à ce discret changement au moment de recevoir des invités jusqu’à tard dans la nuit. Car même le soir, le chef de l’Etat continue à travailler.
Dernière entrevue avec Boumediene
Et ce vendredi soir, il compte s’entretenir avec son ministre de la Défense, Houari Boumediene, pour lui faire part de ses nouvelles décisions. Samedi 19 juin, il réunira le bureau politique du FLN pour donner de nouvelles orientations.
Il est 21 heures. Ben Bella reçoit Boumediene. Depuis quelques semaines, les rapports entre les deux hommes se sont nettement détériorés. La discussion dure une heure.
En voici la teneur de cet ultime briefing, telle que rapportée par le journaliste de Paris-Match, Robert Barrat, dans le numéro 846 du magazine daté du 26 juin 1965.
Le président n’est pas content du travail de ses ministres. Il en veut particulièrement à Abdelaziz Bouteflika, ce ministre qui ose lui tenir tête depuis quelques mois.
« Je vais remanier l’équipe ministérielle, explique-t-il à son interlocuteur. Bouteflika est décidément trop jeune pour être un bon ministre des Affaires étrangères, Boumaza (Bachir Boumaza, ministre du Travail et des Affaires sociales, NDLR) ne fait rien de bon. J’ai l’intention de confier quelques portefeuilles à des techniciens et d’élargir le cabinet. Le moment est venu de réconcilier les Algériens. »
Boumediene pèse ses mots
Le ministre de la Défense encaisse le coup et tente de réagir. Calmement. Comme à son habitude, Boumediene n’est pas homme à s’emporter. Il pèse ses mots. « C’est là une décision importante que tu ne peux prendre qu’après décision du bureau politique », lui fait-il remarquer.
Son président a la parade toute trouvée. « C’est bien ce que je compte faire. Le bureau se réunira demain matin à 9 heures », répond Ben Bella. La discussion s’achève sur ces entre-faits.
Houari Boumediene regagne son bureau au ministère de la Défense, à quelques encablures de la Villa Joly.
Pas de modification du plan
Le plan de Boumediene, préparé depuis quelques jours, ne subira aucune modification. Encore moins maintenant que Ben Bella lui a fait part de son intention de remanier l’exécutif. Son entrevue avec le président, la toute dernière entre les deux hommes, le renforcera dans sa conviction. Ben Bella, pense-t-il, est obtus. Il n’en fait qu’à sa tête.
Il sera destitué dans les heures à venir. Le temps est donc venu de mettre les dernières retouches au complot.
Dans son bureau au ministère de la Défense, Boumediene s’entretient avec ses collaborateurs. Autour de lui, Abdelaziz Bouteflika, Chérif Belkacem, et Ahmed Medeghri, ministre de l’Intérieur, destitué de son poste par Ben Bella quelques semaines auparavant.
La réunion des conjurés
Sont présents également, cinq hauts gradés de l’armée. Des fidèles parmi les fidèles de Boumediene. L’heure est grave. Boumediene donne ses dernières instructions. Tout doit se dérouler sans effusion de sang. Pas une seule balle ne doit être tirée, prévient-il. Le putsch doit durer moins de deux heures, insiste-t-il auprès de ses hommes.
Boumediene est un homme qui tient parole. Deux ans plus tôt, il avait prédit son coup contre Ben Bella, avec une science presque exacte. « Nous le soutiendrons tant qu’il sera utile à l’Algérie. Le jour où il cessera de rendre service, il ne nous faudra pas plus de deux heures pour le renverser », avait-il déclaré à ses proches.
Deux heures, pas plus. C’est le temps que doit prendre l’opération de renversement d’Ahmed Ben Bella en cette folle nuit du 18 au 19 juin 1965.
Minuit, des blindés à Alger
Minuit. Des blindés de l’armée se positionnent sur les axes centraux de la capitale. Les Algérois n’y prêtent guère attention. Non seulement la population est habituée depuis des années à des scènes de guerre, mais un hasard de l’histoire leur fera croire à un spectacle de cinéma.
En effet, depuis quelques jours, on tourne à Alger un film sur de guerre, réalisé par le cinéaste italien Gillo Pontecorvo, La Bataille d’Alger.
2h10 du matin. A l’intérieur de la Villa Joly, Ben Bella dort depuis moins de deux heures. La journée a été si harassante qu’il n’entend pas les bruits de l’extérieur. Sa gouvernante est réveillée par le vacarme. On frappe à la porte. Ben Bella émerge de son sommeil, va ouvrir.
Devant la porte se tiennent trois hommes. Tendu, les mains légèrement tremblantes, le colonel Tahar Zbiri, chef de l’état-major de l’armée, se met en face de son président.
Derrière lui, le commandant Draia, directeur des forces de sécurité et Said Abid, chef de la région militaire d’Alger-centre.
C’est Zbiri qui est officiellement chargé d’exécuter l’ordre que venait de lui donner quelques minutes plutôt, son ministre de la Défense, Houari Boumediene : mettre le président de la république aux arrêts. « Au nom du Conseil de la Révolution, j’ai l’ordre de vous arrêter sous l’inculpation de haute trahison », clame-t-il d’un ton solennel face à un Ben Bella incrédule.
Ben Bella tente de résister
Debout, en pyjama, il n’a pas eu le temps de s’habiller, le président croit d’abord à une plaisanterie de mauvais goût. Mais il déchante vite. Ces trois visiteurs ne sont pas là pour lui organiser une farce. Passé les premiers moments de stupeur, le président tente de faire face au groupe d’officiers félons.
D’un air martial, il menace. « L’acte dont vous portez aujourd’hui la grave responsabilité, vous aurez un jour à en répondre devant l’histoire et le peuple algérien », tonne-t-il. En vain.
Les trois hommes restent de marbre. Zbiri, dans un geste d’énervement, lâche une phrase qui restera célèbre : « Khlass Ya Hmmimed (c’est fini Hmmimed, diminutif rabaissant de Ben Bella) ».
Résigné, Ben Bella lâche un juron : « Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) », avant de demander à ses ravisseurs de lui laisser du temps pour se rhabiller.
« Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) »
Encadré par les trois officiers, le président monte dans une voiture noire qui l’amène vers une destination inconnue.
Autour de sa villa, une dizaine d’hommes en uniforme, armés jusqu’aux dents, assurent la sécurité des lieux. Avant de disparaître, Ben Bella leur jette un dernier regard. Il se rend compte que ces hommes chargés de veiller sur sa quiétude, il ne les connaît pas. Il ne les jamais vu auparavant.
Ces gardes ont été installés là sur ordre du ministère de la Défense. Quelques heures auparavant, ils avaient été discrètement affectés pour prendre le contrôle de la résidence du chef de l’Etat en remplaçant la petite garde prétorienne, chargée depuis des années, de veiller à la sécurité du Président.
C’était là le premier coup de cette partie d’échec que Boumediene préparait depuis quelques jours.
Au ministère de la Défense
Ben Bella aux arrêts, il reste à jouer la seconde partie. La plus importante : neutraliser ses alliés et convaincre les Algériens et le reste du monde du bien fondé de ce putsch.
2h30 du matin. Siège du ministère de la Défense. Réuni autour d’une poignée de fidèles, Boumediene attend ses hommes aux rapports. Le téléphone sonne. Au bout du fil, le colonel Tahar Zbiri : « Mission accomplie», dit-il.
Autour de Boumediene, on respire. Un immense soulagement se ressent parmi l’assistante. Jean Daniel, envoyé spécial du Nouvel Observateur, raconte dans son reportage (24 juin 1965) qu’à l’annonce de la nouvelle, Boumediene allume une cigarette, lui qui a cessé de fumer depuis une année.
Ben Bella interpellé, il faut procéder à d’autres arrestations. Les militaires, menus de directives fermes, entament les premières rafles. Hadj Ben Ala, ami de Ben Bella et président de l’Assemblée populaire est arrêté chez lui. Les ministres Abderahmane Cherif et le Dr Mohamed Seghir Nekkache, subissent le même sort.
Arrestations et morts
Durant toute la nuit, pas moins de 500 personnes seront interpellées. D’autres, informées à la dernière minute, tentent de se cacher ou de fuir la capitale pour échapper aux rafles des hommes de Boumediene. Au cours de la même nuit, les chars de l’armée prennent d’assaut les sièges de la radio, de la télévision et des journaux.
Aux premières lueurs du matin, tout est fini. Le coup d’Etat contre le président Ahmed Ben Bella est un succès.
Toutefois, Il faudra attendre la fin de la matinée du samedi 19 juin pour que la radio annonce la nouvelle. Contrairement à ses prévisions et à ses instructions, le coup d’Etat ne se fera pas sans effusion de sang. Pendant plusieurs semaines, des milliers d’Algériens manifestent contre le renversement du président.
Le manchot à Annaba
La police effectuera plusieurs arrestations et l’armée n’hésitera pas à tirer sur la foule dans plusieurs villes du pays. C’est le cas notamment de Annaba, dans l’Est d’Algérie, ville qui se souviendra longtemps de ce haut gradé de l’armée, manchot, devenu général à la retraite et prospère homme d’affaires, tirant sur la foule avec sa mitraillette.
Contrairement aux déclarations officielles, Ahmed Ben Bella ne sera jamais jugé ni par une cour civile ni par une juridiction militaire. Au mépris du droit, il sera maintenu en détention secrète jusqu’après la mort de Boumediene en décembre 1978.
Excepté deux ou trois de ses proches, sa femme et sa mère notamment, personne ne sera autorisé à lui rendre visite dans son « tombeau », comme l’appellera plus tard Ben Bella. Rares seront ceux qui oseront solliciter Boumediene pour obtenir des informations sur le sort du président déchu.
« Ben Bella est sous mes pieds. »
Lorsque Jean de Broglie, ministre français, demanda un jour à Boumediene des nouvelles de Ben Bella, celui-ci lui répondit d’un laconique : « Ben Bella est sous mes pieds.»
Les premières semaines qui suivront le putsch seront pénibles pour le nouveau pouvoir. En plus de l’hostilité manifeste des Algériens à voir une junte militaire diriger le pays, la communauté internationale reste sceptique. Il faudra des trésors de diplomatie pour déminer la situation et persuader les partenaires de l’Algérie de coopérer avec la nouvelle équipe dirigeante.
Abdelaziz Bouteflika reçoit les ambassadeurs accrédités à Alger pour expliquer les tenants et les aboutissants du coup d’Etat. A tous, il affirme que la politique étrangère de l’Algérie ne subira pas de modification. La conférence afro-asiatique, initialement prévue pour fin juin est annulée. De nombreux chefs d’Etat et de dirigeants africains et asiatiques se sont rétractés.
Le 5 juillet 1965, on annonce officiellement la proclamation du « Conseil de la révolution », l’instance qui assumera le pouvoir pendant des années.
19 juin fête nationale
La date du 19 juin, baptisée journée nationale du « redressement populaire », est devenue fête nationale, chômée et payée durant les règnes de Boumediene et Chadli.
Un seul président, Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, avait osé supprimer sa célébration en 1992. Son successeur Ali Kafi aura vite fait de la rétablir avant que Bouteflika ne décide de la supprimer définitivement en février 2005.
Principalement impliqué dans ce coup d’Etat, Abdelaziz Bouteflika ne s’expliquera presque jamais sur ce triste épisode de l’histoire.
Ahmed Ben Bella sera libéré en octobre 1980 par Chadli qui a succédé à Boumediene en 1979. A celui qui a contribué à le destituer, il ne tiendra pas rancune.
Mieux, il pardonnera à Bouteflika en allant lui faire l’accolade au cours d’une réception officielle organisée au Palais du Peuple en l’an 2000.
Et les deux hommes deviendront les meilleurs amis du monde.
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Parmi tous les facteurs qui ont concouru au déclenchement du coup d’Etat du 19 juin 1965, il y en a un qui fait l’unanimité : la personne de Abdelaziz Bouteflika. Le ministre des Affaires étrangères entre 1963 et 1979 aura été l’élément déterminant qui a fait précipiter les événements.
Pourtant, rien, absolument rien, ne dispose ces deux hommes, Ben Bella et Bouteflika, à devenir ennemis. Le capitaine Bouteflika n'avait-il pas rencontré, sur recommandation de Boumediene, en décembre 1961, Ahmed Ben Bella, alors détenu au Château d'Aulnoy, en région parisienne, pour lui proposer de devenir président avec le concours des militaires de l'état-major?
Bouteflika, fringuant ministre
Bouteflika ne doit-il pas carrière politique à Ben Bella ? Jeune député de Tlemcen, dans l'ouest d'Algérie, il entre dans le premier gouvernement algérien le 27 septembre 1962 comme ministre de la Jeunesse.
Cette nomination n’est pas faite pour satisfaire le colonel Boumediene qui aurait souhaité que son ami et protégé Bouteflika soit plutôt placé à la tête du ministère de la Défense.
De cela, Ben Bella n’en pas fera pas cas. Pour autant, Bouteflika, l’un des plus jeunes ministres de gouvernement, fait bonne figure. Mieux, il épatera.
Intelligent, rusé et grand charmeur, Abdelaziz Bouteflika sait épater ses amis et séduire ses adversaires. S’il ne réalise pas de miracles au sein de son département, il réussira à attirer la sympathie de tout le monde, ou presque. A plus forte raison, celle de son président.
Si bien que, moins d’une année plus tard, le 18 septembre 1963, il hérite du prestigieux portefeuille des Affaires étrangères, à la mort de Mohamed Khemisti, officiellement assassiné par un déséquilibré mental le 5 mai 1963. Thèse qui demeure jusqu’à l’heure sujette à caution.
Un remaniement qui passe mal
A la grande surprise du président Ben Bella, ce remaniement ministériel va susciter des petites tempêtes dans le microcosme politique algérien.
C'est que la désignation d’Abdelaziz Bouteflika au Affaires étrangères crée remous et contestations parmi les ministres, les députés et les proches de Ben Bella.
On s’offusque qu’un fringant jeune homme de 26 ans, dépourvu de toute expérience dans le domaine, soit désigné pour diriger la diplomatie d’un pays qui souhaite jouer un grand rôle sur la scène internationale.
Lorsqu’il apprendra la nouvelle, le président de l’Assemblée nationale, Hadj Ben Alla, manque de s'étouffer de rage. « Bouteflika n’est pas digne d’occuper une fonction aussi importante », tranche-t-il.
Kaïd Ahmed lorgne les Affaires étrangères
Un avis partagé par d’autres personnalités. Kaïd Ahmed, par exemple, premier responsable de la commission des affaires étrangères de l’assemblée. Lui estime que le poste lui revient de droit. Alors, il prendra les devants pour tenter de court-circuiter la décision de la présidence.
Avant même que le changement ministériel ne soit opéré, Kaïd Ahmed s’installe dans les locaux du ministère des Affaires étrangères tant considère-t-il être dans son bon droit.
Il s’y voit tellement que, dit-on, il dicte ses ordres aux différents responsables de ce département. Mais Kaïd Ahmed finira par se rendre à l’évidence. Le président ne reviendra pas sur sa décision : Bouteflika sera bel et bien le ministre des Affaires étrangères.
Dépité, Kaïd Ahmed quittera les locaux pour diriger le ministère du Tourisme.
« Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
Kaïd Ahmed et Hadj Ben Alla ne seront pas les seuls à contester la nomination de Bouteflika. D’autres ténors de la politique, notamment Mhamed Yazid, ministre de l’Information dans le gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) et Saad Dahleb, chargé du département des affaires étrangères dans le même exécutif, ne manquent pas de ricaner.
Comment Ben Bella réagit-il devant tant de désapprobation? Il restera impassible.
A ceux qui lui reprochent la confiance placée en la personne de Abdelaziz Bouteflika, il répond avec une grande assurance : « Vous verrez dans six mois, il sera meilleur que Saad Dahleb. »
« Le patron nous fait honte »
Les diplomates qui ont fait leurs preuves durant la guerre de libération pensent le contraire. Quelques semaines après les prises de fonctions de Bouteflika, raconte l'hebdomadaire Jeune Afrique dans sa livraison du 18 juillet 1967, ils ne se gênent pas pour lancer des remarques perfides en direction du nouveau ministre. « Le patron nous fait honte », persiflent-ils.
Le président devra très vite déchanter devant ce chef de la diplomatie qu’il a tenu à imposer à ses pairs, au risque de subir leurs courroux. Parce qu’au fil des mois, Bouteflika s’émancipe de la tutelle de Ben Bella A tel point qu’il devient gênant, voire indésirable. Désormais, Ben Bella ne veut plus de lui dans le staff gouvernemental.
Objectif : Contraindre Bouteflika à la démission
Ahmed Ben Bella est de plus en plus obsédé par une seule idée : obtenir le départ de Bouteflika. Les relations entre les deux hommes se détériorent de jour en jour.
Le président n’hésite pas à critiquer ouvertement son chef de la diplomatie. Devant des personnalités étrangères, il déclare que « Bouteflika n’en fait qu’à sa tête. Alors que moi, pour voir un ambassadeur, je dois passer par lui.»
On raconte volontiers que Bouteflika consulte rarement le chef de l’Etat. Il lui arrive même de réunir les ambassadeurs algériens sans l’informer. Une attitude insupportable pour Ben Bella qui aspire de plus en plus à contrôler les différents centres du pouvoir.
A son tour, Ahmed Ben Bella n’est pas avare en piques et remontrances à son égard. A l’occasion, il lance des flèches assassines à l’endroit de Bouteflika.
Exemple cet cet incident diplomatique survenu lors du voyage à Moscou en mai 1964. A l’issue de longs entretiens entre Russes et Algériens, Bouteflika et Boris Ponomarev, ministre chargé des relations avec les partis étrangers, sont appelés à rédiger le communiqué final sanctionnant les discussions.
Kroutchev réveille Ben Bella à 2 heures du matin
Les deux ministres ergotent pendant des heures. Bouteflika pinaille, chipote et se montre inflexible sur les termes du document. La séance de travail s’éternise jusqu’à deux heures du matin. Et le communiqué ne tombe pas.
Excédé, le diplomate russe informe son président, Nikita Kroutchev, lequel piquant une grosse colère après une de ses monumentales beuveries à la vodka, réveille Ben Bella pour l’informer de cet incident.
Que fait Ben Bella?
Le président algérien se fait un malin plaisir de sermonner Bouteflika en lui ordonnant de se calmer. Cet incident ne manquera pas de nourrir davantage l’animosité qui lie désormais les deux hommes.
Si les antagonismes pouvaient se limiter à ces états d’âmes et à ces sautes d’humeur…
Les points de divergences entre les deux hommes tournent essentiellement autour de la politique extérieure du pays. Bouteflika, tout comme son ami Boumediene, voit d’un mauvais œil l’influence de plus en plus grandissante qu’exercent certains hommes politiques égyptiens sur Ben Bella. Une influence qui date.
Ben Bella sous la coupe des Egyptiens
Bien avant l’indépendance, Gamal Abdelnasser, le raïs égyptien, avait réussi à mettre Ben Bella sous sa coupe. Et le voyage de Nasser à Alger, où il fut accueilli triomphalement, en mai 1963, scellera définitivement cette emprise. Cette visite, la première et la dernière de Nasser, débouchera sur de lourdes conséquences pour l’avenir de la jeune Algérie.
Des milliers de coopérants égyptiens y débarquent pour travailler comme techniciens et comme enseignants. Les deux présidents conviennent également d’une étroite collaboration dans le domaine militaire. L’amiral égyptien Eiret Soleiman est officiellement chargé d’organiser la marine algérienne ainsi que la garde personnelle de Ben Bella.
Fethi Dib, l'homme de Nasser à Alger
Fethi Dib, patron des services spéciaux, homme de main de Nasser, fera lui la pluie et le beau temps à Alger. Les services de renseignements égyptiens exercent un tel ascendant sur les Algériens que lors de la guerre qui oppose l’Algérie au Maroc en 1963, les Marocains réussissent à capturer des officiers supérieurs égyptiens, enrôlés dans les rangs de l’armée algérienne.
Du reste, le Dr Mohamed Seghir Nekkache, ministre de la Santé, ami intime de Ben Bella, est communément considéré à Alger comme « l’homme des Egyptiens ». L’ambassadeur d’Egypte à Alger, Ali Kachaba? Il est soupçonné de faire de la diplomatie parallèle au profit du Caire.
Une telle mainmise des Egyptiens sur Ben Bella fait grincer des dents au sein des instances dirigeantes.
Hassan II raconte
Dans son ouvrage « Hassan II, la mémoire d’un Roi » (Edition Plon, 1993), l'écrivain et journaliste français Eric Laurent raconte cette anecdote édifiante sur la méfiance entretenue entre Ben Bella et Boumediene.
Nous sommes début 1965, le sommet de la ligue arabe se tient au Caire. Nasser tente de réconcilier Algériens et Marocains, voisins devenus ennemis. Le conclave auquel prendront part Hassan II, Nasser et Anouar Sadate, se déroulera dans la suite du président algérien à l’hôtel Hilton.
Ben Bella arrive à la rencontre, suivi de prés par Houari Boumediene, son ministre de la Défense. Au moment de franchir la porte, Ben Bella se retourne vers Boumediene pour lui signifier d’un ton sec : « Toi tu n’entres pas. C’est mon appartement. »
Le roi du Maroc qui raconte l’épisode à Eric Laurent dira : « Nasser hoche la tête d’un mouvement approbateur, l’air de dire : 'Oui, il n’a rien à faire ici.'» « Je crois, poursuit Hassan II, que ce jour-là, le sort de Ben Bella a été scellé. En entendant ces mots, Boumediene a terriblement pâli et j’ai compris qu’il n’oublierait jamais cette humiliation. »
Nasser : Boumediene n'a rien à faire ici
Si cette anecdote est sans doute très révélatrice des dégâts qu’à fait subir Nasser à l’Algérie, par l’entremise de Ben Bella, elle n'est pas moins révélatrice des relations conflictuelles et tendues entre Boumediene et Ben Bella.
Ce dernier n’a jamais réellement fait confiance à son ministre de la Défense. C’est comme si les deux hommes s’épient, se surveillent, chacun attendant le bon moment pour se débarrasser de l’autre.
En témoigne encore cette scène d’une prophétie inouïe, survenue une année plutôt, en avril 1963.
« Comment vont les intrigues ? »
Le président algérien reçoit alors Lotfi El Khouli, envoyé spécial du prestigieux journal égyptien El Ahram. Ahmed Ben Bella présente au journaliste Houari Boumediene en ces termes : « Voici l’homme qui prépare des complots contre moi », déclare Ben Bella avant de se retourner vers son ministre de la Défense pour l’apostropher : « Comment vont les intrigues ? », l'interroge-t-il.
Imperturbable, Boumediene répond à son président avec un flegme et un calme extraordinaires : « Très bien, merci. »
Il était donc écrit que le destin qui lie les deux personnages finisse d’une façon tragique ? Mais entre Boumediene et Ben Bella, Bouteflika fera office de mèche. Il sera ce « catalyseur » du coup d’Etat ainsi que l’écrit Hervé Bourges dans son livre « L’Algérie à l’épreuve du Pouvoir », sorti en 1967.
Mai 1965. Ahmed Ben Bella est plus que jamais décidé à s’accaparer tous les pouvoirs. Dans cette conquête du pouvoir absolu, il réussira deux coups en éliminant deux adversaires de taille. Il contraint à la démission Ahmed Medeghri et Kaïd Ahmed, successivement, ministre de l’Intérieur, et du Tourisme. Le premier est un ami intime de Boumediene, un fidèle dans sa clique constituée notamment de Bouteflika et de Belkacem. Certes Boumediene sent le danger se rapprocher, mais il laisse faire Ben Bella. Il donne du champ au président et compte ses erreurs en attendant de lui donner le coup de grâce.
Ce coup de grâce, c’est Ben Bella qui le lui offrira sur un plateau d’argent. Dans le courant de ce mois de mai, le président convoque Abdelaziz Bouteflika à la villa Joly (siège du Bureau politique FLN et résidence de Ben Bella).
Passé les salutations d’usage, Ben Bella se fait menaçant. Il attaque Bouteflika de front : « Cette situation ne peut plus durer, lui dit-il. Je crois que dans l’intérêt du pays, de nos rapports personnels et l’avenir de la nation, tu ferais bien de démissionner. Dans tous les cas, je te demande de réfléchir à tout cela. Mais je te demande de ne consulter personne au sujet de cette conversation. »
L’entretien entre le président et son ministre ne débouche sur aucun compromis. Ben Bella n’exige pas une démission dans l’immédiat et Bouteflika demande un temps de réflexion.
Bouteflika chez Cherif Belkacem
Lorsqu’il quitte la Villa Joly, Bouteflika se rend chez son ami Cherif Belkacem.
Ce dernier raconte à l’auteur de ces lignes la scène. Bouteflika entre dans le bureau, le visage pâle, les traits tirés. Il lui annonce la nouvelle : le président a exigé son départ. Belkacem veut davantage de détails. « Qu’est ce qu’il t’a dit exactement ? », demande-t-il. Son départ, rien que cela, répond Bouteflika.
Les deux ministres conversent jusqu’à une heure tardive de la nuit. Avant de se quitter, Cherif Belkacem se veut rassurant : « Rentre chez toi et reste tranquille », ordonne-t-il à Bouteflika.
Boumediene écourte sa visite au Caire
Au même moment, Houari Boumediene est au Caire où il doit participer à la réunion des chefs de gouvernement arabes. Bouteflika et Cherif Belkacem arrivent à entrer en contact avec lui pour l’informer de la nouvelle.
Boumediene est contrarié. Très. Pour autant, il demande à ses deux amis de ne rien tenter. Ne rien faire et attendre son retour. « Ne faites rien. Restez tranquilles. J’arrive », dit-il.
Aussitôt dit au téléphone, presque aussitôt fait. Boumediene décide d’écourter d’une journée son séjour dans la capitale égyptienne. Il y a urgence ailleurs que de rester au Caire.
Dès son arrivée à Alger, il se réunit avec ses proches collaborateurs et ses fidèles amis. Puisque Ben Bella veut les évincer l’un après l’autre du pouvoir, il faudra donc se résoudre à l’évincer. Le chasser avant qu’il ne réussisse à les chasser tous. Selon le témoignage de Cherif Belkacem (entretien avec l’auteur en novembre 2002), le coup d’Etat contre Ahmed Ben Bella s’est réellement décidé au retour de Boumediene du Caire.
Ben Bella ne se doute de rien
Durant les deux premières semaines de ce mois de juin 1965, le complot prend forme. Par petites touches. Jour et nuit, Boumediene et ses caporaux discutent, dissertent, palabrent, jaugent les pour et les contre. Ils planifient des stratégies, se consultent et consultent. Le tout dans la plus grande discrétion.
Ahmed Ben Bella se doute-t-il de quelque chose ?
Des rumeurs, des bruits de bottes lui parviennent aux oreilles, mais il botte en touche. Mohamed Labjaoui raconte dans son livre (Vérités sur la révolution algérienne, Gallimard, 1970) que la veille du départ de Ben Bella à Oran, un ami du président informe celui-ci de l’imminence d’un putsch contre lui.
« Prend tes devants »
« Prend tes devants. Boumediene et sa clique ont compris qu’ils sont éliminés de l’armée. Ils sont décidés à agir », affirme le mystérieux ami. Ben Bella dégage la recommandation d’une talonnade. Personne n’oserait le toucher. Qui oserait ? Ben Bella éconduit son ami en ces termes : « Ce ne sont pas des marionnettes comme ça qui sont capables de faire un coup d’Etat. »
Ahmed Ben Bella aurait dû écouter ce confident et ceux qui le préviennent du danger. Car le ministre de la Défense réussira à rallier les principaux commandants des régions militaires. Fidèles à l’état-major de l’armée, ces colonels acceptent de marcher dans le coup.
Plusieurs ministres du gouvernement le sont aussi. Une question, la plus importante, demeure tout de même : quand et comment procéder au coup d’Etat contre Ahmed Ben Bella ?
Le putsch se prépare
Lors de ces nombreuses réunions et conclaves secrets servant à préparer la destitution, Bouteflika soulève une problématique. L’Algérie s’apprête à accueillir fin juin, la grande réunion afro-asiatique.
Si elle se tenait avec Ben Bella comme président, il deviendrait extrêmement périlleux de tenter un coup de force contre un chef d’Etat auréolé d’une nouvelle et grande légitimité.
Du coup, les putschistes auraient toutes les peines du monde à rallier l’opinion internationale à leur faveur, quelques que soient leurs arguments.
Si Ben Bella venait à être destitué avec la tenue de cette conférence, le putsch porterait un coup fatal à l’image de l’Algérie et surtout à ses auteurs, qui en seraient inévitablement éclaboussés.
Qui prendrait le risque de reconnaître un gouvernement qui déposerait son président à la veille d’une grande réunion internationale ?
Comment faire alors ? Les palabres durent des heures, des jours.
Renverser Ben Bella avant la conférence afro-asiatique
Bouteflika parvient à faire admettre à ses interlocuteurs la nécessité de privilégier la première option : renverser Ben Bella avant la conférence. A charge pour lui et les autres de convaincre les ambassadeurs accrédités à Alger ainsi que les grands de ce monde du bien-fondé du putsch. Reste alors à déterminer le lieu et la date.
Une personne suggère la date du vendredi 18 juin à Oran. Pourquoi ? Ben Bella s’y rendra pour assister au match qui opposera l’équipe algérienne de football à celle du Brésil, le Brésil du grand Pelé. « On pourra l’arrêter à la fin du match, au sortir du stade », propose cette personne.
Encore une fois, Bouteflika dont on ne louera jamais assez le sens du complot intervient pour prévenir du danger d’une telle option. Il fait remarquer à Boumediene et à ses amis de conjurations que non seulement une telle opération comporterait de grands dangers sur la sécurité des biens et des personnes présentes, mais elle serait assimilée par l’opinion algérienne et internationale à un rapt.
Enlever le président avant la match Algérie- Brésil
Enlever et destituer Ben Bella à la fin d’un match contre le Brésil, quelle idée ! Ce serait d’une telle catastrophe pour les conjurés…
Tous les efforts que pourraient entreprendre par la suite les nouveaux dirigeants pour obtenir le soutien des Algériens et des étrangers seraient vains. Les comploteurs se rangent alors derrière l’idée de Bouteflika. Ahmed Ben Bella ne sera pas kidnappé lors du match Algérie- Brésil.
Le putsch interviendra plus tard. Il faut laisser le président savourer ce dernier plaisir d’homme libre. Ne rien faire qui puisse éveiller ses soupçons.
Vendredi 18 juin. La journée s’annonce radieuse pour le président. La veille, il effectuait une tournée triomphale dans l’Ouest du pays, sa région natale. Partout, les gens l’ont acclamé avec chants et youyous, au grand bonheur de cet homme qui adore particulièrement ses bains de foules. Grisant.
Ben Bella affectionne ces moments de liesse populaires qui lui font croire qu’il reste un président incontournable, invincible, investi d’une mission presque messianique. Ahmed Ben Bella, président bien aimé…
Les grands projets de Ben Bella
Dans l’avion présidentiel, il ne cache pas son enthousiasme devant l’envoyé spécial de l’hebdomadaire Jeune Afrique. Ahmed Ben Bella déborde d’énergie, d’optimisme. Il a des grands projets pour l’Algérie. De plus, le pays s’apprête à accueillir les chefs d’Etats de l’Afrique et de l’Asie pour la grande conférence « afro-asiatique ». Un événement qui ferait de lui la grande star qui rayonnerait sur l’Afrique, sur l’Asie. Dans le monde.
De quoi donner des ailes à Ben Bella. « Je vais libérer 700 prisonniers politiques et après la conférence afro-asiatique, un peu plus tard, je libérerai Ait Ahmed », dit-il au journaliste de Jeune Afrique.
Hocine Ait Ahmed, le chef du FFS (Front des forces socialistes).
Héros de la révolution, ex-compagnon dans l’organisation spéciale (OS), détenu au château d’Aulnoy, en France, avec Ben Bella, Boudiaf, Khider, Lacheraf, Hocine Ait Ahmed est ce chef kabyle qui a lancé en 1963 une insurrection armée en Kabylie pour s’opposer à la dictature du parti unique imposée par le président Ben Bella.
Libérer Hocine Ait Ahmed
Une guerre civile qui a fait des centaines de morts. Ce conflit fratricide, dont il est le principal responsable, Ben Bella veut maintenant y mettre fin en signant un armistice avec le chef des rebelles kabyles, arrêté en octobre 1964, puis condamné à mort pour sédition.
Libérer Ait Ahmed après l’avoir combattu, emprisonné et condamné, Ben Bella est persuadé que cette décision n’aura pas l’aval des militaires.
Il fait part de son inquiétude au journaliste de Jeune Afrique: « Au bureau politique, sur ce point, ils sont tous contre moi, dit-il. Mais je tiendrai bon. L’Algérie a assez souffert. Il a y eu assez de sang. La répression est toujours un engrenage difficile à stopper. Maintenant, nous devons tous travailler, tous ensemble…Je crois que c’est une position juste, mais si mes frères du Bureau politique ne sont pas d’accord sur ce point, je suis prêt à me retirer et redevenir un militant de base…»
Ahmed Ben Bella se refuse-t-il à engager un bras de fer avec ses détracteurs ? Est-il prêt à quitter son poste et laisser le pouvoir entre leurs mains ? C’est sans compter sur la détermination de ce président arrivé au pouvoir trois années plus tôt sur les chars de l’armée des frontières.
Il s’y accrochera, comme il s'y est accroché pendant ces trois pénibles années qui ont suivi l’indépendance de juillet 1962.
Et ses ennemis connaissent trop bien l’obsession de Ben Bella pour le fauteuil pour le laisser agir à sa guise. Ils le connaissent bien, trop bien, pour lui avoir ouvert avec les baïonnettes, aux prix de milliers de morts, les portes du Palais présidentiel.
Ben Bella à Oran pour voir Pelé
Une terrible partie de poker menteur va donc se jouer entre lui et ses opposants. Curieusement, les principaux ennemis de Ben Bella ne font pas partie de ce voyage qu’il effectue dans les régions de l’Ouest. Le ministre de la Défense Houari Boumediene, le chef de la diplomatie Abdelaziz Bouteflika et Chérif Belkacem restent à Alger. Eux préparent la grande conjuration.
Jeudi 17 juin est un grand jour pour le pays. Dans le stade d’Oran, devant 60 000 spectateurs, l’équipe algérienne de football rencontre la mythique sélection du Brésil. Pelé, le roi, sera sur le terrain.
Pour rien au monde, Ahmed Ben Bella, amateur de foot et ancien joueur de l’Olympique de Marseille, ne saurait rater un tel match. Il en parle avec excitation depuis des jours.
Le président est dans les tribunes. Il exulte. Malgré la défaite - le Brésil bat l’Algérie par trois bus à deux-, il quitte le stade ravi comme un enfant. Le lendemain, vendredi 18 juin, il est de retour à Alger.
Dans l'avion, il parle de sa mère
Dans l’avion qui le ramène vers la capitale, il s’épanche volontiers. Ben Bella évoque son passé de militant du FLN et s’autorise à des confessions intimes. Il parle de sa mère, une vieille femme qu’il vénère. « Ma mère est une femme formidable, dit-il au reporter de Jeune Afrique qui l’accompagne. Très courageuse. Je lui ai causé beaucoup de soucis et je lui en causerai encore. Mais, elle est très forte. Seulement nos rapports sont très discrets. Il y a entre nous une sorte de grande pudeur. C’est une femme très bien…»
Propos prémonitoires ?
Lorsque le président fend l’armure devant le journaliste, il est loin de se douter qu’il ne reverra pas sa mère pendant de très longues années. De longues années qu’il passera en détention dans un lieu secret.
Un dernier thé au Palais du Peuple
Vendredi 18 juin. Arrivé à Alger, le président est attendu par un comité d’accueil formé de ministres et de hauts gradés de l’armée. Une réception est prévue au Palais du Peuple. Décontracté, souriant, Ben Bella reçoit les hommages du gouvernement autour d’un thé.
Parmi l’assistance, on remarquera la présence de Abdelaziz Bouteflika. Lui est là pour marquer le coup, pour faire semblant. Sauver les apparences. Et pour cause, lui et une poignée d’autres hommes savent que la comédie prendra fin dans quelques heures. Bouteflika sait que Ben Bella profite de ses ultimes instants de président de la république algérienne.
Au moment où Abdelaziz Bouteflika serre la main d’Ahmed Ben Bella en cet après-midi du 18 juin 1965, il sait pertinemment que le sort de ce dernier est définitivement scellé Le compte à rebours peut commencer.
La dernière poignée de main de Bouteflika
Etrange spectacle que de voir Bouteflika dans ce Palais du Peuple saluant Ahmed Ben Bella alors qu’il sait qu’il vit ses derniers instants d’homme libre, de président.
La réception terminée, le président regagne la villa Joly, sa résidence, où il doit recevoir des journalistes de l’hebdomadaire français Paris-Match venus effecteur un reportage.
Il se prête au jeu des questions -réponses. Les discussions durent presque trois heures. Le photographe du journal désire prendre des photos de Ben Bella. Celui-ci accepte volontiers tant et si bien qu’il proposera aux journalistes de le suivre au Club des Pins, une station balnéaire sur le littoral ouest d’Alger, qui doit accueillir dans quelques jours les hôtes de l’Algérie pour la conférence afro-asiatique.
Les dernières photos de Ben Bella dans Paris Match
Ben Bella tient tant à la réussite ce grand rendez-vous qui verra la présence à Alger, la capitale de la jeune Algérie indépendante, de leaders du tiers-monde, comme Nasser et Nehru, qu’il supervise lui même les travaux de réalisation de l’enceinte.
Sur les balcons de l’immense building encore en chantier, il prend la pose, sans savoir que ces photos seront les derniers témoignages de lui comme de président de la République.
20 heures à Alger. Les membres de la compagnie nationale de sécurité (CNS), postés autour de la résidence du président, attendent la relève habituelle. Chaque jour, à cette heure précise, une nouvelle garde vient prendre le témoin. Mais ce soir, ce sont d’autres hommes qui auront à veiller sur cette luxueuse demeure et sur la sécurité de son illustre occupant.
Changement de garde à la Villa Joly
Des soldats de l’armée, revêtus en uniformes de CNS, se positionnent autour des lieux. Ben Bella ne prendra pas garde à ce discret changement au moment de recevoir des invités jusqu’à tard dans la nuit. Car même le soir, le chef de l’Etat continue à travailler.
Dernière entrevue avec Boumediene
Et ce vendredi soir, il compte s’entretenir avec son ministre de la Défense, Houari Boumediene, pour lui faire part de ses nouvelles décisions. Samedi 19 juin, il réunira le bureau politique du FLN pour donner de nouvelles orientations.
Il est 21 heures. Ben Bella reçoit Boumediene. Depuis quelques semaines, les rapports entre les deux hommes se sont nettement détériorés. La discussion dure une heure.
En voici la teneur de cet ultime briefing, telle que rapportée par le journaliste de Paris-Match, Robert Barrat, dans le numéro 846 du magazine daté du 26 juin 1965.
Le président n’est pas content du travail de ses ministres. Il en veut particulièrement à Abdelaziz Bouteflika, ce ministre qui ose lui tenir tête depuis quelques mois.
« Je vais remanier l’équipe ministérielle, explique-t-il à son interlocuteur. Bouteflika est décidément trop jeune pour être un bon ministre des Affaires étrangères, Boumaza (Bachir Boumaza, ministre du Travail et des Affaires sociales, NDLR) ne fait rien de bon. J’ai l’intention de confier quelques portefeuilles à des techniciens et d’élargir le cabinet. Le moment est venu de réconcilier les Algériens. »
Boumediene pèse ses mots
Le ministre de la Défense encaisse le coup et tente de réagir. Calmement. Comme à son habitude, Boumediene n’est pas homme à s’emporter. Il pèse ses mots. « C’est là une décision importante que tu ne peux prendre qu’après décision du bureau politique », lui fait-il remarquer.
Son président a la parade toute trouvée. « C’est bien ce que je compte faire. Le bureau se réunira demain matin à 9 heures », répond Ben Bella. La discussion s’achève sur ces entre-faits.
Houari Boumediene regagne son bureau au ministère de la Défense, à quelques encablures de la Villa Joly.
Pas de modification du plan
Le plan de Boumediene, préparé depuis quelques jours, ne subira aucune modification. Encore moins maintenant que Ben Bella lui a fait part de son intention de remanier l’exécutif. Son entrevue avec le président, la toute dernière entre les deux hommes, le renforcera dans sa conviction. Ben Bella, pense-t-il, est obtus. Il n’en fait qu’à sa tête.
Il sera destitué dans les heures à venir. Le temps est donc venu de mettre les dernières retouches au complot.
Dans son bureau au ministère de la Défense, Boumediene s’entretient avec ses collaborateurs. Autour de lui, Abdelaziz Bouteflika, Chérif Belkacem, et Ahmed Medeghri, ministre de l’Intérieur, destitué de son poste par Ben Bella quelques semaines auparavant.
La réunion des conjurés
Sont présents également, cinq hauts gradés de l’armée. Des fidèles parmi les fidèles de Boumediene. L’heure est grave. Boumediene donne ses dernières instructions. Tout doit se dérouler sans effusion de sang. Pas une seule balle ne doit être tirée, prévient-il. Le putsch doit durer moins de deux heures, insiste-t-il auprès de ses hommes.
Boumediene est un homme qui tient parole. Deux ans plus tôt, il avait prédit son coup contre Ben Bella, avec une science presque exacte. « Nous le soutiendrons tant qu’il sera utile à l’Algérie. Le jour où il cessera de rendre service, il ne nous faudra pas plus de deux heures pour le renverser », avait-il déclaré à ses proches.
Deux heures, pas plus. C’est le temps que doit prendre l’opération de renversement d’Ahmed Ben Bella en cette folle nuit du 18 au 19 juin 1965.
Minuit, des blindés à Alger
Minuit. Des blindés de l’armée se positionnent sur les axes centraux de la capitale. Les Algérois n’y prêtent guère attention. Non seulement la population est habituée depuis des années à des scènes de guerre, mais un hasard de l’histoire leur fera croire à un spectacle de cinéma.
En effet, depuis quelques jours, on tourne à Alger un film sur de guerre, réalisé par le cinéaste italien Gillo Pontecorvo, La Bataille d’Alger.
2h10 du matin. A l’intérieur de la Villa Joly, Ben Bella dort depuis moins de deux heures. La journée a été si harassante qu’il n’entend pas les bruits de l’extérieur. Sa gouvernante est réveillée par le vacarme. On frappe à la porte. Ben Bella émerge de son sommeil, va ouvrir.
Devant la porte se tiennent trois hommes. Tendu, les mains légèrement tremblantes, le colonel Tahar Zbiri, chef de l’état-major de l’armée, se met en face de son président.
Derrière lui, le commandant Draia, directeur des forces de sécurité et Said Abid, chef de la région militaire d’Alger-centre.
C’est Zbiri qui est officiellement chargé d’exécuter l’ordre que venait de lui donner quelques minutes plutôt, son ministre de la Défense, Houari Boumediene : mettre le président de la république aux arrêts. « Au nom du Conseil de la Révolution, j’ai l’ordre de vous arrêter sous l’inculpation de haute trahison », clame-t-il d’un ton solennel face à un Ben Bella incrédule.
Ben Bella tente de résister
Debout, en pyjama, il n’a pas eu le temps de s’habiller, le président croit d’abord à une plaisanterie de mauvais goût. Mais il déchante vite. Ces trois visiteurs ne sont pas là pour lui organiser une farce. Passé les premiers moments de stupeur, le président tente de faire face au groupe d’officiers félons.
D’un air martial, il menace. « L’acte dont vous portez aujourd’hui la grave responsabilité, vous aurez un jour à en répondre devant l’histoire et le peuple algérien », tonne-t-il. En vain.
Les trois hommes restent de marbre. Zbiri, dans un geste d’énervement, lâche une phrase qui restera célèbre : « Khlass Ya Hmmimed (c’est fini Hmmimed, diminutif rabaissant de Ben Bella) ».
Résigné, Ben Bella lâche un juron : « Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) », avant de demander à ses ravisseurs de lui laisser du temps pour se rhabiller.
« Inaadine Echitane ! (Que la diable soit maudit !) »
Encadré par les trois officiers, le président monte dans une voiture noire qui l’amène vers une destination inconnue.
Autour de sa villa, une dizaine d’hommes en uniforme, armés jusqu’aux dents, assurent la sécurité des lieux. Avant de disparaître, Ben Bella leur jette un dernier regard. Il se rend compte que ces hommes chargés de veiller sur sa quiétude, il ne les connaît pas. Il ne les jamais vu auparavant.
Ces gardes ont été installés là sur ordre du ministère de la Défense. Quelques heures auparavant, ils avaient été discrètement affectés pour prendre le contrôle de la résidence du chef de l’Etat en remplaçant la petite garde prétorienne, chargée depuis des années, de veiller à la sécurité du Président.
C’était là le premier coup de cette partie d’échec que Boumediene préparait depuis quelques jours.
Au ministère de la Défense
Ben Bella aux arrêts, il reste à jouer la seconde partie. La plus importante : neutraliser ses alliés et convaincre les Algériens et le reste du monde du bien fondé de ce putsch.
2h30 du matin. Siège du ministère de la Défense. Réuni autour d’une poignée de fidèles, Boumediene attend ses hommes aux rapports. Le téléphone sonne. Au bout du fil, le colonel Tahar Zbiri : « Mission accomplie», dit-il.
Autour de Boumediene, on respire. Un immense soulagement se ressent parmi l’assistante. Jean Daniel, envoyé spécial du Nouvel Observateur, raconte dans son reportage (24 juin 1965) qu’à l’annonce de la nouvelle, Boumediene allume une cigarette, lui qui a cessé de fumer depuis une année.
Ben Bella interpellé, il faut procéder à d’autres arrestations. Les militaires, menus de directives fermes, entament les premières rafles. Hadj Ben Ala, ami de Ben Bella et président de l’Assemblée populaire est arrêté chez lui. Les ministres Abderahmane Cherif et le Dr Mohamed Seghir Nekkache, subissent le même sort.
Arrestations et morts
Durant toute la nuit, pas moins de 500 personnes seront interpellées. D’autres, informées à la dernière minute, tentent de se cacher ou de fuir la capitale pour échapper aux rafles des hommes de Boumediene. Au cours de la même nuit, les chars de l’armée prennent d’assaut les sièges de la radio, de la télévision et des journaux.
Aux premières lueurs du matin, tout est fini. Le coup d’Etat contre le président Ahmed Ben Bella est un succès.
Toutefois, Il faudra attendre la fin de la matinée du samedi 19 juin pour que la radio annonce la nouvelle. Contrairement à ses prévisions et à ses instructions, le coup d’Etat ne se fera pas sans effusion de sang. Pendant plusieurs semaines, des milliers d’Algériens manifestent contre le renversement du président.
Le manchot à Annaba
La police effectuera plusieurs arrestations et l’armée n’hésitera pas à tirer sur la foule dans plusieurs villes du pays. C’est le cas notamment de Annaba, dans l’Est d’Algérie, ville qui se souviendra longtemps de ce haut gradé de l’armée, manchot, devenu général à la retraite et prospère homme d’affaires, tirant sur la foule avec sa mitraillette.
Contrairement aux déclarations officielles, Ahmed Ben Bella ne sera jamais jugé ni par une cour civile ni par une juridiction militaire. Au mépris du droit, il sera maintenu en détention secrète jusqu’après la mort de Boumediene en décembre 1978.
Excepté deux ou trois de ses proches, sa femme et sa mère notamment, personne ne sera autorisé à lui rendre visite dans son « tombeau », comme l’appellera plus tard Ben Bella. Rares seront ceux qui oseront solliciter Boumediene pour obtenir des informations sur le sort du président déchu.
« Ben Bella est sous mes pieds. »
Lorsque Jean de Broglie, ministre français, demanda un jour à Boumediene des nouvelles de Ben Bella, celui-ci lui répondit d’un laconique : « Ben Bella est sous mes pieds.»
Les premières semaines qui suivront le putsch seront pénibles pour le nouveau pouvoir. En plus de l’hostilité manifeste des Algériens à voir une junte militaire diriger le pays, la communauté internationale reste sceptique. Il faudra des trésors de diplomatie pour déminer la situation et persuader les partenaires de l’Algérie de coopérer avec la nouvelle équipe dirigeante.
Abdelaziz Bouteflika reçoit les ambassadeurs accrédités à Alger pour expliquer les tenants et les aboutissants du coup d’Etat. A tous, il affirme que la politique étrangère de l’Algérie ne subira pas de modification. La conférence afro-asiatique, initialement prévue pour fin juin est annulée. De nombreux chefs d’Etat et de dirigeants africains et asiatiques se sont rétractés.
Le 5 juillet 1965, on annonce officiellement la proclamation du « Conseil de la révolution », l’instance qui assumera le pouvoir pendant des années.
19 juin fête nationale
La date du 19 juin, baptisée journée nationale du « redressement populaire », est devenue fête nationale, chômée et payée durant les règnes de Boumediene et Chadli.
Un seul président, Mohamed Boudiaf, assassiné le 29 juin 1992, avait osé supprimer sa célébration en 1992. Son successeur Ali Kafi aura vite fait de la rétablir avant que Bouteflika ne décide de la supprimer définitivement en février 2005.
Principalement impliqué dans ce coup d’Etat, Abdelaziz Bouteflika ne s’expliquera presque jamais sur ce triste épisode de l’histoire.
Ahmed Ben Bella sera libéré en octobre 1980 par Chadli qui a succédé à Boumediene en 1979. A celui qui a contribué à le destituer, il ne tiendra pas rancune.
Mieux, il pardonnera à Bouteflika en allant lui faire l’accolade au cours d’une réception officielle organisée au Palais du Peuple en l’an 2000.
Et les deux hommes deviendront les meilleurs amis du monde.
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