Il y a 57 ans, la France commet un acte de piraterie aérienne.
Dans sa nouvelle façon de conduire la guerre, la France invente un nouveau concept : intercepter, en plein vol, les dirigeants contestant son autorité. Pour rappel, l’avion DC3 transporte la délégation extérieure du FLN, composée d’Ahmed Ben Bella, Hocine Ait Ahmed, Mohamed Boudiaf, Mohamed Khider et Mostafa Lacheref, où elle doit assister à une rencontre intermaghrébine prévue à Tunis. La réunion doit regrouper les deux chefs des États nouvellement indépendants, le roi du Maroc et le président tunisien, ainsi que la délégation extérieure du FLN.
Le 22 octobre 1956, les services secrets français détournent cet avion sur Alger. Pourquoi une telle rencontre fait-elle aussi peur aux autorités coloniales ? D’après Hocine Ait Ahmed, le dernier chef historique encore en vie [que Dieu prolonge encore sa vie], après moult tentatives vaines, les trois pays maghrébins envisagent enfin une riposte commune. « Fini le tête-à-tête Algérie-France. Il fallait que le problème devienne d’abord essentiellement un problème maghrébin », déclare-t-il sur Médi1-Sat le 26 mai 2008.
Cependant, dans le but de préparer la rencontre, les chefs du FLN rejoignent d’abord la capitale marocaine. Après une entrevue avec le roi, celui-ci propose à ses hôtes de faire le voyage avec lui. Bien que le changement soit intervenu à la dernière minute, selon Ben Bella, ou à la veille, selon Hocine Ait Ahmed [force est de reconnaitre que le témoignage de l’un ne contredit pas forcément le témoignage de l’autre], il n’en reste pas moins qu’un tel événement ne peut pas être ignoré par le SDECE, l’ancêtre de la DGSE. Disposant des antennes un peu partout dans le monde, le SDECE est à l’affut de la moindre occasion en vue de décapiter la direction du FLN.
Dans quelle condition intervient cet événement ? La faiblesse de la IVème République y est pour quelque chose. Déstabilisée en permanence par le lobby colonial, elle abandonne peu à peu le pouvoir à l’armée. Le vote des pleins pouvoirs à l’armée, par l’Assemblée nationale, le 12 mars 1956, libère la grande muette de la tutelle des politiques. Du coup, lorsque le SDECE a vent du déplacement des représentants du FLN par l’avion de la compagnie royale, les services secrets ne veulent pas laisser passer cette occasion. Malgré la réticence du pilote du DC3 de l’air ATLAS, un ex-militaire travaillant pour la compagnie royale, les militaires français n’ont pas beaucoup de peine à le convaincre. Tout compte fait, ce coup –et c’est le moins que l’on puisse dire –scelle la suprématie de l’armée sur le pouvoir civil. Et pour cause ! Le représentant du gouvernement en Algérie, Robert Lacoste, n’apprend le projet qu’une fois la décision a été arrêtée. Quant au président du Conseil, Guy Mollet, il n’apprend l’opération qu’une fois les chefs du FLN sont sous les verrous.
Quoi qu’il en soit, au-delà des polémiques suscitées par cette piraterie aérienne, le pouvoir de l’armée atteignant à l’occasion son apogée commence à inquiéter. Mais cela ne profite pas, sous la IVème République, au pouvoir civil. Il faudra attendre des années pour que le général De Gaulle rétablisse son autorité. Pour l’heure, bien que le gouvernement Mollet négocie avec la délégation extérieure, l’armée française, d’après Ahmed Ben Bella, cherche à négocier pour son propre compte. « Puis, l’homme était très fin, ce général en chef, du côté français, il me dit : écoutez, je suis un militaire, je ne suis pas un politicien, je ne suis pas venu pour connaitre, pour faire encore le policier, non ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que vous voulez. Je lui ai dit : ce que nous voulons, nous l’avons dit à vos négociateurs qui sont venus nous voir depuis six mois », déclare-t-il lors de son arrestation.
Cela dit, lors de ces contacts, le gouvernement français s’engage sans trop se découvrir. Et pour cause ! Du côté français, les mandataires sont des membres du parti socialistes (SFIO) et non ceux qui ont des responsabilités gouvernementales. Ainsi, que ce soit au Caire en avril 1956, en Yougoslavie en juillet 1956, en Italie en août 1956 et à Belgrade en septembre 1956, face aux représentants du FLN, les négociateurs sont les représentants de la SFIO, tels que Joseph Begarra ou Pierre Commin.
De la même manière, du côté algérien, sous la houlette du tandem Abane-Ben Mhidi, la révolution est dotée d’une réelle autorité. Bien qu’elle ait des lacunes, elle permet au moins de rassembler les différents courants nationalistes. En un mot, grâce au dévouement de ces deux hommes, l’unité nationale, un projet qu’aucun courant politique n’a accompli depuis l’occupation du pays, est enfin réalisée. Des résolutions de la Soummam, il ressort que la révolution est la propriété du peuple algérien et non celle d’un quelconque groupe. Le document précise que la négociation doit mener à une indépendance totale. D’où le préalable de la reconnaissance de la souveraineté nationale avant d’entamer la négociation. Et s’il faut négocier sur la base de l’indépendance, il faudra le faire avec ceux qui se battent sur le terrain. Or, sur les cinq chefs historiques, seul Hocine Ait Ahmed soutient sans ambages les résolutions de la Soummam.
Dans ce cas de figure, que serait la position des maquisards intérieurs, qui se sont dotés des organismes dirigeants, tels que le CCE et le CNRA, habilités à négocier en leur non, si la conférence de Tunis débouchait sur un accord étriqué ? À en croire Mebrouk Belhocine, le CCE serait prêt à dénoncer le moindre accord, si les maquis intérieurs n’étaient pas associés. Et si un tel scénario se produisait, que serait-il advenu de la révolution ? Là aussi, seul Hocine Ait Ahmed a le courage d’admettre que l’arrestation des membres de la délégation extérieure a sauvé la révolution d’une implosion certaine. Et ce n’est pas la mentalité de l’adjudant Ben Bella qui aurait pu apaiser les tensions. Bien que l’allégation ne soit pas vraie, ne dit-il pas tout le temps : « la révolution, c’est moi. » De l’autre côté, ni Abane ni Ben Mhidi n’auraient toléré que leurs efforts soient balayés par un assoiffé de pouvoir.
Pour conclure, il va de soi qu’à travers cet acte de piraterie aérienne, le gouvernement français cède le pas aux militaires. Pour ces derniers, le statut de l’Algérie doit rester inchangé. Le contraire serait perçu, par l’opinion, selon eux, comme une nouvelle humiliation. Toutefois, en commettant un tel acte, ils rendent service indirectement à la révolution algérienne. Bien qu’ils neutralisent des chefs, dont le poids est incontestable, la révolution algérienne va tout de suite les supplanter. Enfin, en trouvant la tête politique qui lui manque, la révolution algérienne parvient à se structurer cahin-caha. Enfin, même en prison, cette organisation n’est pas du gout d’un Ben Bella obsédé par le pouvoir. En ce sens, l’arrestation de la délégation extérieure, comme le reconnaîtra plus tard Hocine Ait Ahmed, peut être considérée comme un mal pour un bien.
Le 22 octobre 1956, les services secrets français détournent cet avion sur Alger. Pourquoi une telle rencontre fait-elle aussi peur aux autorités coloniales ? D’après Hocine Ait Ahmed, le dernier chef historique encore en vie [que Dieu prolonge encore sa vie], après moult tentatives vaines, les trois pays maghrébins envisagent enfin une riposte commune. « Fini le tête-à-tête Algérie-France. Il fallait que le problème devienne d’abord essentiellement un problème maghrébin », déclare-t-il sur Médi1-Sat le 26 mai 2008.
Cependant, dans le but de préparer la rencontre, les chefs du FLN rejoignent d’abord la capitale marocaine. Après une entrevue avec le roi, celui-ci propose à ses hôtes de faire le voyage avec lui. Bien que le changement soit intervenu à la dernière minute, selon Ben Bella, ou à la veille, selon Hocine Ait Ahmed [force est de reconnaitre que le témoignage de l’un ne contredit pas forcément le témoignage de l’autre], il n’en reste pas moins qu’un tel événement ne peut pas être ignoré par le SDECE, l’ancêtre de la DGSE. Disposant des antennes un peu partout dans le monde, le SDECE est à l’affut de la moindre occasion en vue de décapiter la direction du FLN.
Dans quelle condition intervient cet événement ? La faiblesse de la IVème République y est pour quelque chose. Déstabilisée en permanence par le lobby colonial, elle abandonne peu à peu le pouvoir à l’armée. Le vote des pleins pouvoirs à l’armée, par l’Assemblée nationale, le 12 mars 1956, libère la grande muette de la tutelle des politiques. Du coup, lorsque le SDECE a vent du déplacement des représentants du FLN par l’avion de la compagnie royale, les services secrets ne veulent pas laisser passer cette occasion. Malgré la réticence du pilote du DC3 de l’air ATLAS, un ex-militaire travaillant pour la compagnie royale, les militaires français n’ont pas beaucoup de peine à le convaincre. Tout compte fait, ce coup –et c’est le moins que l’on puisse dire –scelle la suprématie de l’armée sur le pouvoir civil. Et pour cause ! Le représentant du gouvernement en Algérie, Robert Lacoste, n’apprend le projet qu’une fois la décision a été arrêtée. Quant au président du Conseil, Guy Mollet, il n’apprend l’opération qu’une fois les chefs du FLN sont sous les verrous.
Quoi qu’il en soit, au-delà des polémiques suscitées par cette piraterie aérienne, le pouvoir de l’armée atteignant à l’occasion son apogée commence à inquiéter. Mais cela ne profite pas, sous la IVème République, au pouvoir civil. Il faudra attendre des années pour que le général De Gaulle rétablisse son autorité. Pour l’heure, bien que le gouvernement Mollet négocie avec la délégation extérieure, l’armée française, d’après Ahmed Ben Bella, cherche à négocier pour son propre compte. « Puis, l’homme était très fin, ce général en chef, du côté français, il me dit : écoutez, je suis un militaire, je ne suis pas un politicien, je ne suis pas venu pour connaitre, pour faire encore le policier, non ce qui m’intéresse, c’est de savoir ce que vous voulez. Je lui ai dit : ce que nous voulons, nous l’avons dit à vos négociateurs qui sont venus nous voir depuis six mois », déclare-t-il lors de son arrestation.
Cela dit, lors de ces contacts, le gouvernement français s’engage sans trop se découvrir. Et pour cause ! Du côté français, les mandataires sont des membres du parti socialistes (SFIO) et non ceux qui ont des responsabilités gouvernementales. Ainsi, que ce soit au Caire en avril 1956, en Yougoslavie en juillet 1956, en Italie en août 1956 et à Belgrade en septembre 1956, face aux représentants du FLN, les négociateurs sont les représentants de la SFIO, tels que Joseph Begarra ou Pierre Commin.
De la même manière, du côté algérien, sous la houlette du tandem Abane-Ben Mhidi, la révolution est dotée d’une réelle autorité. Bien qu’elle ait des lacunes, elle permet au moins de rassembler les différents courants nationalistes. En un mot, grâce au dévouement de ces deux hommes, l’unité nationale, un projet qu’aucun courant politique n’a accompli depuis l’occupation du pays, est enfin réalisée. Des résolutions de la Soummam, il ressort que la révolution est la propriété du peuple algérien et non celle d’un quelconque groupe. Le document précise que la négociation doit mener à une indépendance totale. D’où le préalable de la reconnaissance de la souveraineté nationale avant d’entamer la négociation. Et s’il faut négocier sur la base de l’indépendance, il faudra le faire avec ceux qui se battent sur le terrain. Or, sur les cinq chefs historiques, seul Hocine Ait Ahmed soutient sans ambages les résolutions de la Soummam.
Dans ce cas de figure, que serait la position des maquisards intérieurs, qui se sont dotés des organismes dirigeants, tels que le CCE et le CNRA, habilités à négocier en leur non, si la conférence de Tunis débouchait sur un accord étriqué ? À en croire Mebrouk Belhocine, le CCE serait prêt à dénoncer le moindre accord, si les maquis intérieurs n’étaient pas associés. Et si un tel scénario se produisait, que serait-il advenu de la révolution ? Là aussi, seul Hocine Ait Ahmed a le courage d’admettre que l’arrestation des membres de la délégation extérieure a sauvé la révolution d’une implosion certaine. Et ce n’est pas la mentalité de l’adjudant Ben Bella qui aurait pu apaiser les tensions. Bien que l’allégation ne soit pas vraie, ne dit-il pas tout le temps : « la révolution, c’est moi. » De l’autre côté, ni Abane ni Ben Mhidi n’auraient toléré que leurs efforts soient balayés par un assoiffé de pouvoir.
Pour conclure, il va de soi qu’à travers cet acte de piraterie aérienne, le gouvernement français cède le pas aux militaires. Pour ces derniers, le statut de l’Algérie doit rester inchangé. Le contraire serait perçu, par l’opinion, selon eux, comme une nouvelle humiliation. Toutefois, en commettant un tel acte, ils rendent service indirectement à la révolution algérienne. Bien qu’ils neutralisent des chefs, dont le poids est incontestable, la révolution algérienne va tout de suite les supplanter. Enfin, en trouvant la tête politique qui lui manque, la révolution algérienne parvient à se structurer cahin-caha. Enfin, même en prison, cette organisation n’est pas du gout d’un Ben Bella obsédé par le pouvoir. En ce sens, l’arrestation de la délégation extérieure, comme le reconnaîtra plus tard Hocine Ait Ahmed, peut être considérée comme un mal pour un bien.
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