Vous avez été nommé la fin septembre dernier comme représentant du Royaume‑Uni pour le Sahel. Quelle est votre analyse de la situation dans la région ?
J'ai été nommé en septembre, et un de mes premiers engagements était la réunion de l'Union Africaine à Bamako en Octobre, où j'ai rencontré des représentants de plusieurs pays de la région pour discuter de leurs points de vue et les problèmes auxquels ils sont confrontés. J'ai aussi eu récemment le plaisir de rencontrer le ministre algérien des Affaires étrangères à Londres, où nous avons discuté, entre autres, de la situation du Sahel. Il était clair lors de ces réunions que les pays de la région, en particulier l'Algérie, ont des préoccupations légitimes de sécurité, et ont une grande expertise. Je suis conscient du fait que l'Algérie a réussi son combat contre le terrorisme au cours des dernières décennies. Nous devrions tous écouter attentivement leurs conseils.
La région est confrontée à une multitude de problèmes sérieux - la menace d'un refuge pour les terroristes dans le nord du Mali est très préoccupante et l'absence de toute forme d'autorité de la part de l`état s'est traduite par l'insécurité pour la population locale et l'instabilité pour la région. Cette crise risque d`affecter toute la région et elle est une menace pour la paix et la sécurité, comme a été désignée par La résolution 2071 du Conseil de Sécurité de l`ONU.
Cette menace a été aggravée par le coup d'Etat au Mali en mars dernier, la nécessité désormais est d'assurer des institutions stables et finalement des élections. C`est l`objectif du gouvernement malien de l'unité nationale, et nous espérons voir des progrès solides bientôt.
Un troisième problème est la situation humanitaire générale au Mali et dans la région, qui a été affectée par la sécheresse et la pauvreté. Cela aggrave aussi la menace immédiate des terroristes dans le nord du Mali.
Selon vous, combien y a-t-il de terroristes au Mali ?
Il est très difficile pour nous de donner des chiffres sur le nombre de terroristes, étant donné que nous n'avons pas de présence sur le terrain dans le nord du Mali. Nous nous tournons vers le Mali et les pays de la région pour nous fournir des analyses effectuées par leurs experts, dont la plupart ont indiqué la présence de centaines de combattants d'AQMI ou du MUJAO. Mais il est difficile pour quiconque d'en être précis.
Quelle est votre évaluation sur leur force de frappe ? Sont‑ils vraiment lourdement armés comme beaucoup de spécialistes l'ont affirmé ?
Encore une fois, il est difficile de donner un inventaire détaillé, mais il est clair qu'ils sont lourdement armés et ont une grande puissance de frappe. Les dégâts qu'ils ont déjà causés dans le nord du Mali, que ce soit les attaques ou la prise de contrôle des grandes villes, ainsi que les incursions qu'ils ont faites dans d'autres pays tels que l'Algérie, ont affirmés cela. Nous évaluons que les groupes terroristes actifs dans le nord du Mali ont une capacité considérable, y compris dans la construction de véhicules piégés transportant des engins explosifs improvisés. AQMI et le MUJAO ont démontré une intention et une capacité de kidnapper des ressortissants étrangers, y compris des Algériens, au Mali et dans la région, et nous notons que le MUJAO a été derrière deux attentats meurtriers en Algérie, que nous condamnons fermement. Nous sommes aussi inquiets par le fait que les groupes terroristes ont accès à des fonds considérables, à la fois par les kidnappings, les crimes organisés et les réseaux de contrebande.
Certains disent que ces groupes pourraient être un danger pour l'Europe. Partagez‑vous ces inquiétudes ?
Il ya une menace permettant aux terroristes de s`entrainer et de préparer des attaques qui peuvent s`étendre en dehors du nord du Mali. En plus des problèmes que causent les groupes terroristes là-bas, nous reconnaissons qu'ils ont le potentiel d'attaquer dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, d`Afrique du Nord et, et éventuellement l'Europe aussi, ce qui nous préoccupe tous. Nous notons également avec inquiétude les rapports dans les médias sur des algériens, des français et d'autres européens qui arrivent, ou qui essayent de se rendre au nord du Mali pour rejoindre ces groupes terroristes, l'histoire nous montre que ces combattants étrangers représentent une future menace terroriste dans leur pays de résidence.
Le dialogue et l'échange d'informations avec des partenaires clés dans la lutte contre cette menace est très important. L'Algérie est un acteur régional important avec lequel nous avons construit une relation forte dans la lutte contre le terrorisme. Nous avons un dialogue annuel sur la lutte antiterroriste et la prochaine session aura lieu à Londres en Janvier. Nous avons une position similaire à l'Algérie sur le non-paiement de rançons dans les cas des kidnappings et nous travaillons étroitement dans les forums multilatéraux.
Les Algériens et les Français sont en désaccord sur Ansar Dine. Considérez‑vous que le dialogue doit inclure ce groupe islamiste touareg ?
Diverses initiatives sont en cours pour engager, à la fois, le MNLA et Ansar Dine dans le nord du Mali y compris l'Algérie, le médiateur de la CEDEAO, et plus récemment, le représentant de l'ONU en Afrique de l'Ouest, Said Djinnit. Le dialogue est important pour essayer d'encourager la démobilisation pacifique et retrouver une autorité d’Etat stable et durable dans le nord du Mali. Tous les efforts possibles doivent être fournis afin d`aboutir à une solution politique à la situation malienne et de promouvoir le dialogue entre les groupes politiques et sociaux et les rebelles au Mali.
Si des négociations politiques doivent se tenir, elles devraient être menées par les maliens dans le cadre des paramètres qu`ils ont établis, mais nous avons déjà été clairs avec eux, que l'intégrité territoriale du Mali ne doit pas être menacée, et il ne peut y avoir de négociations avec des groupes terroristes ou avec ceux ayant des liens avec ces groupes. Le Royaume-Uni et la Communauté Internationale voudront fortement encourager les efforts déployés par les Nations Unies et les médiations au niveau régional. Cela devrait commencer en urgence et ses paramètres devraient être approuvés et soutenus par le Conseil de Sécurité de l`ONU.
Le Royaume-Uni est resté discret sur la crise. Y a‑t‑il une volonté de votre part de laisser la France prendre les commandes, étant donné qu`elle est une puissance influente dans la région ?
La communauté internationale est d`accord sur cette question, comme indiqué par la résolution de l'ONU 2071. Nous avons tous intérêt à assurer la stabilité et le retour efficace d`une autorité territoriale dans le nord du Mali, et éloigner la menace terroriste dans le Nord. Le Royaume-Uni estime que la solution doit être menée par le Mali, soutenu par ses voisins, y compris les principaux pays tel que l'Algérie, le Niger et la Mauritanie, ainsi que des organisations régionales comme la CEDEAO, l'UA et l'ONU. Le Royaume-Uni a une petite présence au Mali, et ses ressources sont déployées ailleurs pour combattre des menaces similaires en Afrique et en Afghanistan. D'autres pays, comme la France, ont une présence plus importante et sont donc en mesure de déployer davantage de ressources.
Une option militaire est-elle inévitable au Nord‑Mali?
L'intervention militaire est une option parmi d'autres. Nous considérons que le dialogue et la préparation à l'action militaire comme des processus complémentaires qui devraient être poursuivis en parallèle. Jusqu`à présent, les discussions ont été dominées par des plans militaires. Cela est nécessaire. Il y`a une réelle possibilité d`une intervention militaire pour débarrasser la région des terroristes, les plans et les entrainements doivent bientôt commencer. Toute intervention militaire doit être bien préparée et doit être au plus haut niveau. Nous sommes profondément conscients des risques d`une opération ratée et de ne pas pouvoir protéger les civiles.
Quel serait le rôle du Royaume‑Uni dans une éventuelle opération militaire ?
Il est encore trop tôt pour se prononcer sur n'importe quel rôle ou la contribution du Royaume-‑Uni. Le Royaume‑Uni va chercher à voir où il peut apporter une valeur ajoutée à toute solution. Nous avons tous un rôle à jouer, et nous allons chercher à voir où notre capacité pourrait ajouter plus de valeur.
Une fois que les terroristes sont mis à la porte du Nord Mali et du Mali dans son ensemble, il faut penser à un plan de développement économique réel. Comment voyez‑vous cette initiative ?
Des plans de développement économique ont été élaborés au cours des dernières années, y compris la stratégie de l'Union Européenne pour la sécurité et le développement dans le Sahel. Je suis d'accord que le Mali, ses partenaires régionaux et la communauté internationale doivent veiller à ce qu'un plan soit en place. Ce n'est qu'en abordant les besoins du développement social et économique du Mali à long terme que nous serions en mesure d'assurer la stabilité durable de la région.
Votre pays est-il prêt à participer à un tel plan ?
Le Royaume‑Uni contribue déjà à l'aide au développement par l'intermédiaire du programme de l'UE au Mali. Notre Département pour le développement international (DFID) ne dispose actuellement d'aucun engagement bilatéral direct avec l'un des pays du Sahel, à l'exception du nord du Nigeria. Cependant, ils ont apporté un soutien humanitaire à travers des agences multilatérales (CE, Banque mondiale, l'ONU et la Banque africaine de développement), ainsi que des financements spécifiques pour faire face aux crises humanitaires. À la fin de 2012, le DFID a engagé 59 millions de livres sterling pour la réponse humanitaire à la crise du Sahel à travers des agences de l'ONU et des ONG, faisant du Royaume‑Uni le troisième donateur.
Ces derniers mois, le DFID s’est penché sur l'élaboration d'une stratégie de résilience en cas de catastrophe au Sahel, qui pourrait former la base d'un engagement durable pour soutenir la capacité de résilience au Sahel. Cette stratégie est susceptible de renforcer les engagements actuels de travailler à travers des organisations multilatérales et de société civile.
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